Intervention de Marie-Anne Poussin-Delmas

Délégation sénatoriale aux outre-mer — Réunion du 18 juin 2020 : 1ère réunion
Étude sur l'urgence économique outre-mer à la suite de la crise du covid-19 — Table ronde sur les données statistiques et perspectives économiques

Marie-Anne Poussin-Delmas, président de l'Institut d'émission des départements d'outre-mer (IEDOM) et directeur général de l'Institut d'émission d'outre-mer (IEOM) :

Ma présentation s'appuiera sur la conférence de presse annuelle de conjoncture de l'IEDOM-IEOM du 14 mai 2020 sur la situation des outre-mer en 2019 et les perspectives pour 2020.

Quelle était la situation des outre-mer avant la crise du Covid-19 ? Si l'année 2019 a été relativement favorable, la crise sanitaire pourrait compromettre le rattrapage constaté et accentuer les fragilités structurelles de ces territoires. D'ailleurs, au regard des premières analyses d'impact, les perspectives pour 2020 paraissent très dégradées.

Quels ont été les mécanismes de propagation économique de la crise sanitaire ? Le confinement, qui a commencé au début de l'année 2020 pour les premiers pays touchés, a provoqué un choc sur l'offre externe, c'est-à-dire une baisse des approvisionnements dans les entreprises françaises et une baisse de la production, qui s'est inévitablement traduit par un choc sur l'offre interne, que la propagation de l'épidémie en France a aggravé. La mise à l'arrêt forcée des salariés qui s'est ensuivie a eu une incidence sur la fourniture de biens et de services ainsi que sur la demande intérieure. Un choc sur la demande en a découlé. Certains secteurs ont connu une mise à l'arrêt quasi complète.

Le bilan est assez lourd et il est envisagé, pour la France entière - en l'absence de seconde vague -, un recul du PIB annuel de plus de 10 %, avec une reprise de 7 % en 2021 et de 4 % en 2022. Les effets de la crise du Covid-19 ne seraient donc résorbés qu'à la fin 2022. Le pic du chômage devrait se situer aux alentours de 2021, avec un niveau annoncé à 11,5 %.

Dans ce cadre général, comment se situent les outre-mer ?

Avant de répondre à cette question, je dresserai un panorama de la situation de 2019, année où la conjoncture a été plutôt favorable - on ne dit pas assez souvent ce qui va bien en outre-mer. Trois indicateurs en attestent.

Premièrement, l'évolution du PIB par habitant a été supérieure à celle qui a été constatée en métropole dans les trois bassins (océan Atlantique, océan Indien, océan Pacifique), même si le rythme est moins important qu'avant la crise de 2008. Il faut noter deux exceptions : la Polynésie française, qui a beaucoup souffert de la crise de 2008 dont l'effet sur le long terme se fait toujours ressentir, et la Guyane, qui a connu un décrochage à partir de 2014 ; dans ce territoire, le rattrapage économique ne commence à se faire sentir qu'avec le plan d'urgence qui a été décidé et mis en oeuvre.

Deuxièmement, l'emploi a connu une amélioration sensible. Le nombre de demandeurs d'emploi est en recul sur l'ensemble du bassin Antilles-Guyane comme à la Réunion. Dans les collectivités du Pacifique, l'emploi salarié privé progresse.

Troisièmement, l'indice des prix à la consommation a augmenté moins fortement qu'en métropole : + 0,7 % contre + 1,2 %. Cela tient essentiellement au prix des produits manufacturés.

La crise du Covid-19 pourrait accentuer les fragilités structurelles des outre-mer - tissu entrepreneurial, rentabilité, délais de paiement, importations - et compromettre ce rattrapage en 2020.

D'abord, le tissu entrepreneurial, qui est composé à plus de 95 % de TPE, est beaucoup plus sensible aux chocs conjoncturels.

Ensuite, ces entreprises connaissent des taux de rentabilité parfois très faibles dans les secteurs de la construction, des transports et des services marchands.

Par ailleurs, les délais de paiement sont plus importants et plus dégradés qu'en métropole, ce que nous soulignons chaque année dans notre rapport. En 2018, les délais clients s'établissaient à 62,2 jours, légèrement meilleurs qu'en 2017, mais bien supérieurs à ceux de l'Hexagone, de 44 jours ; les délais fournisseurs s'établissaient quant à eux à 72,6 jours, contre 51 jours pour l'Hexagone. Le solde commercial s'établit à 15,4 %, contre 11,5 % pour l'Hexagone. Tout cela fragilise les trésoreries des entreprises. Nous savons que la crise du Covid-19 aura un impact négatif sur les recettes des collectivités locales et pouvons donc imaginer que les délais de paiement, qui sont encore plus importants dans le secteur public local et hospitalier, s'accentueront. Cela aura un impact sur le secteur de la construction, très souvent dépendant du secteur public local et hospitalier.

