Intervention de Gilbert Roger

Délégation sénatoriale aux outre-mer — Réunion du 16 juillet 2020 : 1ère réunion
Les enjeux financiers et fiscaux européens pour les outre-mer en 2020 — Présentation du rapport

Photo de Gilbert RogerGilbert Roger, rapporteur :

Monsieur le Président, chers rapporteurs, chers collègues. Pour défendre les outre-mer dans les négociations de 2020 mais aussi dans les prochaines négociations, il est nécessaire de mieux faire entendre la voix des territoires ultramarins auprès des institutions françaises et européennes. Pour ce faire, trois axes stratégiques peuvent être distingués. Il convient tout d'abord de définir une stratégie nationale de défense des outre-mer au niveau européen. Il faut par ailleurs renforcer les relais européens qui permettent d'aider les territoires à bénéficier effectivement des fonds européens. Il faut enfin maintenir la vigilance sur les futurs enjeux européens pour les outre-mer.

Je commencerai par la stratégie nationale de défense des outre-mer au niveau européen.

Lors de notre déplacement à Bruxelles, nous avons pu mieux saisir l'organisation française. Les positions françaises sur les sujets ultramarins sont d'abord définies par le ministère des outre-mer et par le Secrétariat général aux affaires européennes (SGAE). Elles sont ensuite relayées et défendues auprès des institutions européennes par la Représentation permanente de la France à Bruxelles (RPUE). Cette organisation présente l'avantage de garantir la cohérence d'ensemble des positions françaises, à la différence de l'Allemagne qui a une action beaucoup plus éclatée au risque de conduire à des positions contradictoires. La délégation note cependant l'insuffisante collaboration de la RPUE avec les territoires. De nombreuses collectivités demandent à être plus régulièrement et plus complétement informées de l'évolution des négociations et des résultats obtenus. Des représentants de ces collectivités, comme le président du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, jugent même utiles de se rendre à Bruxelles pour mieux se faire entendre.

La stratégie nationale de défense des outre-mer au niveau européen doit passer par la constitution d'un véritable front commun au sein du Conseil avec l'Espagne et le Portugal. Ces deux pays possèdent en effet eux aussi des RUP et l'Espagne bénéfice elle aussi de dispositifs fiscaux dérogatoires. Nous avons vu à Bruxelles les efforts faits pour resserrer les liens des pays « amis de la cohésion » qui vont aussi dans ce sens.

Le Parlement européen constitue également un relai capital pour la défense des territoires ultramarins. Le changement du mode de scrutin des élections européennes (qui a rétabli un scrutin par liste nationale et non plus régionale) conduit cependant à ce qu'il n'y ait aucun député européen français directement issu d'un PTOM. La délégation a néanmoins pu apprécier la forte implication de députés européens comme M. Younous Omarjee sur les enjeux ultramarins. Le rétablissement d'un scrutin par bassin régional pour les élections européennes apparaît cependant nécessaire afin de garantir une véritable représentation des PTOM au Parlement européen.

Enfin, la France doit tirer parti du Brexit pour se positionner en tant que porte-parole des PTOM. Comme vous le savez, le départ du Royaume-Uni de l'Union européenne entraîne avec lui le départ des 12 PTOM britanniques sur les 25 que compte l'UE, soit une diminution de près de la moitié. Cette situation conduit la France à être désormais le seul pays européen à disposer de territoires dans le Pacifique. Il conviendrait de tirer les conséquences de cette nouvelle donne, par exemple en soutenant l'installation à Papeete ou à Nouméa le siège de la représentation de l'UE dans le Pacifique. Aujourd'hui, la délégation est installée à Suva dans les îles Fidji et Nouméa n'abrite que le bureau des PTOM français dans le Pacifique.

