Intervention de Viviane Artigalas

Délégation sénatoriale aux outre-mer — Réunion du 9 juillet 2020 : 1ère réunion
Urgence économique en outre-mer à la suite de la crise du covid-19 — Présentation du rapport

Photo de Viviane ArtigalasViviane Artigalas, rapporteure :

Monsieur le président, chers rapporteurs, chers collègues. Comme vient de nous le rappeler Stéphane Artano, la crise économique en outre-mer est déjà majeure. Mais elle risque d'être encore plus brutale si la reprise est tardive. Un ambitieux plan de relance doit donc d'ores et déjà être préparé pour permettre un redémarrage rapide des activités. À nos yeux, cette relance ne réussira qu'à trois conditions : elle doit être axée sur le désenclavement des territoires ; elle doit miser sur les secteurs leviers pour la croissance et elle doit toujours être territorialisée, c'est-à-dire différenciée selon les territoires.

Je commencerai par le soutien au secteur aérien, qui est primordial puisqu'il permet le désenclavement des territoires. Vous le savez, afin de préserver les outre-mer de l'importation du virus par voie aérienne, les liaisons entre outre-mer et l'Hexagone ainsi que les liaisons intérieures et inter-îles ont été fortement réduites pendant la crise. Il faut saluer l'engagement des compagnies aériennes qui se sont adaptées pour assurer des activités de rapatriement et pour acheminer du fret médical.

Les pertes pour le secteur aérien sont considérables. Les compagnies aériennes n'ont pu assurer que 5 % de leurs programmes de vol et ont dû dans le même temps continuer à assumer d'importantes charges fixes. Malgré les dispositifs d'aides mis en place, beaucoup d'entre elles sont aujourd'hui en grande difficulté.

Pour éviter la faillite de ces compagnies qui jouent non seulement un rôle capital pour la continuité territoriale mais aussi pour leur développement économique (plusieurs milliers d'emplois locaux directs et indirects), un fonds de soutien d'urgence pour les compagnies aériennes d'outre-mer doit être mis en place (proposition 18). Afin de préserver la trésorerie de ces compagnies, un fonds de garantie de l'État doit également être créé pour assurer la solvabilité des bons à valoir en cas d'annulation des billets (proposition 19).

Il faut des avions pour désenclaver les outre-mer mais il faut également des billets d'avion compétitifs pour assurer une réelle continuité territoriale. L'indispensable modération tarifaire des billets d'avion à destination des outre-mer impose d'exonérer ces compagnies de toute nouvelle augmentation de la fiscalité environnementale (proposition 20). Plutôt que d'envisager de nouvelles taxes pour les compagnies, la relance « verte » de l'aérien doit passer par un soutien au renouvellement des flottes, une flotte récente étant une garantie de consommation moindre de carburant (proposition 21). Le maintien d'une véritable concurrence entre compagnies permettra également de maintenir une modération tarifaire.

Enfin, la crise ne doit pas stopper les chantiers mis en oeuvre avant le Covid-19. La part des outre-mer dans le trafic international a régressé entre 2000 et 2018 : il reste donc indispensable d'améliorer la connectivité aérienne régionale des outre-mer (proposition 22).

J'en viens maintenant aux secteurs leviers pour la croissance. Le premier d'entre eux est le tourisme, dont la reprise d'activité dépendra fortement du redémarrage du secteur aérien. Soutenir l'un permet de faire redémarrer l'autre.

La crise est un cataclysme pour le tourisme en outre-mer. C'est un secteur vital pour les économies locales : il représente en moyenne 10 % du PIB des outre-mer mais va jusqu'à représenter 40 % des salariés du secteur marchand en Polynésie française.

Afin de permettre la venue de touristes dans les territoires ultramarins, les protocoles sanitaires doivent être rapidement clarifiés. À partir du 10 juillet, le test PCR avant départ deviendra obligatoire pour l'arrivée dans les outre-mer. Alors que les tests sont encore très difficiles à obtenir, l'obligation de présenter un test négatif à l'embarquement risque de se révéler difficilement praticable. Il conviendrait donc de permettre aux territoires qui le souhaitent de tester les passagers à leur arrivée à l'aéroport (proposition 16). Par ailleurs, le souci de différenciation que j'évoquais en préambule doit ici pleinement s'appliquer. Les protocoles sanitaires doivent être différenciés suivant les territoires, selon leurs conditions sanitaires (proposition 17). Ainsi, Wallis-et-Futuna - qui est le seul territoire de la République préservé de l'épidémie - demande à ne rétablir des relations qu'avec les territoires dont l'état sanitaire est certain, compte tenu de certains facteurs de risques de sa population comme le diabète ou l'obésité. Les volontés des territoires doivent être respectées.

