Intervention de Alain Rousset

Mission d'information Compétences des départements — Réunion du 22 juillet 2020 à 13h50
Audition de M. Alain Rousset président de la région nouvelle-aquitaine vice-président de régions de france

Alain Rousset, vice-président de Régions de France, président de la région Nouvelle-Aquitaine :

Le sujet est vaste ! J'ai participé aux réflexions sur ces questions comme parlementaire ou comme président de Régions de France pendant douze ans. L'agrandissement des régions est une idée qui a été défendue par tous les partis politiques, de droite comme de gauche. Un peu comme pour l'Europe, la volonté d'élargissement l'a emporté sur l'approfondissement. J'ai toujours plaidé en faveur de l'approfondissement, compte tenu du retard et de la singularité de la France en matière de décentralisation. Notre pays, en effet, est très atypique parmi toutes les démocraties. Un jour viendra où le centralisme et le jacobinisme apparaîtront nettement comme contradictoires avec la démocratie et l'efficacité publique. L'Allemagne a su défendre son industrie grâce à ses Länder et à ses banques régionales d'investissement qui soutiennent un tissu de petites et moyennes entreprises (TPE-PME) et d'entreprises de taille intermédiaire (ETI). Le plan de relance du Gouvernement vise les grands groupes, mais néglige les PME et les ETI. Si le plan de relance ne passe pas par les régions, il faut craindre de nouvelles délocalisations.

Comme je l'ai dit à Jean Pisani-Ferry, la France est un pays centralisé à plusieurs égards et la situation s'aggrave. Elle l'est d'abord sur le plan administratif et politique : on le voit clairement lors de l'élaboration des contrats de plan État-région (CPER), le Gouvernement considère les collectivités locales comme des sous-traitants. N'est-il pas absurde que l'État lance un plan Vélo ? Pourtant, les collectivités locales semblent atteintes d'un syndrome de Stockholm et considèrent qu'elles ont besoin de l'État sur tous les sujets. Il serait temps que la démocratie à l'échelle des collectivités locales devienne adulte. Avec les préfets ou les sous-préfets, nous sommes le seul pays à avoir, comme Michel Rocard l'avait noté il y a trente ans, un modèle administratif colonial.

On peut aussi évoquer la centralisation économique. Notre industrie est clivée entre les grands groupes, qui font un lobbying permanent à Bercy, et les TPE-PME et ETI, qui constituent l'essentiel de la force productive française : 80 % de notre industrie est de sous-traitance. La majeure partie de l'épargne est drainée par Paris et nos entreprises sont sous-capitalisées. Nos grands groupes dépendent davantage des fonds d'investissement étrangers que des épargnants français. La reconquête de notre souveraineté industrielle, dans l'électronique ou la pharmacie par exemple, ne pourra réussir sans une stratégie pour soutenir les fonds propres des entreprises. Mais celle-ci ne peut dépendre de Bpifrance, qui fonctionne très mal.

La centralisation constitue le premier boulet de la France. Dans les années 1980, la décentralisation s'appuyait sur la notion de blocs de compétences, avec une évaluation de l'efficacité des politiques menées lors des échéances électorales. Mais aujourd'hui, quand on inaugure un site, on est douze élus à couper le ruban... Comment nos concitoyens peuvent-ils savoir qui fait quoi, identifier les responsabilités et donc contrôler l'action des élus ? À l'heure où il est beaucoup question de l'efficacité de l'action publique, la redondance des compétences entraîne un surcoût de dépenses publiques. On manque aussi de compétences par rapport au privé. Les partenariats public-privé constituent une insigne absurdité et donnent les clés au privé, tout en coûtant très cher. Faute de politique industrielle depuis trente ans, nos médicaments ou notre électronique sont désormais fabriqués en Chine ou en Inde. Les crises géopolitiques révèlent les faiblesses de nos chaînes de valeur et d'approvisionnement. Je plaide donc, dans le prolongement de la loi NOTRe, qui a constitué un progrès selon moi, pour des compétences clairement identifiées. On ne peut pas, en effet, s'occuper de la dépendance, des personnes âgées ou de l'accueil des mineurs isolés, et en même temps comprendre les entreprises et savoir les accompagner.

