Intervention de Hélène Conway-Mouret

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 15 juillet 2020 à 10h00
Avion de combat du futur scaf — Examen du rapport d'information

Photo de Hélène Conway-MouretHélène Conway-Mouret :

Pourquoi faire le SCAF à plusieurs alors que les industriels français nous disent être capables de le réaliser seuls?

D'abord, avec le SCAF, nous avons l'opportunité de faire avancer la défense européenne en nous appuyant sur un projet concret de partenariat franco-germano-espagnol. C'est donc avant tout un projet politique. Il convient que nos interlocuteurs industriels l'aient à l'esprit. Ce projet se fera car il correspond à une volonté clairement définie.

Le premier objectif est de rendre plus fluide la coopération franco-germano-espagnole afin qu'une étape décisive puisse être franchie en 2021. Les négociations entre industriels en 2019 ont certes été délicates car le Bundestag a mis des conditions à l'accord entre Safran et MTU. Il a également insisté sur la nécessité d'un parallélisme de calendrier avec le MGCS pour voter les crédits. Tout cela vous est connu, je n'y reviendrai pas.

Pour le surplus, nos approches sont différentes. Les Allemands redoutent l'influence et le poids d'un complexe militaro-industriel français expérimenté. Mieux encore, il semble qu'ils n'aient pas la même compréhension que nous des enjeux de l'autonomie stratégique. Les Français, quant à eux, interprètent l'attitude des Allemands comme l'expression d'une volonté de développer prioritairement leur industrie nationale et acquérir de nouvelles compétences afin de préserver les emplois et soutenir leur tissu industriel. Cela vaut également pour l'Espagne. Les arrière-pensées seraient ainsi à craindre de la part des trois partenaires concernés.

Pour sortir de ces incompréhensions principalement dues à des différences historiques et culturelles, nous devons échanger et partager davantage. C'est pourquoi nous préconisons l'élaboration et la publication d'une stratégie industrielle commune, éventuellement assortie d'une programmation capacitaire conjointe. Celle-ci éclaircirait notamment le lien entre autonomie stratégique nationale et autonomie stratégique européenne. Soyons pédagogues, encore et encore.

Mais nous devons également être très clairs avec nos partenaires : le programme ne résistera pas à des blocages et des retards à répétition. C'est pourquoi nous prônons la signature d'un contrat-cadre global en début d'année prochaine, pour engager les financements nécessaires aux phases ultérieures du développement du démonstrateur, ce qui aura pour conséquence de rendre ainsi le programme quasi-irréversible. Il s'agit de passer de l'ordre de la centaine de millions à celui du milliard d'euros. Il serait bien sûr préférable que ce nouvel engagement intervienne avant les élections législatives allemandes, qui introduisent un élément d'incertitude supplémentaire. Nous devons en être conscients.

Après de longues négociations, les contrats avec les industriels espagnols doivent quant à eux être signés prochainement. L'arrivée de ce pays constitue une excellente nouvelle d'autant que son engagement industriel et militaire semble entier. Nous avons été agréablement surpris par l'enthousiasme de nos interlocuteurs. Cela s'explique peut-être parce qu'il s'agit d'un pays très « européiste » en matière de défense, qui privilégie résolument les solutions européennes. Ensuite, l'Espagne permet de positionner la France à sa place naturelle de médiateur entre un pays du Nord et un pays du Sud de l'Europe. Une de nos propositions est d'ailleurs d'inviter l'Allemagne à signer avec l'Espagne un traité sur les exportations, similaire à celui signé par la France et l'Allemagne le 23 octobre 2019. L'Espagne rencontre en effet les mêmes difficultés que nous sur les restrictions d'exportations.

La question de l'élargissement du programme à d'autres partenaires européens doit également être posée. En effet, si nous avons fait le choix de la coopération plutôt que celui d'une option strictement nationale - et donc réductrice - pour construire le SCAF, c'est parce que nous voulons soutenir la compétitivité de l'industrie de défense européenne en faisant baisser les coûts de chaque système supplémentaire produit, tout en partageant les coûts de développement - on parle de 8 milliards d'ici 2030 ce qui nous permettra d'exporter plus facilement - si le produit fini est moins cher et de nous assurer ainsi d'un premier marché au niveau européen. Il est en effet toujours plus facile de convaincre un acheteur lorsqu'il a des intérêts dans l'objet du marché en tant que producteur !

Il existe des points possibles de rapprochement avec les instruments de la défense européenne : coopération structurée permanente (CSP), Programme européen de développement industriel dans le domaine de la défense (PEDID) et Fonds européen de défense. Surtout, le SCAF constitue une chance unique de développer nos propres standards d'interopérabilité. À cet égard, la synergie avec l'Union européenne peut constituer un tremplin, notamment via le programme EcoWar initié par la France, sélectionné dans la CSP et qui rassemble la Belgique, l'Espagne, la Hongrie, la Roumanie, l'Espagne et la Suède. Ce projet intéresse les pays déçus par le manque d'interopérabilité du F35 avec leurs autres avions. En leur proposant des solutions permettant un dialogue opérationnel entre le F35 et les avions des générations précédentes, nous pouvons les attirer dans « l'orbite du SCAF ». Nous préconisons donc de préparer cet élargissement pour la phase post-démonstrateur, lorsque la coopération entre les trois premiers pays sera devenue suffisamment stable et pérenne.

