Mes chers collègues. Nous examinons ce matin les conclusions de nos rapporteurs sur l'urgence économique outre-mer, sujet dont notre délégation a décidé de se saisir lors de sa réunion du 10 avril 2020, à la suite de la crise sanitaire liée à l'épidémie de Covid-19.
Le choix de ce sujet s'est imposé à nous dans ces circonstances en remplacement de l'étude que nous avions initialement programmée en novembre dernier sur l'aide publique aux investissements des collectivités ultramarines.
Comme vous le savez, notre délégation a, en effet, une triple mission institutionnelle qui figure depuis 2017 dans la loi : informer le Sénat de la situation des collectivités ultramarines, veiller à la prise en compte de leurs caractéristiques, contraintes et intérêts propres et participer à l'évaluation des politiques publiques les intéressant.
À l'instar du remarquable travail mené par les commissions parlementaires pendant la période de confinement, et en particulier de celui de la commission des affaires économiques réalisé dans le cadre de ses « cellules de veille, de contrôle et d'anticipation sectorielles », la délégation se devait de donner un éclairage complémentaire sur la situation dans les outre-mer, et d'apporter sa contribution aux travaux de réflexion menés par le Sénat sur la crise du Covid-19.
Je voudrais remercier tout particulièrement nos trois rapporteurs Stéphane Artano, Viviane Artigalas et Nassimah Dindar, qui ont eu la redoutable mission de conduire de nombreuses auditions, par visioconférence et en un temps record, avec des acteurs économiques intervenant depuis les trois bassins océaniques.
Compte tenu des délais et de la complexité des problématiques, une telle étude ne peut prétendre être ni exhaustive, ni définitive. Il s'agit plutôt d'« une remontée » de témoignages et d'observations recueillis « à chaud » et au plus près des territoires. Il appartiendra à d'autres sans doute de poursuivre ce travail que nous avons lancé dans l'urgence - c'est le cas de le dire - afin de peser sur la politique du Gouvernement.
Je voudrais vous livrer quelques éléments qui témoignent de l'ampleur et du sérieux de nos travaux qui sont en quelque sorte la « marque de fabrique » de notre délégation.
Au total, la Délégation sénatoriale aux outre-mer a procédé, en à peine deux mois, à plus de 34 heures d'auditions dans le cadre de 14 réunions plénières ayant réuni 73 participants !
Pour le présent rapport, comme à l'accoutumée les comptes rendus des auditions seront annexés au rapport d'information dont la retranscription représente environ 400 pages soit presque autant que chacun des deux rapports sur les risques naturels majeurs. Vous n'ignorez pas que la volonté du Sénat est de faire des rapports plus courts et ciblés mais celui-ci sera encore dans le format classique de la délégation...
Je voudrais insister aussi sur le fait que toutes ces réunions se sont tenues en visioconférence. Comme vous le savez, la délégation a été pionnière dans ce domaine malgré les contraintes de cet exercice que vous connaissez bien, comme les décalages horaires et l'articulation délicate avec le planning, également chargé, des commissions et autres délégations. Il faut se féliciter du fait que le confinement a obligé l'ensemble des instances du Sénat à adopter cette technologie que nous pratiquons à la délégation depuis 2014 !
Je précise à cet égard que pour la première fois notre réunion d'adoption du rapport se tient également en visioconférence. De plus, le président du Sénat a bien voulu nous accorder à titre exceptionnel une dérogation pour poursuivre notre travail selon ce mode de fonctionnement au-delà du 10 juillet et jusqu'à la fin de la session extraordinaire. Cela nous permettra de tenir une réunion le 16 juillet pour l'adoption du rapport sur les enjeux européens en 2020 que nous avons dû suspendre avec le confinement.
Pour mener à bien l'étude sur l'urgence économique outre-mer, je vous rappelle brièvement que la délégation a procédé à deux séries d'auditions.