La politique n'est pas seulement une affaire de gesticulation ou de beaux discours. Il faut avant tout savoir de quoi on parle ! Si l'on évoque la reconquête de la production des principes actifs des médicaments, il faut savoir ce que cela implique, combien cela coûte, les évolutions technologiques nécessaires, etc. Il en va de même pour la reconquête de la souveraineté électronique, si l'on ne veut pas courir le risque que notre système productif s'arrête brutalement parce que l'on aura négligé la formation de base en électronique dans les lycées professionnels ou les écoles d'ingénieurs et que l'on ne saura plus réparer une carte mère. Il en va de même dans tous les secteurs : le stockage de l'énergie, la production d'énergie solaire, etc. C'est pourquoi je plaide pour des blocs de compétences, ce qui ne pose pas de problème dans la relation entre régions et départements.

Dans la troisième plus grande région de France, nous avons réussi à établir un dialogue entre élus, non avec les fonctionnaires de l'État, pour définir des stratégies dans l'intérêt de nos concitoyens. La crise sanitaire a accru l'exigence de coconstruction des stratégies publiques pour répondre aux problèmes quotidiens. L'exemple des masques est emblématique. Nous avons rencontré les mêmes difficultés que dans d'autres régions, mais nous avons trouvé des solutions avec l'agence régionale de santé (ARS), en évitant de connaître les débats qu'il y a eu dans d'autres endroits. Au nom des douze départements, le conseil régional a décidé d'acheter des équipements individuels de protection et nous avons veillé, avec le directeur de l'agence régionale de santé, à ce qu'ils soient bien destinés aux établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). Nous avons mis en place des visioconférences deux fois par semaine avec les départements, une fois par semaine avec les intercommunalités, pour traiter de tous les sujets, et elles continuent. La crise sanitaire a donc entraîné un sursaut de coopération avec les départements.

Il n'y a donc pas, à mon avis, de débat sur l'articulation entre les compétences des départements et celles des régions, même si l'administration aime bien soulever ce point, parce que diviser c'est régner. Nous avons une compétence partagée avec les intercommunalités sur les bâtiments. Certaines politiques publiques, comme la rénovation thermique des bâtiments, doivent être menées au plus près des territoires, donc au niveau des communes et des intercommunalités. Les régions et les départements sont trop loin. Nos politiques en la matière ont échoué. Il existe aussi des complémentarités sur le réchauffement climatique, pour aider les personnes en situation de précarité ou pour soutenir les entreprises en difficulté. Nous traitons ainsi, en partenariat, le cas d'une entreprise à Tulle en Corrèze. Il me semble donc que l'heure est à l'apaisement et qu'il n'y a pas lieu de rallumer de vieilles querelles.

Le problème de fond, c'est l'État, notamment l'administration centrale. Le plan Vélo est caricatural. Je ne comprends pas que l'État intervienne pour financer des pistes cyclables. D'ailleurs, les sommes ne seront vraisemblablement jamais dépensées. Avec un tel plan, on prend les élus des collectivités pour des incompétents, ce qui est d'autant plus incompréhensible que la volonté de transition énergétique vient plutôt de la base. Les compétences de l'État sont un problème. Finalement, nos concitoyens ne voient pas clairement qui fait quoi, n'identifient pas l'action de l'intercommunalité, de la commune, de la région, du département, ou de l'État. Le programme Territoires d'industrie est une absurdité, et d'ailleurs, comme l'État n'a plus d'argent, il commence déjà à s'en désengager. Pourquoi, dès lors, avoir lancé une telle opération, en mobilisant les préfets, sinon pour signifier aux collectivités territoriales qu'elles n'auraient pas été capables seules d'y penser en raison de leur incompétence supposée ? On nous prend vraiment pour des Tanguy !

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