Les campagnes de promotion touristique doivent également être adaptées aux réalités des outre-mer (proposition 23). Atout France a ainsi déployé dans l'Hexagone et en Europe une campagne publicitaire « Cet été, je visite la France ». Celle-ci n'a guère de sens pour la Nouvelle-Calédonie, dont les vols sont suspendus jusqu'au 31 juillet 2020 à l'exception des vols de rapatriement et de fret.

Le tourisme local et le tourisme régional doivent être encouragés, même si nous avons conscience qu'ils resteront toujours insuffisants pour compenser les pertes du tourisme international. Il est notamment nécessaire de soutenir la demande intérieure en développant les dispositifs de chèques-vacances (proposition 24).

Encore insuffisamment développé, le tourisme régional doit être soutenu. Dans l'océan Indien, il reste malheureusement plus facile à un Mauricien ou un Malgache de se rendre à Paris plutôt qu'à Saint-Denis-de-La Réunion. Dans le Pacifique, le développement de bulles « covid free », c'est-à-dire d'accords de libre circulation entre territoires peu touchés par l'épidémie, pourrait permettre un redémarrage du tourisme dans ces territoires tout en rassurant les populations locales (proposition 25).

Enfin, la sortie de crise doit être une opportunité pour accompagner le tourisme ultramarin vers un modèle de tourisme durable. Si le tourisme de masse n'a jamais été très développé en outre-mer, les capacités touristiques des territoires commencent à être saturées (notamment s'agissant des croisières). La diversification des modes d'hébergement en outre-mer doit participer du développement d'un tourisme qualitatif (proposition 26). Par ailleurs, fort de leurs nombreux atouts (les outre-mer comptent pour 80 % de la biodiversité française), les territoires ultramarins peuvent miser pour l'avenir sur le développement d'un tourisme éco responsable (proposition 27).

Enfin, - et c'est mon troisième et dernier point - la relance en outre-mer doit s'accompagner d'un plan de soutien au secteur du BTP et du logement social.

La table ronde organisée par la délégation sur le BTP a été très constructive - le mot est adapté - et nous a rappelé que la crise du Covid-19 est intervenue dans un contexte de ralentissement déjà marqué pour le secteur en outre-mer. Bien que n'ayant pas fait l'objet de fermeture administrative à partir de mi-mars, le secteur de la construction a dû fortement réduire ses activités, avec des baisses de 65 % à 95 % selon les territoires. La reprise d'activité (alors que la période électorale prolongée a retardé l'engagement d'investissements publics) s'accompagne d'importants surcoûts. Les entreprises doivent en effet notamment prévoir des équipements de protection individuelle pour leurs salariés sur les chantiers. Or, si au niveau national, l'État encourage à une répartition des surcoûts entre les entreprises et les maîtres d'ouvrage, cette solution ne peut être appliquée en outre-mer, compte tenu des fragilités déjà importantes du secteur. Il conviendrait d'utiliser les crédits non consommés de la ligne budgétaire unique (LBU) pour permettre la prise en charge des surcoûts dans le BTP (proposition 28).

Par ailleurs, pour favoriser la relance, il apparait nécessaire de faciliter les formalités de passation de marchés, notamment en allégeant les obligations de publicité et celles de régularité sociale et fiscale (proposition 31). Du fait du rallongement des délais d'instruction des permis de construire, il serait également nécessaire de déroger au principe d'obtention préalable du permis de construire pour l'obtention des crédits LBU (proposition 29). À terme, le secteur du BTP devrait aussi intégrer le régime de compétitivité renforcée prévu par la LODEOM qui permet des exonérations de cotisations sociales employeurs (proposition 30).

Enfin, un plan de relance du BTP et du logement doit passer par des plans d'investissements massifs pour la construction, la rénovation et la réhabilitation. En outre-mer, le nombre de logements sociaux pour 1 000 habitants est inférieur à la moyenne métropolitaine. Le déploiement du Plan logement outre-mer (PLOM), tout comme le plan Séisme Antilles doivent être accélérés. La phase opérationnelle du PLOM doit être lancée dès septembre 2020 afin d'en ressentir les premiers effets d'ici septembre 2021 (proposition 33). Enfin, le chantier de l'adaptation des normes doit se poursuivre, avec la mise en oeuvre concrète des conclusions du rapport sénatorial sur le BTP outre-mer (proposition 34).

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