Ne vous laissez pas enfermer par l'État dans le rôle des Curiaces ! L'émiettement des compétences, ce n'est pas ce qu'on observe dans les pays qui réussissent. Et gérer les transports scolaires, par exemple, ce n'est pas la même chose que de s'occuper de solidarité territoriale, ou d'urbanisme. Pour l'instant, chacun veut tirer son grain du grand sac de blé. Mais challenger la SNCF ou les grandes entreprises, tout le monde n'est pas en mesure de le faire ! Lire un compte de résultat, ce n'est pas la même chose que de défendre les zones humides.
Vous parlez de colbertisme. Depuis trente ou quarante ans, l'appareil d'État s'est dégarni de ses compétences, et a remis les clés du camion aux financiers des grandes entreprises. Dans le même temps, tous les pays libéraux ont repris la main en matière de régulation. Où est le colbertisme, chez nous ? Depuis le nucléaire, le train à grande vitesse (TGV) ou Ariane, quelles initiatives technologiques l'État a-t-il prises ? Où sont les compétences pour contrôler les entreprises qui s'enrichissent grâce aux concessions autoroutières, et récupérer ainsi des fonds qui nous manquent pour l'entretien du réseau routier ? Le Canada, avec des gouvernements de droite, a produit des études au vitriol sur les partenariats public-privé. Le problème n'est pas l'économie de marché, mais l'incompétence des pouvoirs publics, qui, chez nous, ne font plus que se plaindre. Qui nous dit aujourd'hui ce qu'il faut faire sur l'hydrogène, le stockage d'énergie ou la récupération des principes actifs des médicaments ? Personne, dans l'appareil public. C'est un scandale. Le téléthon finance la recherche sur des molécules qui sont ensuite produites aux États-Unis, et nous sont revendues fort cher. Non seulement nous sommes ridicules, mais en plus, il y a des traîtres à l'intérieur du système - et je me demande si je ne vais pas porter plainte contre certains chargés de mission de la Banque publique d'investissement (BPI).
Il faut mettre un terme à cette incompétence. Et les politiques que nous sommes doivent représenter la société. Loin de préserver nos compétences, les grands groupes achètent sur étagère, à l'étranger. Cela nous menace d'un décrochage technologique massif, et d'une délocalisation complète de notre sous-traitance aéronautique. Or, pour la petite commune abritant l'un de ces sous-traitants, la région est un allié essentiel, ne serait-ce que comme interlocuteur du donneur d'ordres.
Pendant la crise, la coopération entre régions, départements et intercommunalités s'est accélérée. Si les départements doivent conforter leur compétence en matière de santé, la coordination des CHU ne peut que relever de la région, comme partout en Europe. En Nouvelle-Aquitaine, nous avons fédéré toute la recherche clinique sur le cancer, alors que les différents pôles ne se parlaient pas entre eux et que notre agence régionale de santé, pourtant bien gérée, ne savait pas ce qui se passait dans les Ehpad. La centralisation, c'est un appareil qui coûte cher et manque d'agilité. Ne tombons pas dans le piège de l'opposition : laissez coopérer l'Association des maires de France (AMF), l'Assemblée des départements de France (ADF) et Régions de France. La rénovation thermique des logements, par exemple, doit être gérée par les intercommunalités, tout comme l'ont été, pendant la crise, les aides aux petites entreprises.
Une grande région peut exister sur le plan territorial. Avec le nouveau découpage, les aides aux entreprises, dans le Limousin et le Poitou-Charentes, ont été doublées. Dans le plan Creuse, lancé par le Gouvernement, la nouvelle région met plus d'argent que l'État. Nous avons fait du lycée des métiers du bâtiment de Felletin le symbole du retournement de la zone. Nous lançons une technopole à Saintes, noeud ferroviaire, et toutes les entreprises soutiennent ce projet. Les transferts de technologies, indispensables pour ressourcer nos PME, se pensent à l'échelle de la région.