Intervention de Christian Rodriguez

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 22 juillet 2020 à 8h45
Déplacement du groupe d'études sur les terres australes et antarctiques françaises — Examen du rapport d'information sur les îles éparses

Christian Rodriguez, directeur général de la gendarmerie nationale :

C'est un plaisir, un devoir et un honneur de rendre compte de notre action et de nos réflexions devant vous. Je suis accompagné de deux officiers spécialistes de ces sujets qui pourront le cas échéant répondre à vos questions avec toute la précision nécessaire. Je vous dresserai un panorama de la situation, sans dissimuler les sujets de vulnérabilité qui peuvent exister.

Le pouvoir d'utiliser la contrainte physique ou la contrainte armée est totalement exorbitant du droit commun. Il est donc légitime de s'interroger sur le but et les modalités de son exercice. La force doit être mise au service de tous les citoyens, pour les protéger. Mais la première mission de la gendarmerie, c'est d'abord qu'il n'y ait pas de voleurs ; la deuxième, c'est d'arrêter les voleurs : la prévention et la protection sont les premières de nos priorités. Quand il y a un mort ou un blessé au cours d'une intervention, c'est un échec. Ce sont des faits qui nous frappent profondément lorsque cela survient.

Depuis 2010, les agressions physiques sur gendarme ont augmenté de 76 % ; le nombre d'agressions avec arme a doublé ; le nombre de blessés parmi les gendarmes a crû de 64 %.Dans le même temps, le nombre de cas d'usage d'arme à feu par les gendarmes a diminué de 23 %. En 2019, 2 300 gendarmes ont été blessés du fait d'une agression, ce qui représente une augmentation de 72 % par rapport à 2012. Chaque année, des gendarmes perdent la vie : depuis 2012, huit gendarmes ont été tués par agression.

En 2019, nous avons enregistré 1 444 réclamations de particuliers, dont 33 concernaient des violences. Sur les 100 enquêtes judiciaires diligentées par l'Inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN), 31 sont relatives à des faits de violences. Les enquêtes clôturées à ce jour - certaines étant encore en cours d'instruction - tendent à démontrer que l'usage de la force était très souvent conforme au cadre légal, mais nous devons continuer à travailler sur notre doctrine afin que cela soit toujours le cas.

Notre doctrine d'emploi est basée sur l'intervention graduée et structurée autour de deux principes fondamentaux en cas d'usage des armes et de la force : la nécessité et la proportionnalité. Le principe de négociation est devenu un principe constant. Chaque semaine, deux ou trois personnes menacent de tuer leur famille : les premiers intervenants sont des négociateurs. Cela n'aboutit pas toujours, mais la négociation permet très souvent la reddition du forcené. Dans cette logique de gradation de la réponse, nous travaillons beaucoup sur des techniques de contrôle à mains nues - coups d'arrêt, techniques de mise au sol et moyens de contrôle -, puis sur des moyens de force intermédiaire - bâtons de protection, pistolets à impulsion électrique, lanceurs de balles de défense dont les doctrines d'emploi sont communes avec la police - et enfin sur l'emploi des armes à feu. L'effort est fait sur le discernement, avec de la formation sous la forme de mises en situation. Le rôle de l'encadrement de proximité est capital et nous formons nos cadres en ce sens.

Nos techniques d'intervention professionnelle sont en évolution constante ; elles ont été conceptualisées en 2002, dans une logique d'harmonisation, en se fondant sur des principes de légalité, d'efficacité et de sécurité. La dernière actualisation de notre doctrine date de janvier dernier. Elle a été élaborée avec des magistrats et des médecins spécialistes du sport et de la traumatologie afin d'éviter les dommages vitaux sur la personne interpellée. Les techniques de pliage ventral, de décubitus ventral ou d'étranglement - elles sont à l'origine de morts par asphyxie positionnelle - ne sont ni enseignées ni mises en oeuvre dans le cadre de l'intervention professionnelle. Seul le groupe d'intervention de la gendarmerie nationale (GIGN) est autorisé à utiliser des techniques qui interviennent sur le cou des personnes - techniques de krav maga notamment - qui leur permettent de faire face à des terroristes ou de grands délinquants : mais en 45 ans d'existence, le GIGN n'a pas connu le moindre problème. Les techniques de contrôle cervical ont été abandonnées en 2007 et les pressions thoraciques en 2018. Nous avons perfectionné nos méthodes de mise au sol d'un individu depuis 2014, en travaillant plutôt sur les articulations. Avec une clé de bras, quelqu'un qui ne résiste pas ne se fait pas mal, mais si la personne résiste et se fait mal, ce n'est que mécanique et cela se remet : il n'y a pas de risque létal avec des interventions par clé de bras. Nous avons progressivement introduit des moyens de force intermédiaire - les bâtons de protection télescopique en 2002, les flash-ball en 2003, les Taser en 2007, les lanceurs de balles de défense en 2011 - et nous abandonnons certaines techniques plus dangereuses au profit de techniques présentant moins de risques.

