Intervention de Olivier Léna

Délégation sénatoriale aux outre-mer — Réunion du 18 juin 2020 : 1ère réunion
Étude sur l'urgence économique outre-mer à la suite de la crise du covid-19 — Table ronde sur les données statistiques et perspectives économiques

Olivier Léna, directeur régional de l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) Antilles-Guyane :

Nous avons établi les données que nous vous présentons en collaboration avec le CEROM en exploitant les projections économiques sur une période infra-annuelle.

En Guadeloupe, le recul observé de l'activité a été de 20 % par rapport à la normale. Cela correspond à un impact de 3 % sur le PIB. Cette crise a été essentiellement causée par la baisse drastique, de 28 %, de la consommation des ménages. Les investissements sont aussi en net recul, de 19 %. La production des entreprises baisse aussi, et donc le besoin en consommation intermédiaire. La baisse de la consommation des ménages entraîne celle des importations, mais la balance commerciale est restée déficitaire du fait de l'effondrement des exportations, qui chutent de 83 %.

La consommation des ménages est en temps normal le moteur de la croissance en Guadeloupe. Sa contraction, due au confinement et à la fermeture des commerces non essentiels, représente 80 % de celle de l'économie. La baisse des revenus reste quant à elle contenue, du fait de l'augmentation des prestations sociales et du recours au chômage partiel, rapidement mobilisé par les employeurs afin de réduire leurs effectifs tout en maintenant les contrats de travail. Dès lors, on observe logiquement une forte hausse de l'épargne, estimée à 57 % sur la période de confinement. Le taux d'épargne s'est accru de 18 %.

En Guadeloupe, la baisse de l'activité économique pendant le confinement s'avère quelque peu inférieure aux projections antérieures. La valeur ajoutée du secteur industriel a chuté de 80 % en valeur, ce qui est énorme ; dans le commerce, cette baisse est de 36 % ; dans la réparation automobile, de 50 % ; dans le transport et l'entreposage, de 56 %. Quant à la balance commerciale, elle est restée dégradée. L'activité portuaire s'est poursuivie afin d'éviter les pénuries alimentaires, malgré quelques tensions sur la farine, le lait ou les oeufs. La diminution de la production a entraîné une chute de 33 % des importations en valeur ; les importations de carburant ont chuté de 60 %, seules celles de denrées alimentaires sont en hausse, de 11 %. L'effondrement des exportations correspond en valeur absolue à la baisse plus limitée des importations, autour de 165 millions d'euros : l'effet du confinement sur la balance commerciale est donc à peu près neutre.

La reprise économique après le confinement reste incertaine en Guadeloupe ; elle dépendra de la consommation des ménages, du nombre de défaillances d'entreprises et de la reprise du tourisme.

La situation structurelle de la Martinique est voisine de celle de la Guadeloupe ; le recul de l'activité économique y est de 18 %. La consommation des ménages a chuté. Les investissements ont reculé de 24 % et les importations de 22 % ; le déficit de la balance commerciale baisse légèrement en dépit d'une chute de moitié des exportations.

La consommation des ménages est le moteur de la croissance en Martinique comme en Guadeloupe ; elle y est donc également le principal facteur de contraction de l'économie. Elle a diminué de 27 %, soit 215 millions d'euros. Cela correspond à un impact de 2,4 % sur le PIB pour 2020. Les revenus des ménages ont également diminué, même si cette baisse a été contenue, grâce notamment au chômage partiel. Là encore, l'épargne a donc augmenté, de 66 %, pendant le confinement.

Le recul de l'activité a constitué un choc d'ampleur variable suivant les secteurs. La valeur ajoutée du secteur industriel s'est effondrée de 80 % ; dans le commerce, cette chute est de 34 % ; dans le transport et l'entreposage, de 49 % ; dans la réparation automobile, de 56 % ; dans la construction, de 32 %. De nombreuses mesures de soutien aux entreprises ont été mises en place, des PGE aux moratoires sur les remboursements d'emprunts, ce qui a atténué les effets de la crise.

Les échanges extérieurs sont en net recul, du fait du recul de la demande intérieure et de la consommation intermédiaire des entreprises. Les importations de carburant ont chuté de 72 % ; celles de denrées alimentaires ont en revanche augmenté de 35 %. Les exportations ont baissé de moitié, soit 90 millions d'euros. La balance commerciale est légèrement moins dégradée - de 6 millions d'euros - qu'à la normale, ce qui diminue l'impact de la crise.

