Permettez-moi de récapituler ces transferts.
En 2000, c’est la majoration de l’allocation de rentrée scolaire, jusqu’alors prise en charge par l’État.
En 2001, l’affectation à la branche famille des 2 % de prélèvement sur les revenus du patrimoine et de placements est supprimée.
En 2005, une part du financement de l’aide personnalisée au logement, jusque-là supportée par l’État, est transférée.
Entre 2001 et 2010, la totalité du financement de la majoration de pension accordée aux parents ayant eu au moins trois enfants est transférée à la branche famille.
Enfin, la CNAF verse chaque année à la branche vieillesse 4, 4 milliards d’euros au titre de l’assurance vieillesse des parents au foyer, l’AVPF. Il s’agit des cotisations vieillesse couvrant les parents qui ont cessé de travailler ou réduit leur activité professionnelle pour s’occuper d’un enfant ou d’un adulte handicapé. Or il se trouve que les bénéficiaires de ce dispositif représentent, pour la CNAV, une charge équivalente à 1, 2 milliard d’euros. La branche famille contribue donc en réalité à hauteur de 3, 2 milliards d’euros au financement des pensions de droit commun de l’assurance vieillesse.
Au total, en 2011, ces transferts de charge s’élèveront à près de 10 milliards d’euros, dont 8 milliards d'euros au profit de la branche vieillesse.
Comme vous le voyez, le déficit de la branche famille, estimé à 2, 6 milliards d’euros en 2011, a, en réalité, peu de rapport avec la crise économique.
À ce stade, mes chers collègues, je souhaite attirer votre attention sur le fait que les prévisions des dernières lois de financement de la sécurité sociale concernant la branche famille tablaient sur des excédents importants : 3, 2 milliards d’euros en 2010 et 4, 6 milliards d’euros en 2011 d’après la loi de financement pour 2008. Bien sûr, ces surplus ont été réduits à 200 millions d’euros en 2010 et 600 millions d’euros en 2011 aux termes de la loi de financement pour 2009.
Le mécanisme qui conduit à fragiliser financièrement la branche famille est donc assez simple : au motif qu’elle serait structurellement excédentaire, et en anticipant sur des réserves à venir, réserves qu’elle ne constitue en fait jamais, de nouvelles charges lui sont régulièrement transférées, au point qu’elle en arrive à devenir structurellement déficitaire. Une fois le déficit constaté, celui-ci justifie ensuite les efforts demandés à la branche et donc aux familles, qui servent en réalité à financer la solidarité envers les aînés.
Le PLFSS pour 2011 franchit un pas supplémentaire, non pas cette fois-ci en transférant des charges sans compensation à la branche, mais, comme l’a indiqué Alain Vasselle, en lui prélevant des recettes de CSG pour financer la CADES, en échange de quoi la CNAF serait alimentée par de nouvelles ressources, incertaines.
Un rapide calcul permet de se rendre compte que la branche famille s’en trouverait doublement perdante dès 2014. En effet, sur les quatre ressources censées compenser la perte de CSG, au moins une, sinon deux, aura un produit nul à partir de cette date. Les deux autres, provenant des assurances et du panier fiscal, seront sujettes aux modifications législatives, fréquentes dans ce domaine.
À supposer que les engagements soient tenus, la perte pour la branche famille serait, en 2014, de 2, 3 milliards d’euros, ce qui porterait le déficit de la branche à 4 milliards d’euros cette année-là.
Pour résumer, l’opération consiste à remplacer une recette pérenne et dynamique, la CSG, par des ressources aléatoires et vouées à l’assèchement.
Mes chers collègues, la question que nous devons collectivement nous poser est donc la suivante : est-il dans l’intérêt général du pays de fragiliser le financement de la politique familiale, c’est-à-dire la préparation de l’avenir, pour renflouer un fonds destiné à rembourser une dette contractée par le passé ?
Je sais bien que la seule solution de rechange possible serait l’augmentation de la CRDS, et que vous n’y êtes pas favorable, monsieur le ministre, puisque le Gouvernement a fait du refus de la hausse des prélèvements obligatoires une question de principe.
Prenons cependant quelques instants pour questionner cette certitude.
Tout d’abord, sur la forme : la crise économique historique que nous traversons ne doit-elle pas conduire, comme sur d’autres sujets, à adapter les engagements à la réalité de nos finances publiques ? L’ampleur de l’endettement de la France est telle qu’il ne doit pas y avoir de tabou sur les moyens d’y faire face : la situation exige du pragmatisme, non du dogmatisme.
Ensuite, sur le fond : quelle valeur accorder au principe de non-augmentation des prélèvements obligatoires quand sa stricte application vous conduit, monsieur le ministre, à remettre en cause la pérennité de la politique familiale, qui est l’une des forces de notre pays ?
Nous venons, en acceptant le prolongement de quatre ans de la durée de vie de la CADES, de reporter un peu plus sur les générations futures la charge de notre dette sociale : allons-nous maintenant fragiliser l’investissement destiné à leur formation ?