Enfin, la dépendance des outre-mer à la métropole pour ce qui concerne les importations et la faible intégration régionale risquent de s'accentuer. Malgré les efforts engagés, la part du commerce régional dans le total des importations baisse dans toutes les géographies, à l'exception de Saint-Pierre-et-Miquelon et de Wallis-et-Futuna, dont l'intégration régionale est significativement plus forte.

Sans surprise, au regard des premières analyses d'impact, les perspectives pour 2020 sont dégradées.

Premièrement, on observe un plongeon très net de l'indicateur de climat des affaires, bien plus marqué que ce que l'on a observé lors de crises sociales comme celles des gilets jaunes ou de 2008. Cet indicateur trimestriel qui mesure la confiance des chefs d'entreprise dans l'avenir et dans leur activité s'est toujours révélé assez bien corrélé à la progression du PIB enregistrée par la suite.

Deuxièmement, les pertes instantanées d'activité consécutives à la crise sanitaire sont estimées à 33 % pour l'Hexagone, 44 % en Nouvelle-Calédonie, 34 % en Polynésie et 30 % pour l'ensemble des géographies. C'est considérable et sans précédent.

Troisièmement, l'impact de la crise en termes d'emploi concernera d'abord le tourisme, l'hébergement, la restauration et le transport, dont la part dans l'économie outre-mer est supérieure à celle de l'Hexagone. Dans ces secteurs, la reprise sera longue.

Le secteur de la construction, qui pèse également plus lourd outre-mer que dans l'Hexagone, sera également touché. La reprise risque en outre d'être entravée par des perturbations des sources d'approvisionnement.

Pour le secteur du commerce, dont le poids est là encore supérieur à ce qu'il représente dans l'Hexagone, la reprise pourrait être plus rapide.

La part du secteur public outre-mer, plus importante que dans l'Hexagone, peut servir d'amortisseur et jouer un rôle favorable sur l'emploi.

Quatrièmement, les effets impayés ont connu une hausse spectaculaire au mois de mars. Les chiffres du mois de mai sont rassurants : le montant des effets impayés est revenu à des niveaux meilleurs que ceux de mai 2019.

J'évoquerai maintenant le secteur du tourisme qui est essentiel. La reprise sera probablement plus rapide dans les départements et collectivités d'outre-mer de la zone euro que dans les collectivités du Pacifique, car la part du tourisme affinitaire y est beaucoup plus importante, entre 69 % et 80 % en Guadeloupe, en Martinique et à La Réunion. La reprise est toutefois plus que compromise en Guyane, compte tenu de la situation sanitaire. Elle sera de toute évidence plus lente dans les collectivités du Pacifique, beaucoup plus dépendantes du tourisme international.

Le trafic aérien est un autre indicateur. Il s'est contracté de 50 % en mars 2020 par rapport à mars 2019. La baisse des flux entre la métropole et l'outre-mer est moindre en raison du maintien des vacations au titre de la continuité territoriale.

Dans l'ensemble, l'impact de la crise sanitaire sur l'outre-mer devrait être du même ordre que dans l'Hexagone. Le PIB annuel pour 2020 devrait régresser de 10 %, voire un peu plus, avec des différences selon les territoires. Cette régression risque d'être plus forte dans les territoires où le tourisme occupe une place plus centrale, comme en Polynésie française, où la régression pourrait être de 15 % à 18 %, ou en Guadeloupe.

La régression du PIB pourrait être plus forte dans les territoires où le confinement est prolongé, en Guyane et à Mayotte, moins forte en Nouvelle-Calédonie, où le confinement n'a duré qu'un petit mois. Le tissu industriel y est en outre plus diversifié et développé et le tourisme y occupe une place plus réduite.

De nombreuses incertitudes demeurent bien sûr. Ce scénario devra être actualisé en fonction de l'ampleur et de la rapidité du rebond et de l'impact, lequel devrait être décisif, des mesures prises pour l'Hexagone et déployées en outre-mer. Je pense notamment au plan de soutien massif de l'État aux entreprises et à l'action des collectivités, qui doivent permettre un redémarrage de l'offre. Je pense aux mesures de chômage partiel et à celles en faveur des ménages, qui doivent redonner de la confiance et faire redémarrer la demande. Je pense également à l'action de la Banque centrale européenne, qui a accentué sa politique accommodante au profit des banques de la zone euro, actives dans les départements et collectivités d'outre-mer de la zone euro.

J'évoquerai maintenant l'action conduite par les instituts d'émission d'outre-mer auprès des banques, des entreprises et des particuliers.

Pour les banques, nous sommes intervenus au titre de la politique monétaire de l'IEOM dans les collectivités du Pacifique, nous avons assuré la circulation du fiduciaire pendant toute la période du confinement, qu'il s'agisse des prélèvements ou des versements. En revanche, nous avons dû, pour des raisons sanitaires, suspendre le tri, ce qui nous a obligés à faire des approvisionnements fiduciaires pendant le confinement. À cet égard, je remercie le ministère des outre-mer, qui, dans le cadre d'une délégation de service public, nous a aidés à organiser ces approvisionnements, dans des conditions parfois délicates.

