Intervention de Vivette Lopez

Délégation sénatoriale aux outre-mer — Réunion du 16 juillet 2020 : 1ère réunion
Les enjeux financiers et fiscaux européens pour les outre-mer en 2020 — Présentation du rapport

Photo de Vivette LopezVivette Lopez, rapporteure :

Monsieur le Président, chers rapporteurs, chers collègues. Demain et après-demain se tiendra à Bruxelles un Conseil européen extraordinaire dont l'objectif est d'aboutir à un accord politique sur le cadre financier pluriannuel (CFP) 2021-2027. Les difficultés actuelles sont immenses et la réunion risque, une fois de plus, d'aboutir à une impasse. Ce CFP est pourtant capital pour les outre-mer. Lors de la précédente programmation sur 2014-2020, les régions ultrapériphériques (RUP) françaises avaient ainsi bénéficié de près de 7 milliards d'euros via les fonds européens structurels et d'investissements (FESI). Les pays et territoires d'outre-mer (PTOM) quant à eux bénéficiaient jusqu'ici du Fonds européen de développement (FED) pour plusieurs dizaines de millions d'euros. Après vous avoir rappelé le contexte très particulier dans lequel s'inscrit ce cadre financier, je vous présenterai les points de vigilance retenus par la délégation s'agissant des RUP puis s'agissant des PTOM.

Vous le savez, ce cadre financier est triplement contraint. Il doit tout d'abord composer avec un manque à gagner estimé une dizaine de milliards d'euros du fait du Brexit. Il doit par ailleurs relever les défis fixés par la Commission européenne avant la crise (engagement pour le climat, réponse aux crises migratoires, investissements pour la recherche et l'innovation). Il doit enfin prévoir une relance des économies européennes après la crise du Covid-19.

De nouvelles propositions ont été présentées par la Commission européenne le 27 mai 2020. Pour desserrer la contrainte budgétaire sur les États membres, il reste indispensable de soutenir l'adoption de nouvelles ressources propres, comme s'y était engagée avant la crise la Commission européenne. Une « taxe plastique » et une contribution sur les recettes de quotas de marché carbone doivent être mises en place. Par ailleurs, alors que la Commission semble aujourd'hui plus prudente sur ce sujet, il est nécessaire d'obtenir la fin progressive des rabais d'ici 2025, afin de rendre plus juste la répartition des contributions entre États membres.

J'en viens désormais aux enjeux de ce CFP pour les RUP. De nombreuses inquiétudes sont à lever. Il y a tout d'abord la question du soutien européen à l'agriculture ultramarine. Ce soutien passe par le Poséi (programme d'options spécifiques à l'éloignement et à l'insularité), qui est financé par le premier pilier de la PAC. Malgré la revalorisation proposée par la Commission le 27 mai 2020, le montant programmé du Poséi pour 2021-2027 reste toujours en forte diminution par rapport à l'exercice 2014-2020. Il faut donc revaloriser encore le premier pilier de la PAC pour relever le budget du Poséi.

S'agissant de la pêche ultramarine, la Commission européenne propose un plafonnement à 50 % des plans de compensation des surcoûts (PCS) du Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (FEAMP). Ces PCS sont la reconnaissance des difficultés spécifiques de la pêche ultramarine. Certes, le FEAMP en outre-mer ne doit pas se limiter à la compensation des surcoûts et doit également promouvoir l'économie bleue et les nouveaux secteurs porteurs d'emplois. Mais le plafonnement des PCS limitera de fait l'aide directe aux entreprises de pêche et d'aquaculture dans les RUP. Il faut donc refuser le plafonnement à 50 % des PCS.

Un autre sujet d'inquiétude concerne les taux de cofinancement (c'est-à-dire la part maximale de financement des projets par l'UE). Ces taux s'élevaient dans la précédente programmation à 85 % dans les RUP contre 60 % ou 50 % dans les autres régions. Or, dans ses propositions de mai 2018, la Commission européenne suggérait d'abaisser ce taux à 70 %. Cet abaissement risquerait de mettre en péril le financement de nombreux projets en outre-mer. Il est donc nécessaire de conserver pour les RUP des taux de cofinancement à 85 %.

Les exigences de concentration thématique pour l'allocation des fonds reçus sont plus arrangeantes pour les RUP. Il n'en demeure pas moins que 65 % des fonds FEDER et FSE doivent être alloués aux concentrations stratégiques 1. « Europe intelligente » et 2. « Europe plus verte », domaines jugés prioritaires par l'Union européenne. Compte tenu du retard de développement de certains RUP, ces obligations de concentration doivent être assouplies. Des concentrations thématiques spécifiques au développement des outre-mer doivent être adoptées.

Les RUP bénéficient par ailleurs, depuis la programmation 2007-2013, d'une allocation spécifique RUP au titre du FEDER. Elle n'est pas soumise à concentration thématique et peut donc être librement affectée. La Commission a proposé de l'étendre au FSE+, le fonds destiné à réduire les écarts de développement entre les 274 régions de l'UE. Il est cependant nécessaire de relever l'allocation spécifique RUP pour veiller à ce que l'extension au FSE+ ne se fasse pas au détriment de l'allocation FEDER.

Je terminerai mon intervention en évoquant les points de vigilance s'agissant des PTOM.

Le cadre actuel régissant les relations entre l'UE et les 25 pays et territoires d'outre-mer (PTOM) est la décision d'association outre-mer (DAO) du 25 novembre 2013. Comme je l'ai rappelé, en comparaison avec les RUP, les PTOM reçoivent des financements beaucoup plus limités de la part de l'UE. Ceux-ci se résument essentiellement aux dotations du Fonds européen de développement (FED), actuellement placé hors du budget de l'UE. La Commission européenne a cependant proposé dans une nouvelle DAO d'intégrer les financements alloués aux PTOM dans le budget de l'UE. Elle propose également de fusionner la DAO avec la décision régissant les relations entre l'UE et le Groenland.

Cette budgétisation du FED soulève de nombreuses interrogations. La budgétisation du FED pourrait entraîner de fait l'annualité des fonds et donc de possibles dégagements d'office. S'ils ne sont pas engagés à temps, les crédits à destination des PTOM risqueraient donc d'être annulés par la Commission européenne. Il apparaît donc nécessaire de conditionner la budgétisation du FED à l'obtention de garanties sur sa flexibilité. Il convient aussi d'assurer que les États membres restent associés au pilotage des projets.

Par ailleurs, le montant total de l'enveloppe allouée à l'instrument spécifique PTOM dans le budget européen pour 2021-2027 ne paraît pas être suffisant. Il convient de défendre avec le Danemark (qui dispose du PTOM du Groenland) le relèvement de l'enveloppe de 500 millions à 669 millions d'euros, comme proposé par le Parlement européen (proposition 10). Il s'agira également d'être vigilant dans les négociations s'agissant de la répartition du budget avec le Groenland.

Enfin, les PTOM sont aussi éligibles pour des montants très limités, aux programmes horizontaux de l'UE. L'information sur ces programmes est cependant parcellaire. Il serait utile d'obtenir de la part de la Commission une synthèse des programmes accessibles aux PTOM pour 2021-2027.

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