Cette doctrine doit ensuite être appliquée et respectée. C'est le rôle de notre politique de ressources humaines et de la formation initiale et continue. Nous avons essayé de sanctuariser ces formations, quelle que soit la durée de la formation initiale. Les futurs gendarmes sont accueillis huit à neuf mois en école - avec la crise sanitaire, cette durée a été réduite à six mois en 2020 -, puis en unité pour un stage. Les sujets relatifs aux interventions professionnelles et à la déontologie sont majoritairement abordés dans la première moitié de la formation. Le tronc commun de la formation initiale - tous statuts confondus - est de 195 heures en école, auxquelles s'ajoutent 42 heures pour ceux qui se destinent à la gendarmerie mobile. Nous travaillons beaucoup avec de nombreuses associations sur les questions d'éthique et de déontologie. Les modules qui intègrent le respect de la personne sont des modules importants et permanents. Sous l'impulsion de mon prédécesseur, nous vérifions que les techniques sont acquises grâce à des mises en situation les plus réalistes possible permettant l'acquisition des gestes réflexes.

Une citation est très présente au Centre national d'entraînement des forces de gendarmerie de Saint-Astier : « le gendarme agit comme il s'entraîne et doit s'entraîner comme il veut agir. » Quelque 3 800 moniteurs en intervention professionnelle assurent la formation continue dans les unités : les gendarmes en brigade bénéficient a minima de quatre sessions de formation par an, portées à dix sessions annuelles pour ceux d'entre eux qui sont dans les pelotons de surveillance et d'intervention de la gendarmerie (PSIG). La gendarmerie mobile bénéfice également de dix sessions annuelles auxquelles s'ajoutent des stages de maintien de l'ordre organisés à Saint-Astier. L'encadrement a aussi un rôle majeur à jouer : des modules sur l'intervention professionnelle et la déontologie sont prévus dans tous les stages de prise de poste d'encadrement.

Le carnet de tir est désormais informatisé et le gendarme qui n'a pas réalisé ses tirs annuels perd son droit de porter son arme : 97 % des gendarmes sont à jour de leurs tirs, même dans les états-majors et en administration centrale. Lorsqu'au moment des attentats, les gendarmes en administration centrale ont été autorisés à porter leur arme hors service, ils devaient être à jour de leurs tirs. En revanche, le système n'est pas encore informatisé pour les formations en intervention professionnelle et repose sur du déclaratif. Mais « une grande confiance n'exclut pas une petite méfiance », comme on dit en Normandie, et « la confiance n'exclut pas le contrôle », comme on dit dans les forces armées. Nous avons donc ici une marge de progrès sur laquelle nous devons travailler : aujourd'hui, un gendarme qui n'est pas à jour de ses formations en intervention professionnelle va continuer à travailler quand même.

Notre zone de compétence recouvre 52 % de la population et 95 % du territoire. Certes, nous sommes présents dans toutes les zones rurales, mais sachez que plus de la moitié de notre zone de compétence, et les deux tiers de nos effectifs, sont situés en zone urbaine et périurbaine. Nous n'avons pas de surreprésentation de jeunes gendarmes dans les zones difficiles : le taux d'encadrement y est de 30 %, soit 2 points de plus que dans les autres unités ; le taux d'officiers de police judiciaire (OPJ) y est de 64 %, soit 4,5 points de plus qu'ailleurs ; l'ancienneté de service de nos sous-officiers y est de seize ans, soit six mois de plus qu'ailleurs et la moyenne d'âge y est de 38,5 ans, ce qui est également six mois de plus qu'ailleurs.

Nous avons été destinataires en janvier d'un courrier du ministre de l'intérieur nous invitant à effectuer une revue des techniques et gestes d'intervention, dans une logique de limitation des risques. Nos propositions, communes avec la police nationale, ont été rendues en juin. Elles portent notamment sur la sensibilisation à la détection des signes de détresse physique, le développement du recours au Taser et l'implication des médecins pour leur expertise. Les propositions qui ne concernent que la gendarmerie portent sur la révision de notre instruction relative à nos formations en techniques d'intervention, la comptabilisation de nos formations en nombre d'heures par militaire - et non plus en journées par militaire - et la mise à jour de notre mémento des techniques d'intervention professionnelle - ce que nous faisons de manière très régulière.

Nous avons mis en place, au mois de juin dernier, un groupe de travail interne piloté par l'IGGN chargé d'examiner toutes les mises en cause dont fait l'objet la gendarmerie à l'occasion des interventions et de faire des préconisations afin que nous soyons les plus exemplaires possible.

La maison est très vertébrée : nous cadrons donc beaucoup ces sujets-là, avec une vraie préoccupation concernant le respect de la vie d'autrui. Un gendarme qui tire, même en légitime défense, sera marqué à jamais. Je fais le tour des unités quand il y a des drames et je n'ai aucune difficulté à convaincre les gendarmes que le discernement et la maîtrise de soi sont capitaux. Mais il faut les traduire en actes réflexes et savoir s'empêcher de tirer lorsque d'autres moyens sont disponibles.

Les contrôles sont nombreux et c'est une bonne chose. Nous sommes en outre soumis à un réel contrôle social, avec le buzz - bien qu'il n'apporte pas toujours la vérité - qui participe au contrôle qui s'exerce sur les gendarmes qui ont des moyens exorbitants du droit commun. Il n'y aura jamais trop de contrôles.

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