Pour les entreprises, nous avons assuré le suivi des prêts garantis par l'État (PGE), grâce à l'action de nos correspondants TPE, et la médiation du crédit. Pour les particuliers, nous avons étendu les possibilités d'effectuer les démarches en ligne. Nous avons également conduit un certain nombre d'études économiques destinées à éclairer les acteurs.

L'IEOM a mis en place des mesures de soutien au secteur bancaire des collectivités du Pacifique. Jusqu'à présent, nous utilisions un instrument unique, le réescompte de crédit, que nous déployions à hauteur de 12 milliards de francs Pacifique en moyenne. En décembre, à la suite des accords de Nouméa, nous avons ouvert pour la première fois une ligne de refinancement à six mois, à hauteur de 11,5 milliards, au taux de 0,20 %. Compte tenu de la crise, nous avons augmenté ces lignes de refinancement en mars à hauteur de 18 milliards. Nous sommes allés encore plus loin en déployant en mai une ligne de refinancement à 24 mois, à hauteur de 50 milliards, avec des taux négatifs oscillant entre - 0,10 et - 0,30 %. Il s'agit d'inciter les banques à soutenir les économies du Pacifique, à maintenir, voire à faire progresser leur encours de crédit aux entreprises.

Parallèlement, nous avons étendu nos garanties, jusque-là centrées exclusivement sur les créances aux entreprises, aux créances immobilières privées résidentielles. Cette semaine, nous renouvelons une ligne de refinancement à douze mois, à hauteur de 25 milliards. Au total, on est passé d'une moyenne de 10 milliards de francs Pacifique d'intervention en décembre 2019 à plus de 100 milliards. Dans le sillage de la Banque centrale européenne, l'IEOM, la banque centrale de la zone Pacifique, a aussi été présente pour soutenir les banques des géographies ultra-marines.

Dans le domaine des prêts garantis par l'État, l'action des instituts a été double. Nous avons tout d'abord suivi la mise en place des PGE dans les départements et les collectivités d'outre-mer de la zone euro en organisant régulièrement des réunions de banquiers. Deux réunions ont été organisées en mai, à la demande du ministère des outre-mer, afin de vérifier que tout était en place pour la diffusion des PGE et que les montants accordés étaient conformes au poids des outre-mer dans l'économie française.

Notre action a ensuite consisté à adapter les PGE aux collectivités du Pacifique, car Bpifrance n'était pas en mesure de le faire - d'une part parce que les entreprises de cette zone disposent non pas d'un numéro Siren mais d'un numéro Tahiti ou d'un numéro Ridet, d'autre part parce que les prêts sont exprimés en XPF. Nous avons donc travaillé avec Bpifrance, avec le ministère des outre-mer et la direction générale du travail et sommes rapidement parvenus à attribuer des numéros Siren dérogés aux entreprises du Pacifique qui souhaitaient bénéficier d'un PGE et à nous organiser pour le reporting de ces prêts.

Au 5 juin, les outre-mer, départements et collectivités d'outre-mer confondus, représentait 2,4 % des bénéficiaires de PGE et 2,3 % des montants accordés, sachant qu'ils comptent pour 2,4 % du PIB de la France entière. L'aide apportée aux entreprises ultra-marines dans le contexte de la crise du Covid-19 est donc proportionnelle au poids des outre-mer dans l'économie française.

Dans toutes nos agences, un correspondant TPE est à la disposition des dirigeants des entreprises. Durant la crise, nous avons été sollicités par 161 dirigeants en deux mois, ce qui est bien plus que d'habitude.

Nous effectuons également dans toutes nos agences de la médiation du crédit. Durant la crise, cette médiation a été principalement orientée vers les entreprises n'ayant pu, pour diverses raisons, bénéficier de PGE. Nous avons été sollicités par 234 entreprises en un mois et demi. C'est beaucoup, mais la courbe s'aplatit, car les entreprises trouvent des réponses grâce aux PGE et au fonds de solidarité. On s'attendait à un nombre de saisines beaucoup plus élevé. Cela signifie que les entreprises arrivent à trouver des réponses auprès de leurs banques ou des apporteurs de capitaux.

Pour les particuliers, nous suivons de très près l'inclusion bancaire, c'est-à-dire le droit au compte, les dispositifs de traitement du surendettement et l'infobanque. Nos guichets étaient fermés pendant la pandémie, mais les services en ligne ont été sollicités : le nombre de demandes est passé de 416 en janvier à 487 en avril. Les commissions de surendettement se sont bien tenues, en visio-conférence. Aujourd'hui, nos guichets sont rouverts, de façon plus limitée que par le passé, mais nous incitons les usagers à déposer leur dossier de surendettement sur internet.

Pour conclure, je vous invite à vous reporter aux différentes études locales qui ont déjà été publiées. Les liens pour y accéder figurent en dernière page de ma présentation.

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