À la Guyane, où certains établissements ont dû suspendre ou diminuer fortement leur activité, l'entrepreneuriat a été fortement touché : en avril et en mai, le nombre de créations d'entreprise a chuté de 68 % par rapport à 2019. Le ralentissement de l'activité économique est estimé à 25 %, soit un impact négatif sur le PIB pour 2020 de 3,9 %. La consommation des ménages a diminué de 22 % en volume, les exportations - l'activité spatiale du centre de Kourou étant complètement suspendue - ont chuté de 75 % et l'investissement a diminué de 20 %. La baisse de la valeur ajoutée produite est de 22 % dans le transport et l'entreposage, de 36 % dans le commerce, de 59 % dans la réparation automobile et de 75 % dans l'industrie. Les importations diminuent également, de 17 %. La balance commerciale fortement déficitaire a un impact négatif de 2,4 % sur le PIB annuel ; les lancements spatiaux programmés pour la suite de l'année devraient l'atténuer. Par ailleurs, la baisse des revenus est, là aussi, contenue grâce à l'augmentation des prestations sociales et au recours au chômage partiel, ce qui entraîne une hausse de 52 % de l'épargne.

La Guadeloupe, la Martinique et la Guyane connaissent donc des situations similaires. La reprise économique y est incertaine ; elle dépend de nombreux facteurs, à commencer par la capacité de chaque territoire à juguler la pandémie. La circulation du virus reste active en Guyane et l'on craint partout une nouvelle vague.

La crise du Covid-19 risque d'accentuer les fragilités structurelles des outre-mer, où le tissu entrepreneurial est essentiellement constitué de TPE dont la situation financière dépend pour beaucoup de la trésorerie disponible. Des mesures de soutien aux entreprises semblent donc nécessaires.

Par ailleurs, le taux de pauvreté est trois fois plus élevé dans ces collectivités qu'en métropole : une personne sur trois est sous le seuil de pauvreté en Guadeloupe et en Martinique ; une sur deux en Guyane. La pauvreté touche singulièrement les chômeurs, les familles monoparentales et les jeunes ménages. Le niveau de vie reste inférieur à celui de la métropole et les inégalités y sont plus fortes ; les prestations sociales restent la principale composante du revenu disponible des ménages les plus modestes. En outre, l'économie informelle y tient une place importante. De ce fait, le confinement aura pu encore aggraver les inégalités.

La reprise économique dans ces territoires dépend aussi du redémarrage du tourisme et du trafic aérien. L'économie locale et, en particulier, le secteur du commerce ont par ailleurs un caractère oligopolistique ; la concurrence réduite peut causer une hausse des prix. Enfin, l'impact de la crise sur l'emploi devrait être concentré sur les secteurs des services et du commerce, mais il devrait être amorti par la part importante de l'emploi public. Tout l'enjeu des politiques publiques est donc d'accompagner les différentes composantes de l'économie locale de manière à ne pas aggraver ces fragilités structurelles.

Par ailleurs, la crise aura en 2020 un impact sur les finances des communes de ces territoires, à la santé financière déjà fragile. Cela affectera au premier chef leur capacité à soutenir le secteur privé au travers de la commande publique. Par ailleurs, leur capacité de désendettement se voit dégradée. Les mesures d'urgence prises par le Gouvernement pour les collectivités locales devraient limiter l'impact de la crise sur leurs recettes, mais ce dossier ne doit pas être oublié.

Quel modèle économique d'avenir pour les outre-mer ? C'est en tant qu'économiste et connaisseur des îles antillaises, mais aussi de la Corse, dont le développement est quelque peu similaire, que je voudrais offrir quelques pistes de réflexion.

La croissance de long terme dépend des infrastructures, logistiques, portuaires, ou encore numériques. Elles doivent être confortées pour améliorer la compétitivité des entreprises implantées dans les collectivités d'outre-mer. L'accès au réseau 4G est de ce point de vue crucial. Les transports locaux doivent aussi être améliorés. Enfin, l'infrastructure réglementaire doit être conçue de manière à accompagner les exportateurs.

Un second élément essentiel pour la croissance est la formation qualifiante. Les jeunes les mieux formés quittent ces territoires. Il faut trouver le moyen de capter cette jeunesse tentée par la métropole, de soutenir les projets innovants et d'accompagner les jeunes entrepreneurs.

Les secteurs à forte valeur ajoutée, ceux qui bénéficient d'avantages comparatifs, doivent faire l'objet d'investissements : le développement durable, l'agriculture biologique ou de haute qualité, ou encore le tourisme haut de gamme, pour lequel manque encore trop souvent le service à la personne. Dans tous les cas, il faut favoriser l'innovation.

Enfin, le vieillissement est un problème croissant en Guadeloupe et en Martinique ; la proportion de jeunes actifs dans la population y diminue. En 2016, un quart de la population martiniquaise avait plus de 60 ans, 23 % en Guadeloupe. Les politiques publiques en direction des personnes âgées devraient de ce fait évoluer.

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