Il faut bien mesurer les circonstances exceptionnelles que connaît aujourd'hui la BITD. Ne sous-estimons pas la gravité de la situation !
On pourrait avoir l'impression que la situation est moins critique dans le secteur militaire que dans certains secteurs civils - transport aérien, tourisme ou automobile.
Ce sentiment de grande résilience vient, d'abord, de l'effort considérable que les entreprises de la BITD ont fourni, en liaison avec la Direction générale de l'armement (DGA) et les armées, pour assurer deux priorités absolues : l'absence d'impact du confinement sur la posture de dissuasion et la continuité du soutien aux opérations en cours. Ces objectifs ont été atteints, mais il ne faut pas sous-estimer l'effort que cela a nécessité.
Si, par le passé, nous avons parfois critiqué la DGA pour son manque de réactivité, il faut reconnaître que, cette fois, elle a fait preuve d'une réactivité très grande, de même que l'AID.
Ensuite, l'importance des commandes d'État empêche de mesurer d'emblée les conséquences de la crise. Contrairement à certains acteurs privés, l'État n'a pas cessé ses activités, ni fait défaut dans ses paiements - au contraire, il a accéléré les procédures. De même, aucune commande en cours n'a été renégociée ou annulée. Le temps de latence est donc un peu plus long entre la crise sanitaire et économique et sa traduction dans le champ des marchés d'armement.
En réalité, la situation est préoccupante. Paradoxalement, une des difficultés les plus importantes tient à une caractéristique souvent présentée comme une force : l'activité duale, civile et militaire, de beaucoup de nos entreprises.
Si certaines entreprises de la BITD n'ont que très peu d'activités civiles - Nexter, Arquus, Naval Group -, elles sont nombreuses à opérer à la fois dans le civil et le militaire, en particulier dans l'aéronautique.
Mes chers collègues, il faut prendre conscience de l'extraordinaire gravité de la crise que traverse le secteur aéronautique. Au plus fort de la crise, sur 21 000 gros porteurs dans le monde, 14 000, soit les deux tiers, ont été cloués au sol ! Alors que les précédentes crises du transport aérien, liées notamment au 11 septembre 2001 et au SRAS, avaient entraîné une réduction annuelle de trafic de l'ordre de 5 %, on estime que le trafic aérien reculera en 2020 de 50 % - un impact dix fois plus violent... Il est évident que de nombreuses compagnies aériennes n'y survivront pas, ce qui aura des conséquences très graves pour la construction aéronautique ; les mesures annoncées par Airbus le montrent bien.
Là encore, ne nous laissons pas tromper par l'effet de latence. Lorsque les avions sont cloués au sol, il y a défaut de recettes, mais aussi diminution très forte des coûts d'exploitation. Lorsque l'exploitation reprend, les passagers sont moins nombreux dans un premier temps, alors que les coûts d'exploitation remontent très vite. Les compagnies aériennes risquent alors de se retrouver dans une phase extrêmement dangereuse pour elles : le second semestre de 2020 sera sans doute beaucoup plus difficile que le premier...
J'insiste sur ce point, parce que du fait du caractère dual de beaucoup d'entreprises de la BITD, en particulier dans l'aéronautique, cela va avoir des conséquences, non seulement sur le secteur civil, mais aussi sur les activités de défense. La plus grande entreprise de défense européenne, Airbus Defence and Space, réalise 70 % de son chiffre d'affaires dans le civil.
Dans des circonstances normales, la dualité d'activité permet de lisser les éventuelles fluctuations dans un secteur, mais dans le cas présent, le choc sur les activités civiles et sur l'économie en général est si puissant qu'il peut menacer l'activité de défense.
J'en viens maintenant à la question du financement des entreprises, plus particulièrement du financement bancaire.
Lors de nos auditions, notre attention a été portée sur le peu d'appétence des banques pour les activités de défense - secteurs qui nécessitent des investissements de long terme -, du fait notamment de l'influence des lobbies. De plus, les banques ont en la matière une conception très extensive de la conformité à la réglementation bancaire, la compliance.
Cela pose une question politique : les banques ne veulent pas pleinement assumer leur fonction économique en finançant le développement des entreprises de souveraineté. Pourtant, elles ont su faire appel à l'État lorsqu'elles étaient fragilisées par la crise de 2008. Cette situation nous interpelle d'autant plus que chez nos voisins allemands, le secteur bancaire finance pleinement l'activité économique, en particulier l'industrie.
En conclusion de ce travail, nous souhaitions souligner l'importance pour l'avenir de notre BITD des trois prochains rendez-vous. Le premier est le plan de relance, que le Gouvernement devrait présenter après l'été. Il est indispensable que ce plan comporte un volet spécifique pour la BITD. Le deuxième rendez-vous est le projet de loi de finances pour 2021. Il devra tenir la trajectoire de la loi de programmation militaire (LPM). Le troisième est l'actualisation de la LPM en 2021. Malgré la situation très difficile des finances publiques, il faudra avoir le courage d'aborder cette actualisation avec une réelle ambition pour notre défense et notre souveraineté.