Monsieur le ministre, mes chers collègues, nous regrettons sans cesse de transférer sur nos enfants une dette que nous avons nous-mêmes contractée. Mettons donc en cohérence nos actes et nos paroles et, puisque nous avons déjà prolongé la durée de vie de la CADES, ne faisons pas payer cette décision aux jeunes générations : préservons le financement de la branche famille.
La commission des affaires sociales, comme la commission des finances, entend donc supprimer le transfert de 0, 28 point de CSG de la branche famille vers la CADES et augmenter la CRDS pour financer ladite caisse d’amortissement de la dette sociale.
J’en viens maintenant rapidement, car elles ont déjà été présentées, aux mesures du projet de loi de financement de la sécurité sociale concernant la branche famille.
Le projet de loi initial en contenait deux : d'une part, la suppression de la rétroactivité de trois mois des aides individuelles au logement lorsque le demandeur dépose tardivement son dossier – comme on ne touche pas aux montants de ces aides, je suis favorable à une telle mesure –, et, d'autre part, le report au mois suivant la naissance de l’enfant de l’ouverture du droit à l’allocation de base de la prestation d’accueil du jeune enfant, la PAJE, qui est actuellement versée au jour de la naissance.
Le risque de pénaliser les familles aux revenus les plus modestes et la faiblesse de l’économie espérée – 64 millions d’euros – ont conduit l’Assemblée nationale à supprimer cette disposition, ce qui ne me paraît pas injustifié en l’état actuel des choses.
Permettez-moi à présent quelques remarques rapides sur l’accueil du jeune enfant.
Dans son discours du 13 février 2009 sur la politique familiale, le Président de la République s’était engagé à ce que le Gouvernement assure, durant la législature, la création de 200 000 places de garde supplémentaires réparties de manière égale entre l’accueil individuel et l’accueil collectif.
Si l’on prend comme référence la période allant du 1er juillet 2007 au 31 décembre 2009, c’est-à-dire exactement la moitié de la mandature, le Gouvernement est en passe de respecter les objectifs fixés, mais pas dans la proportion indiquée. Au cours de cette période, en effet, un peu plus de 104 000 places ont été créées, ce qui permet de penser que l’objectif de 200 000 nouvelles offres d’accueil proposées en cinq ans sera atteint.
Cela étant, les assistantes maternelles devraient contribuer aux trois quarts environ de cette augmentation, contre un quart pour l’accueil collectif. L’accroissement de l’offre de garde ne se fera donc pas à parité entre l’accueil individuel et l’accueil collectif.
Malgré ce résultat, qui peut s’expliquer en partie par la crise économique, il faut souligner que, avec une moyenne de 12 000 places nouvelles par an, la croissance annuelle de création de places en crèches, sur la période 2007-2010, a doublé par rapport à la période 1998-2008. Même si ces efforts sont encore insuffisants au regard de la demande des familles, ils témoignent d’un progrès indéniable en matière d’accueil collectif des jeunes enfants.
Pour conclure, j'ajouterai quelques mots sur les maisons d’assistantes maternelles, les MAM.
Depuis l’entrée en vigueur de la loi du 9 juin 2010, à l’origine de laquelle se trouvent Jean Arthuis et les membres de la commission des affaires sociales, les MAM rencontrent un franc succès : à la fin du mois d’octobre 2010, soit cinq mois après la promulgation de la loi, 80 fonctionnaient déjà et 109 étaient en cours d’ouverture, soit en tout 189, réparties dans 54 départements.
Certains départements, cependant, recourent en la matière à des pratiques singulières, voire contestables légalement. L’agrément nécessaire à l’exercice en MAM est parfois refusé ou reporté au motif que les décrets d’application de la loi ne seraient pas parus, alors que la création et le fonctionnement des MAM ne requièrent aucun texte de cette nature…
De même, certains conseils généraux attendent une délibération de l’Assemblée des départements de France sur le sujet, qui n’aurait pourtant aucune valeur juridique.
Le plus souvent, ce sont les exigences de sécurité qui sont invoquées pour ajourner la délivrance de l’agrément. La direction de la sécurité et de la défense civiles m’a néanmoins confirmé que les obligations légales sont en réalité très modestes – elles sont présentées en détail dans mon rapport – et que seul le maire a compétence pour vérifier leur respect.
Malgré les réticences infondées de certains départements, les MAM connaissent donc un rapide succès que nous pourrions accompagner en ouvrant aux assistants maternels y travaillant le droit d’obtenir un prêt à l’amélioration à l’habitat.
Telles sont, madame la présidente, madame, monsieur les ministres, mesdames les secrétaires d’État, mes chers collègues, les observations que je tenais à formuler sur la partie « famille » de ce projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2011. Sous réserve des amendements que je vous soumettrai, je vous propose de l’adopter.