Le projet de contrat d'objectifs et de moyens qui nous est présenté comporte un certain nombre d'avancées, dont plusieurs répondent aux préoccupations que notre commission avait déjà exprimées.
Premièrement, l'équilibre économique de l'agence n'était jusqu'à présent pas garanti. L'objectif de quasi-autofinancement fixé à l'agence à sa création en 2014 n'était pas soutenable compte tenu de la nature de son activité. Cela nous avait conduits à préconiser, au travers de notre rapport-bilan de 2018 un financement supplémentaire de l'État pour certains projets confiés en gestion déléguée par la Commission européenne à l'agence, projets de caractère souvent stratégique mais n'étant pas assez rémunérateurs, à l'instar de ce que pratiquent déjà l'Allemagne ou la Belgique. Le projet de contrat d'objectifs et de moyens franchit ce pas décisif en prévoyant, enfin, un tel soutien.
Ce contrat indique aussi que les opérations bilatérales financées par la commande publique des ministères seront « rémunérées au juste prix pour permettre à Expertise France de couvrir ses coûts ». Il était temps !
En outre, après un début difficile, les financements dont bénéficie Expertise France en provenance de l'AFD sont désormais beaucoup plus importants, avec 130 millions d'euros de projets financés en 2019 contre moins de 40 millions d'euros en 2018.
Enfin, la commande publique des ministères affiche elle-même une forte hausse, atteignant environ 75 millions d'euros à partir de 2020, une part non négligeable du chiffre d'affaires de l'agence.
Au total, Expertise France pourra continuer sa croissance sur des bases plus saines et plus solides. Nous estimons que l'effort ainsi accompli marque la reconnaissance, par les pouvoirs publics, de la pertinence du modèle de l'agence et de sa forte plus-value pour projeter l'expertise française à l'international. À titre personnel, je regrette que cette reconnaissance n'ait pas eu lieu dès la création de l'agence ; cela aurait évité bien des aléas...
Deuxièmement, le contrat d'objectifs et de moyens prévoit un nouveau dispositif pour améliorer les relations entre Expertise France et les ministères pourvoyeurs d'expertise : la mise en place de comités consultatifs opérationnels rassemblant les représentants des ministères qui mobilisent l'agence. Ces nouvelles instances sont en cours d'installation ; il est donc encore trop tôt pour évaluer cette réforme, qui va néanmoins, nous semble-t-il, dans le bon sens.
Troisièmement, un succès a été obtenu sur le front de l'achèvement du regroupement des opérateurs, prévu par la loi du 7 juillet 2014 d'orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale, afin de supprimer les doublons et de donner au nouvel opérateur une taille critique. Le comité interministériel de la transformation publique a en effet décidé, le 15 novembre 2019, de rattacher JCI à Expertise France. Nous nous en félicitons, car cette dernière met notamment en oeuvre des projets confiés par l'Union européenne en gestion déléguée dans le champ du renforcement des services judiciaires et de l'amélioration de la chaîne pénale. Cette fusion donnera ainsi davantage de cohérence et d'impact à l'expertise française dans ce domaine et atteste que les préconisations de Jean-Pierre Vial et moi-même n'étaient pas dénuées de fondement.
Quatrièmement, le projet de contrat d'objectifs et de moyens fait clairement de l'Afrique et des pays fragiles une priorité pour Expertise France. Il est ainsi prévu que l'agence signera annuellement 50 % de ses nouveaux contrats en Afrique, et qu'elle contribuera à l'effort de l'État dans les zones de fragilités telles que les bassins de crise du Sahel, du lac Tchad et de la République centrafricaine. Dans ces régions, l'appui aux opérations internationales de sécurité et de maintien de la paix, la stabilisation et le renforcement des États resteront au coeur des activités de l'agence.
Pour finir, je veux indiquer quelques éléments qui nous paraissent moins positifs et quelques interrogations relatives à l'avenir de l'agence.
En premier lieu, le Comité interministériel de la transformation publique du 15 novembre 2019 a décidé que l'opérateur agricole Adecia serait rattaché non à Expertise France mais à FranceAgriMer, l'établissement national des produits de l'agriculture et de la mer, et que France Vétérinaire International serait intégrée à l'école VetAgroSup. Le paysage administratif global est, certes, simplifié mais au détriment de la cohérence de l'expertise internationale française. Nous en prenons acte, mais il est important qu'Expertise France conserve de bonnes relations avec le ministère de l'agriculture et les autres acteurs de l'expertise agricole, car l'agence a plusieurs projets importants en cours dans le domaine de l'agriculture durable, tant en Amérique latine qu'en Afrique de l'Ouest ou encore au Liban.
En second lieu, si un gros travail a été accompli pour intégrer Expertise France au sein du groupe AFD, avec la mutualisation des fonctions supports et la conduite de nombreux projets en commun, certaines zones de flou persistent, que le contrat d'objectifs et de moyens ne dissipe pas. Aboutira-t-on à terme au rapprochement des statuts des salariés de l'un et de l'autre organismes ? Expertise France restera-t-elle autonome au sein du groupe AFD ? Le directeur général nous assure que oui, mais nous n'en avons pas la garantie. Ou sera-t-elle progressivement absorbée, ce qui serait la négation de bien des avancées ?
En tout état de cause, ces questions seront traitées dans le cadre de la future loi d'orientation sur la solidarité internationale et l'aide au développement ; nous devrons donc en examiner attentivement les dispositions.
Enfin, la préservation de l'autonomie d'Expertise France dépendra du renouvellement de l'accréditation à la gestion des fonds européens, qui conditionne la première source de financement de l'agence. La fin de l'année sera décisive à cet égard, avec le résultat de l'audit mené par la Commission.
Ainsi, sous réserve de ces quelques points de vigilance, Jean-Pierre Vial et moi vous proposons de donner un avis favorable au projet de contrat d'objectif et de moyens d'Expertise France pour 2020-2022.