Intervention de Patrick Serveaux

Délégation sénatoriale aux outre-mer — Réunion du 25 juin 2020 : 1ère réunion
Étude sur l'urgence économique outre-mer à la suite de la crise du covid-19 — Table ronde sur le tourisme

Patrick Serveaux, président de l'union des métiers et des industries de l'hôtellerie (UMIH) et de la commission tourisme du MEDEF Réunion :

Pour ceux qui ne connaissent pas La Réunion, rappelons que cette île est habitée par 850 000 personnes et que 550 000 touristes extérieurs viennent la visiter chaque année. La Réunion est aussi concernée par le tourisme local. Le chiffre d'affaires total du secteur est de l'ordre de 800 millions d'euros par an. Le tourisme fait travailler, en emploi direct, 11 500 personnes et environ 25 000 personnes en emploi indirect (agriculture, blanchisserie, par exemple).

Depuis le 18 mars 2020, les hôtels, les restaurants, les loueurs de voitures, les guides, etc. sont à l'arrêt. C'est un véritable drame pour ce pan de l'économie. 80 % de notre clientèle vient de France métropolitaine mais cette frange de notre clientèle ne peut aujourd'hui plus venir. En effet, les vols sont à l'arrêt ou presque. Le nombre de vols est fixé par la Direction générale de l'aviation civile (DGAC) et seuls 50 % des vols seront autorisés en juillet. Déjà, en temps habituel, les professionnels du tourisme de La Réunion se plaignent que les vols ne soient pas suffisamment nombreux mais les compagnies préfèrent programmer moins de vols mais pleins plutôt que d'ajouter des vols avec des avions remplis à 80 % de leur capacité, les compagnies ne souhaitant pas rogner sur la marge bénéficiaire qu'elles peuvent réaliser pendant la période estivale pour compenser d'autres périodes plus creuses. Si nous souhaitons relancer le tourisme sur l'île, il nous faut plus de vols vers La Réunion et non une capacité limitée à 50 % des vols par rapport à la période normale. Si cette décision n'est pas revue, il ne servira à rien de lancer de belles campagnes publicitaires sur le tourisme à La Réunion car les touristes n'auront pas la capacité physique de venir nous voir.

Concernant la typologie de notre clientèle, il est à relever que 20 % de nos clients sont logés en hôtels classés. Je suis donc très heureux d'entendre Nassimah Dindar annoncer qu'il faut s'intéresser également au secteur des tables d'hôtes et des gîtes car ce secteur fait aussi travailler beaucoup de Réunionnais. Sur notre île, la structure touristique est atomisée : nous avons très peu de grands groupes mais beaucoup de petites entreprises. Je regrette que nous ne mettions pas plus l'accent sur ces professionnels de petite taille qui font aussi le charme de la destination. Il ne faut pas que ce soit toujours les mêmes acteurs qui profitent des actions promotionnelles, laissant supposer que certains sont subventionnés toute l'année tandis que d'autres professionnels tirent la langue. Cette situation doit évoluer.

Depuis mars 2020, la situation épidémiologique a beaucoup évolué. Lundi 22 juin, 57 cas de coronavirus ont été enregistrés en France pour 67 millions d'habitants. C'est donc peu mais le « virus émotionnel », quant à lui, se propage très rapidement et il est très dangereux. Les décisions qui ont été prises ont tenu compte des demandes de la population afin de les protéger du risque de contamination venant de l'extérieur. Cependant, la fermeture des aéroports vient aussi mettre fin à l'activité économique. La Réunion n'a pas connu de première vague de l'épidémie mais elle pourrait connaître une deuxième vague économique et une troisième vague sociale. Il faut y prendre garde car les entreprises risquent de mourir si l'on ne fait rien.

Comme le dit le Président de la République, nous avons « fait nation » en permettant à la population de rester dans un état sanitaire sain, mais les entreprises doivent-elles payer cette décision ? Non, et il faut accompagner les entreprises pour relancer l'activité. Il convient de lancer une campagne de communication sur les outre-mer, et que cette campagne soit ambitieuse. Il ne suffit pas de mandater un influenceur sur chacun des territoires avec un budget de 20 000 euros pour relancer le tourisme. Les moyens à mobiliser sont plus conséquents. Il faut aussi mieux communiquer sur les moyens d'arriver sur notre territoire : aujourd'hui, les Réunionnais qui attendent de la famille pendant l'été ne savent pas quoi faire. Il faut donc informer et rassurer la clientèle.

Les perspectives doivent aussi s'élargir et nous devons réfléchir au tourisme que nous voulons promouvoir dans les années à venir. Nous devons faire en sorte de conserver le marché métropolitain mais il nous faut aussi aller chercher d'autres marchés. Aujourd'hui, nous tournons le dos à notre environnement régional car il est plus facile pour un Mauricien de se rendre à Paris que de venir à Saint-Denis de La Réunion ! De même, les visas distribués à Madagascar sont délivrés au compte-gouttes et, lorsque le quota est atteint, plus aucun visa n'est accordé. Avec ces décisions, La Réunion tourne le dos à la zone régionale de l'océan Indien. En outre, les vols sont bien trop onéreux pour les clients potentiels, mais rentables pour les compagnies aériennes. Ainsi, un vol de 220 kilomètres entre l'île Maurice et La Réunion peut donner lieu au paiement d'un tarif de 400 euros aller-retour. Il est certain que ce niveau de prix n'encourage pas les Mauriciens à venir à La Réunion, d'autant plus que leur pouvoir d'achat est globalement faible. Cette question des niveaux de prix devra donc être débattue.

Les dispositifs mis en place à La Réunion pendant la crise sont ceux que vous connaissez : le fonds de solidarité régional et le fonds de solidarité de l'État. Il convient aussi de citer le partenariat noué entre la Région et l'État pour lancer une opération chèques-vacances pour un montant de 15 millions d'euros. Ces chéquiers seront remis à 50 000 familles de La Réunion pour qu'elles puissent venir consommer dans nos établissements (hôtellerie, restauration, activités de loisirs). Nous veillons à ce que ces chéquiers ne soient pas utilisés dans la grande distribution pour ne pas distordre l'objectif de cette opération. En outre, ces chèques seront bonifiés et inciteront les locaux à se rendre dans nos établissements. La région finance aussi un plan de communication en complément du plan financé par l'État.

Je suggère aussi que nous proposions des packages au départ de Paris incluant l'hébergement, la restauration et au moins une activité de loisirs. Ces offres devront être proposées dès maintenant, et cela pour ne pas entrer en concurrence avec les affinitaires. Si nous voulons sauver notre saison touristique mais aussi les compagnies aériennes, nous pourrions acheter des blocs de sièges dès maintenant afin de pouvoir les vendre ensuite à des touristes.

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