Intervention de Nicolas Prud'homme

Délégation sénatoriale aux outre-mer — Réunion du 18 juin 2020 : 1ère réunion
Étude sur l'urgence économique outre-mer à la suite de la crise du covid-19 — Table ronde sur les données statistiques et perspectives économiques

Nicolas Prud'homme, directeur de l'Institut de la Statistique de la Polynésie Française (ISPF) :

Je vais essayer d'être complémentaire par rapport aux interventions précédentes. L'ISPF n'a pas du tout le même statut que la direction générale de l'INSEE ou que l'ISEE de Nouvelle-Calédonie. Nous sommes un établissement public administratif qui dépend du pays et non pas une direction du ministère des finances comme l'INSEE peut l'être en métropole.

Par rapport aux différents échanges, je tiens aussi à préciser que le système d'informations en Polynésie, les données ne sont pas forcément prises en compte avec la même sensibilité, capacité, et comparabilité que dans un DOM « classique ». Je pense qu'il y a un petit peu de retard sur la prise de conscience de l'intérêt d'avoir des indicateurs pertinents, continus, fiabilisés et de qualité.

La crise sanitaire, un peu comme en Nouvelle-Calédonie, n'a pas touché aussi fortement le territoire. Nous avons eu deux-trois hospitalisations et soixante cas. L'ouverture du ciel est programmée à partir du 1er juillet, avec le souhait de pouvoir supprimer le sas sanitaire. Ainsi, à partir du 15 juillet 2020, il n'y aura plus de quarantaine en Polynésie française. Le tourisme est composé de 65 % de touristes américains et de français.

Il y a un point de vigilance sur la situation de la Caisse de prévoyance sociale qui risque d'être en défaut de paiement à partir du mois de septembre 2020. Comparé à l'Hexagone, il s'agit d'une unique caisse qui gère à la fois les minimas sociaux, l'aide, les salariés et le financement de l'hôpital public.

Concernant le chômage, je souhaite attirer l'attention sur une enquête « emploi » que nous avons réalisé en Polynésie. Nous avons un taux de chômage de l'ordre de 14 % mais il est faible dans la mesure où les gens ne recherchent pas forcément un emploi et ne sont pas considérés comme chômeur au sens du BIT. Il s'agit d'un chiffre en trompe-l'oeil qui cache une réalité de difficultés d'accès à l'emploi et de quantités d'emploi par rapport aux actifs présent sur le territoire.

L'enquête « budget des familles » démontre que la Polynésie est un des territoires les plus inégalitaires, qui peut se rapprocher de la Guyane ou de la Nouvelle-Calédonie, avec un système d'imposition indirect, via la TVA, qui permet d'avoir des crédits et des recettes du pays disponibles rapidement. En revanche, l'inconvénient en cas de crise, comme c'est le cas actuellement, est que les recettes fiscales sont en chute car il n'y a plus de consommation.

Il n'y a pas non plus d'amortisseurs sociaux comme on peut le voir dans l'Hexagone. Il y a une prise de conscience du pays qui a souhaité mettre en place un plan de sauvegarde de l'économie avec notamment une aide de 800 euros par mois à tous les salariés qui étaient impactés au moment de la crise. Tout cela soulève la question du financement de ces mesures si l'économie ne redémarre pas.

Une baisse d'activité de 34 % a été enregistrée avec trois points de PIB en moins par mois de confinement. À la demande du Haut-Commissariat, nous avons réalisé un modèle de scénario pour anticiper les effets de la crise. Nous envisageons une perte de PIB de - 22 % pour 2020 avec une reprise étalée sur six à huit ans. En effet, les effets sur l'emploi sont en décalage par rapport à la baisse d'activité. Ainsi, lorsqu'on commence à descendre à - 18 % à - 20 % d'impact négatif sur la croissance économique, cela peut présager une chute de - 10 points voir - 15 points de destruction d'emplois mais aussi un manque à gagner important des recettes fiscales.

Je suis inquiet lorsque j'entends le pays faire état de rigueur budgétaire. D'un point de vue économique, il est important de dépenser et de pouvoir alimenter la consommation des ménages car il s'agit du principal moteur de l'économie.

Sur les politiques de relance, nous avons mis en place, avec le CEROM, une enquête réalisée en juin sur la base du mois de mai et qui va être reproduite en juillet. Cela nous a permis d'interroger les entreprises pour anticiper leur vision, les licenciements potentiels et leur prévision de chiffres d'affaires. Nous n'avions pas forcément un système d'informations qui était prêt à être réactif face à ce genre de crise. Nous avons dû innover en mettant en place des enquêtes, en consultant (par exemple le MEDEF) et en essayant de pouvoir récupérer toute la donnée possible pour apprécier au mieux la situation économique.

Sur les leviers, les acteurs économiques locaux souhaitent davantage d'indépendance alimentaire. Cela risque d'être compliqué d'être totalement autonome mais en tout état de cause il est nécessaire de réduire cette dépendance en développant efficacement le secteur agricole en Polynésie. La question du foncier est essentielle puisque peu de terres appartiennent au pays. De ce fait, la gestion de l'aménagement du territoire est plus compliquée que dans l'Hexagone. Écologie, développement durable et biodiversité sont mis en avant en Polynésie de la même façon qu'en Nouvelle-Calédonie.

Au regard du bilan démographique, le vieillissement de la population et le non-renouvellement des générations risquent d'impacter la prise en charge des plus anciens. La question de la « silver économie » sera un sujet majeur et pertinent dans les années à venir notamment pour le financement de la prestation sociale et de la Caisse de prévoyance sociale.

Tout ce qui représente la technologie de la donnée à forte valeur ajoutée est fondamentale avec par exemple les idées de « data center ». Avec les douze heures de décalage avec la métropole, nous pourrions assurer une continuité de service pour la Polynésie.

Cela nécessite inéluctablement le développement des compétences. Pour vous fournir un exemple concret, je suis passé par la Martinique. Comparé aux DROM où les fonctionnaires d'État vont être formés en formation initiale et continue, le statut de fonctionnaire en Polynésie date de vingt ans, avec très peu de formation. Il y a donc un réel souci de capital humain au niveau du territoire.

Concernant les inégalités, les positions dominantes sont davantage marquées car c'est un petit territoire. Cela ne facilite pas la libre concurrence et accentue la vie chère. La Polynésie peut servir de laboratoire, par rapport à l'Hexagone, avec des expérimentations qui pourraient être menées sur certains territoires.

Le fait de pouvoir attirer les capitaux étrangers est un sujet récurrent car la Polynésie, placée au milieu du Pacifique, n'est pas une ligne commerciale et donc le transport coûte cher. Il y a la question de développer des zones franches et d'améliorer la valeur ajoutée des produits du pays destinés à l'exportation. Par exemple, les perles sont exportées sans valeur ajoutée c'est-à-dire qu'elles sont vendues en brut vers la Chine qui s'occupera de la transformation produisant de la valeur.

L'Autorité de la concurrence a été mise en place dans le pays depuis quatre ans afin d'éviter les situations de monopole et d'abus de position dominante. Elle n'est pas toujours soutenue au niveau local, ce qui cause des difficultés.

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