Intervention de Jean-François Eliaou

Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques — Réunion du 18 juin 2020 : 1ère réunion
Présentation par l'académie nationale de médecine de l'état actuel de la recherche en biologie-santé

Jean-François Eliaou, député :

Je vous remercie pour cette présentation, ainsi que le président Gérard Longuet, dont je partage souvent le point de vue, pour son intervention. En tant qu'enseignant-chercheur dans le domaine de la biologie-santé et de la recherche en général, j'ajouterai simplement un élément de nature à complexifier encore la situation : contrairement au militaire qui est sous les ordres et obéit, le chercheur n'a pas à s'inscrire dans une telle discipline. Il a vocation à être libre ; c'est la nature même de la recherche. Il est ainsi très difficile de définir des cibles. Ayant été rapporteur pour avis à la commission des lois pour la loi de programmation militaire, je puis vous dire que certains aspects étaient relativement simples à envisager. Puisque les lois de programmation sont des lois budgétaires, il était plus facile d'affecter des crédits potentiels et des projections de crédits sur les cibles ainsi définies. Cet exercice est plus compliqué en matière de recherche, pour toutes les raisons précédemment mentionnées.

Je souhaiterais revenir sur un certain nombre d'autres points. Outre la LPPR, il existe une échéance beaucoup plus proche. Pour l'instant, le calendrier législatif relatif à la loi de programmation n'est en effet pas fixé, contrairement à celui du Ségur de la santé. Or, ces deux éléments sont très interdépendants. J'ai lu une tribune, signée d'un certain nombre de présidents d'universités et de doyens de facultés de médecine, appelant à anticiper un certain nombre de points qui pourraient se voir consacrer dans la loi de programmation, autour notamment de la création de pôles de recherche au sein des CHU, ce qui correspond très précisément à vos propos. La recherche hospitalo-universitaire, qui se fait au sein de l'hôpital, avec des moyens hospitaliers, doit en effet être menée en coordination, pour ne pas dire sous le contrôle de l'université, et non du CHU à proprement parler. Il faut travailler très rapidement sur ce point, car avec le Ségur de la santé, une décision va être prise très prochainement, avec des annonces prévues pour le mois de juillet.

J'ai évidemment eu connaissance du projet de loi, extrêmement volumineux et complexe. Nous avons eu des discussions très précises avec la ministre. Je crois qu'est exprimée dans ce projet la volonté d'une politique de sites, d'une politique régionale de santé. Encore faut-il avoir les moyens financiers de la mettre en oeuvre. Or, je crois qu'il y a là un travail à accomplir. Figure déjà dans le projet de loi ce que l'on appelle le préciput, qui signifie qu'à chaque fois qu'un chercheur bénéficie de financements importants, une partie non négligeable, de l'ordre de 40 %, qui n'est pas prise sur le volume financier demandé par le chercheur, doit être consacrée à un dispositif s'apparentant à une politique de site, le site étant l'institut, voire plus largement l'université ou la région géographique. Il faudra être très vigilant sur cet aspect, parce qu'il permet non seulement d'avoir une politique de site, mais aussi de financer une recherche qui n'a pas forcément assez de visibilité pour obtenir des financements. Ce point me semble essentiel pour conserver la liberté d'une recherche dite fondamentale, qui permet bien souvent des avancées considérables, alors même qu'elle n'est pas forcément immédiatement finançable.

Concernant les alliances, je suis d'accord avec Cédric Villani, et considère qu'il ne s'agit pas d'ajouter des couches à l'édifice. Si les alliances permettent de mieux faire fonctionner le système, en faisant en sorte que les EPST soient moins autonomes et moins refermés sur leur propre politique, alors c'est une très bonne chose. S'il s'agit de reconstituer la situation actuelle, qui est d'une complexité absolue, et conduit finalement à une dilution des responsabilités et des moyens pour le chercheur et son institut ou son unité, alors ce n'est pas satisfaisant.

La valorisation est également un sujet très important. J'en ai moi-même fait les frais et pense qu'il faut mettre tout ceci à plat. Je suis très en colère contre les structures de valorisation. À l'époque, j'ai eu énormément de mal à créer une start-up de biotech, non seulement parce que le chemin n'était pas balisé, mais parce que les structures de valorisation, en particulier Inserm-Transfert, mettaient surtout des bâtons dans les roues des porteurs de projet, et allaient chercher les découvertes dans les laboratoires académiques pour les donner ailleurs. Les mentalités des chercheurs ont évolué. L'argent n'est plus tabou. Le chercheur a très souvent une volonté entrepreneuriale qu'il faut encourager. Il faut que les brevets soient valorisés en France, par des chercheurs français, avec des moyens français. Actuellement, le nombre de médicaments mis sur le marché après une recherche française est très faible, non du fait de la mauvaise qualité des chercheurs français, mais tout simplement parce que les structures de valorisation balisent extrêmement mal le chemin entre la découverte en laboratoire et ce qui pourrait être un médicament par la suite.

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