J'en viens maintenant à l'enjeu de l'accès aux fonds européens pour les outre-mer. Les avancées obtenues lors des négociations budgétaires ne seront utiles que si les RUP et les PTOM français réussissent à accéder effectivement à ces fonds. Or, les territoires déplorent une trop grande complexité dans l'accès aux fonds européens. Cette difficulté est en outre renforcée pour les collectivités ne disposant pas d'équipes formées à la gestion des programmes européens ou pour celles qui doivent faire face à un important turn over des fonctionnaires. Le formalisme national s'ajoute par ailleurs aux règles européennes.

Pour permettre une meilleure connaissance et un meilleur accès aux fonds européens, l'appui de la représentation des RUP françaises à Bruxelles est indispensable. La délégation a pu rencontrer lors de son déplacement les représentantes de la Guadeloupe et de la Guyane à Bruxelles. Compétentes et engagées, ces équipes ont cependant des effectifs très limités, avec seulement deux chargées de mission présentes en permanence. Il conviendrait de renforcer leurs moyens.

La Conférence des présidents des RUP et l'Association des pays et territoires d'outre-mer (OCTA) jouent également un rôle majeur pour permettre de faire entendre la voix des outre-mer sur les sujets européens. La crise sanitaire a cependant conduit à annuler la 25ème Conférence des présidents des RUP qui devait avoir lieu à Mayotte. Compte tenu de son rôle capital dans le suivi régulier et exhaustif des négociations, il serait utile de fixer à une autre date, sous la forme d'une visioconférence, la tenue de cette importante réunion.

L'OCTA mène quant à elle un travail indispensable de suivi des enjeux européens pour les PTOM. Disposant d'un budget propre financé par les contributions de ses membres, l'OCTA bénéficie également d'un financement via l'enveloppe thématique du FED. Alors que le Brexit risque de priver l'OCTA des contributions des 12 PTOM britanniques, il est nécessaire d'obtenir une augmentation de cette enveloppe. Les moyens de l'OCTA doivent donc être renforcés afin de permettre d'en faire une véritable courroie de transmission pour la connaissance et l'accès aux programmes européens à destination des PTOM.

Pour renforcer la voix des outre-mer en Europe, les coopérations régionales européennes doivent également davantage se développer. Ainsi, alors qu'il y a une soixantaine de groupements européens de coopération territoriale (GCET), il n'en existe aucun en outre-mer. Ces structures permettent pourtant de faciliter les coopérations transfrontalières, transnationales et interrégionales. Des projets de GCET en outre-mer mériteraient d'être développés. De même, alors que les projets de coopération régionale entre PTOM et RUP sont encore trop rares, il pourrait être utile de permettre à l'AFD d'apporter un appui financier et en ingénierie pour les projets mixant des fonds FED et FEDER.

Je terminerai mon intervention en rappelant que la vigilance doit être maintenue tout au long de l'année 2020 mais aussi au-delà.

Plusieurs initiatives du Sénat ont déjà permis d'interpeller les instances européennes sur les difficultés et attentes spécifiques des outre-mer dans les négociations budgétaires. Ainsi, les résolutions européennes adoptées par le Sénat le 11 février puis le 16 juin 2020, en réponse aux propositions de la Commission du 27 mai 2020, ont rappelé l'importance du relèvement des budgets de la PAC et de la cohésion pour les RUP. Il conviendra de maintenir la vigilance pour les mois qui viennent. Pour assurer véritablement le rôle de contrôle du Parlement, il est nécessaire, dans cette nouvelle phase de négociations qui s'ouvre, d'assurer la bonne information des parlements nationaux, en améliorant notamment la transparence des trilogues (réunions entre Commission européenne, Conseil et Parlement européen).

Enfin, la vigilance doit également être maintenue au-delà de 2020. Il s'agira notamment de veiller à la place des outre-mer dans le nouveau partenariat économique qui devrait être établi entre l'UE et le Royaume-Uni. Il conviendra également de s'assurer, lors de leur réexamen par la Commission en 2022, de la reconduction des aides fiscales du Règlement général d'exemption par catégorie (RGEC) applicables en outre-mer.

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