J'évoquerai tout d'abord le bilan du confinement. L'Agence française de développement finance actuellement des enquêtes à La Réunion et à Mayotte sur la perception des effets sociaux de la crise sanitaire. De telles enquêtes sont réalisées en métropole depuis plusieurs mois. Elles ont notamment alimenté le Conseil scientifique, au sein duquel siégeait un sociologue. Elles ont permis de juger de l'acceptation des mesures de distanciation, des politiques publiques, d'évaluer l'évolution de l'opinion. Nous étendons nos enquêtes à La Réunion et à Mayotte afin de ne pas avoir uniquement des références métropolitaines.
La première série d'enquêtes a lieu en ce moment, les résultats devraient être disponibles d'ici à la fin du mois. Une deuxième série sera réalisée en septembre pour mesurer les évolutions de l'opinion.
L'impact du premier mois de confinement a été légèrement inférieur dans les économies d'outre-mer, à l'exception de la Nouvelle-Calédonie. Cela s'explique pour l'essentiel par le poids du secteur public dans ces territoires, supérieur à ce qu'il est en métropole. Nous avons l'impression - mais cela reste à vérifier une fois connues les données du deuxième trimestre - que l'impact porte sur un champ productif plus restreint, le secteur non marchand étant plus important dans les territoires d'outre-mer, mais que l'incidence de la crise est plus forte sur certaines activités marchandes particulièrement exposées que sur les mêmes activités en métropole. C'est lié à la nature du tissu d'entreprises, mais aussi, de manière plus générale, à l'ultra-périphéricité et à ses contraintes.
À court terme, la baisse d'activité devrait être de l'ordre de 30 %, contre 34 % pour l'ensemble de la métropole. L'INSEE a publié une étude intéressante début mai sur l'ensemble des régions françaises : on voyait très clairement que les départements d'outre-mer étaient moins impactés que les régions de la métropole.
On peut en revanche être plus inquiet sur la relance et les perspectives à court et à moyen termes. Nous n'avons pas encore fait de simulations sur l'année 2020 et au-delà. Nous aurons cet automne une vision plus fiable de l'ampleur de l'impact de la crise sur l'ensemble de l'année. Pour l'instant, les travaux réalisés reposent sur des enquêtes menées au tout début du confinement, fin mars et début avril. Nous publierons à l'automne une étude sur l'impact de la crise sur l'ensemble des territoires d'outre-mer, pour le comparer à celui qui est observé en métropole, voire, si l'on obtient des données, sur d'autres territoires - je pense aux régions ultrapériphériques espagnoles et portugaises -, pour voir si des spécificités se dégagent.
L'incidence du choc sectoriel nous semble plus prononcée, mais elle porte également sur un champ productif plus restreint.
L'AFD finance également une étude sur la perspective d'une relance à la fois décarbonée et socialement juste, confiée au cabinet Carbone 4, dirigé par Jean-Marc Jancovici. Le travail a commencé depuis plus d'un mois sur cinq sites : La Réunion, Mayotte, Guadeloupe, Guyane et Nouvelle-Calédonie. Les premières recommandations sont attendues d'ici l'été. Seront notamment débattus l'évolution des dispositifs de défiscalisation, la mise en place d'un livret d'épargne populaire 5.0, les investissements à prévoir sur un horizon de trente ans, les réglementations, les mesures transverses et les contreparties « bas carbone » à exiger des entités bénéficiant du soutien de l'État.
Une autre étude d'envergure porte sur la dynamique du modèle de croissance à long terme des outre-mer, sujet déjà abordé lors de notre conférence CEROM (Comptes économiques rapides pour l'outre-mer) fin 2019.
La problématique de la convergence des outre-mer et de la métropole a pour l'instant été abordée essentiellement en termes de PIB par habitant. Depuis les années 1960, on constate un grand rattrapage sur cet indicateur. La moitié du chemin a été parcourue, mais un écart de 35 % subsiste encore entre les DOM et la métropole. Cet objectif a-t-il toutefois du sens ? Au cours des vingt dernières années, les travaux d'économie ont montré, pour les régions métropolitaines, une réelle déconnexion entre l'évolution du PIB par habitant et celle du revenu disponible brut des ménages. Paradoxalement, les régions où le PIB par tête a augmenté le plus vite sont aussi celles où le revenu brut disponible par habitant a progressé le plus lentement. Cette déconnexion est particulièrement notable pour l'Île-de-France, par exemple. Il faut prendre en compte l'effet des transferts sociaux, mais aussi de « l'économie résidentielle », avec un découplage croissant des lieux de résidence et des lieux d'activité professionnelle. Les revenus générés par la production ne sont pas forcément consommés sur le lieu même de cette production.
Pour les outre-mer, il me semble donc essentiel de s'intéresser, non seulement au PIB, mais aussi à l'évolution à long terme du revenu disponible brut par habitant, en intégrant bien évidemment la question des transferts de la métropole. Finalement, quel couple transferts publics-gains de productivité permettrait-il de contribuer à cette convergence des revenus disponibles bruts ?
D'ores et déjà, la convergence est nettement plus marquée en termes de revenu disponible brut qu'en termes de PIB par habitant, la Martinique ayant presque rejoint les Hauts-de-France sur le premier critère.
Au niveau de la productivité, il faut certes considérer les facteurs classiques portant sur le travail et le capital - le gap entre les outre-mer et l'Hexagone est encore important en la matière -, mais aussi des facteurs organisationnels et qualitatifs. Il ne faut pas tant raisonner en volume qu'en qualité de la dépense publique et de l'investissement.
L'AFD a enfin mené un exercice sur les perspectives à moyen terme de la Nouvelle-Calédonie. Les simulations réalisées dans le rapport du cabinet DME nous inspirent certaines inquiétudes. Le choc sur l'année 2020 devrait être légèrement inférieur à celui enregistré en métropole, le confinement intérieur n'ayant duré qu'un mois. On peut imaginer un rebond de la croissance en 2021, mais, à partir de 2022, on ne voit pas bien comment l'économie de l'île pourrait emprunter un sentier de croissance plus dynamique que celui de la quasi-stagnation qu'il connaît depuis cinq ans. Dans ces conditions, on retrouverait le niveau d'activité de 2019 au mieux en 2025 ou 2026, selon des estimations partagées par DME.