Une première série, de nature transversale, a visé à dresser un panorama d'ensemble de la crise. La délégation a ainsi entendu la Fédération des entreprises d'outre-mer (FEDOM), l'Association des chambres de commerce et d'industrie des outre-mer (ACCIOM), l'Association pour le droit à l'initiative économique (ADIE) spécialisée dans la microfinance ainsi que trois grandes institutions financières très mobilisées durant cette crise : l'Agence française de développement (AFD), la Banque des territoires du groupe Caisse des dépôts (CDC) et Bpifrance.
Après un large échange avec la ministre des outre-mer, le 14 mai, un premier point d'étape a été adressé au Premier ministre ainsi que 20 propositions articulées autour de deux axes : l'évaluation des dispositifs nationaux au regard des spécificités du tissu entrepreneurial ultramarin et l'accompagnement nécessaire des collectivités locales.
Dans sa réponse, le Premier ministre Édouard Philippe a bien voulu m'indiquer que les perspectives tracées dans ce document étaient « pleinement partagées par le Gouvernement » et a détaillé un certain nombre de points d'accord, concernant notamment le maintien de la capacité d'investissement et du soutien à l'économie des collectivités locales d'outre-mer. Nous avons également pris acte, avec satisfaction, des assouplissements opérés par les récentes lois de finances rectificatives et par voie règlementaire, élargissant l'accessibilité des dispositifs pour les très petites entreprises qui constituent l'essentiel du tissu économique local.
Dans un second temps, les rapporteurs ont lancé une nouvelle série d'auditions axées sur des thématiques sectorielles : le transport aérien, le BTP et le logement social, l'agriculture et la pêche, le numérique, les données statistiques et le tourisme. Chacune des six tables rondes a constitué une première et souvent une prouesse technique vu les décalages horaires : lorsqu'il était 14 heures à Paris - l'heure généralement de nos réunions -, il était minuit à Wallis-et-Futuna, 2 heures en Polynésie, 8 heures aux Antilles, 15 heures à Mayotte, 16 heures à La Réunion et 23 heures en Nouvelle-Calédonie....
Ces échanges ont été particulièrement riches car nous avons ainsi pu réunir en moyenne une dizaine d'acteurs économiques simultanément depuis leurs territoires respectifs. Je crois qu'une fois de plus nous avons été précurseurs et j'espère que la délégation conservera cet acquis lors de ses futurs travaux.
Notre ambition est que ce travail d'investigation et les recommandations qui en découlent servent au nouveau Gouvernement et au nouveau ministre des outre-mer pour « bâtir la relance » qui peine à voir le jour dans nos territoires.
En effet, après l'urgence sanitaire - et nous n'oublions pas pour autant la situation à Mayotte et en Guyane -, l'heure est aujourd'hui à l'urgence économique face à la brutalité d'une crise dont la délégation a recueilli de nombreux témoignages auprès des acteurs de terrain.
Je n'en dirai pas plus car nos rapporteurs dont je salue à nouveau le travail vont vous en rendre compte.
J'ai eu l'occasion de le dire à plusieurs reprises au cours de ces dernières semaines. Face aux évènements, les ultramarins ont pour habitude de garder espoir et nous devons avoir foi dans notre capacité à nous relever. Nous avons également tous constaté l'émergence de nombreuses initiatives et expérimentations démontrant une formidable capacité d'adaptation et d'innovation dans les territoires.
Résolus à capitaliser sur les expériences positives de la période récente, à l'exemple des acteurs du monde agricole et de la pêche qui ont su faire face aux besoins des populations locales, les outre-mer manifestent une forte volonté d'aller résolument de l'avant.
Il faut que l'État de son côté accepte de mieux accompagner les économies ultramarines dans leur nécessaire transformation, désormais incontournable. Vous savez combien cette question me tient à coeur et nourrit le travail sur la différenciation que je mène dans le prolongement des conclusions du groupe de travail sur la décentralisation et qui fera l'objet d'une publication en septembre avant la fin de mon mandat.
Je vous rappelle enfin, pour ceux qui pourront y assister, qu'une conférence de presse se tiendra dans le prolongement de cette réunion, toujours en visioconférence.
Sans plus tarder, je cède la parole aux rapporteurs et en premier lieu à Stéphane Artano pour le premier volet de l'étude.