Je voudrais à présent évoquer l'aspect innovant du SCAF. Nous parlons d'un système d'armes qui sera opérationnel entre 2040 et 2080 au minimum. Je partage pleinement l'analyse de mon co-rapporteur : imaginer l'avenir du combat aérien par analogie avec ses caractéristiques actuelles serait une erreur. En particulier, un effort sans précédent doit être accompli dans le domaine de la connectivité et du cloud de combat, où Thales doit jouer pleinement son rôle aux côtés d'Airbus. Il est également nécessaire d'étudier dès maintenant une intégration de ce cloud de combat avec le système d'information et de commandement (SIC) Scorpion. Le SCAF doit en effet être un système ouvert, interopérable avec l'ensemble de nos forces terrestres et navales. Il doit également se développer de manière incrémentale. Ainsi, un système de combat coopératif pourrait être développé dès avant 2030, dans le cadre du Rafale F4 et du programme Connect@aero de l'armée de l'air. Puis, au début des années 2030, pourraient être mises en oeuvre des fonctionnalités collaboratives entre avions et effecteurs via le Rafale F5 en France et le Typhoon LTE en Allemagne et en Espagne.

En ce qui concerne l'intelligence artificielle - à l'influence de laquelle ce projet n'échappera pas - nous devons continuer à promouvoir notre vision occidentale conforme au droit international. Je souscris pleinement aux propos de la ministre des armées lorsqu'elle déclare que « La France refuse de confier la décision de vie ou de mort à une machine qui agirait de façon pleinement autonome et échapperait à tout contrôle humain. ». Nous devons donc relancer les discussions internationales pour obtenir un cadre éthique et juridique partagé par tous. D'autres pays qui ne partagent pas nos valeurs avancent très vite dans ce domaine et pourraient imposer leurs normes. Parallèlement, les efforts de l'agence de l'innovation, à travers ses projets d'accélération d'innovation et de recherche, doivent être soutenus. Nous comptons aussi sur la future « Redteam », avec ses auteurs de science-fiction, pour échafauder des scénarios vraiment inédits afin de pousser nos ingénieurs dans leurs derniers retranchements ! Le SCAF est un projet évolutif. À tous de s'en saisir pour valoriser recherche fondamentale, innovation et créativité.

La recherche de la très haute performance doit aller de pair avec les préoccupations environnementales. Nous estimons ainsi que l'innovation doit aussi s'exercer dans le domaine des économies d'énergie, dans la continuité de la « stratégie énergétique » présentée par la ministre des armées le 3 juillet dernier.

Ce caractère innovant, voire révolutionnaire du SCAF, sera l'une des conditions de son exportabilité, impératif que nous ne devons à aucun moment perdre de vue. Pour faire la différence, le SCAF devra en effet avoir des « briques technologies » exclusives et inédites.

Toutefois, cette exportabilité est en partie menacée par le programme britannique qu'il serait dangereux de perdre du vue, le Tempest, successeur du Projet FCAS franco-britannique avorté. L'Italie et la Suède se sont associées au projet ; la Turquie, le Japon ou encore l'Arabie Saoudite ont été approchés dans une optique de coopération financière. Il est prévu que le programme s'achève en 2035, soit 5 ans avant celui du SCAF, même si cette date nous paraît ambitieuse. Ce projet est porté par une réelle volonté politique car les Britanniques partagent notre souci de conserver un savoir-faire en matière d'avions de combat. Il est difficile pour le moment d'imaginer comment les deux programmes pourraient se rapprocher. Il y a donc là une difficulté à l'unification progressive de la base industrielle et technologique de défense européenne s'il se confirmait que les européens se séparent en deux groupes concurrents. Cette opposition, plutôt que cette rivalité, serait d'ailleurs amplifiée par un rapprochement avec le système américain en cours de développement, très similaire aux SCAF et Tempest.

En conclusion, le SCAF constitue selon nous à la fois une occasion inédite - la première à cette échelle mais aussi la dernière si elle devait échouer - de construire une véritable BITDE et la possibilité de maintenir un modèle d'armées complet. Malgré un départ plutôt lent en 2019, les négociations ont bien progressé et abouti à des accords. Les prochains mois seront décisifs, avec la pleine intégration de l'Espagne et, nous l'espérons, un nouveau contrat-cadre pluriannuel qui permettra de donner un élan définitif au programme. Ce rapport s'inscrit donc dans la dynamique de sa réussite, car il a le potentiel pour faire changer d'ère et de dimension la coopération européenne de défense !

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