Intervention de Valérie Pécresse

Commission d'enquête Évaluation politiques publiques face aux pandémies — Réunion du 15 juillet 2020 à 16h30
Audition commune de M. Martin Hirsch directeur général de l'assistance publique-hôpitaux de paris ap-hp Mme Valérie Pécresse présidente de la région île-de-france et M. Aurélien Rousseau directeur de l'agence régionale de santé ars d'île-de-france

Valérie Pécresse, présidente de la région Île-de-France :

Merci de me donner la parole en premier - honneur aux femmes ! Pourtant, l'ARS a sans doute été plus en première ligne que l'exécutif régional.

La situation de la région Île-de-France, durant cette crise, a été singulière, à la fois par l'ampleur de la crise sanitaire que nous avons connue et par les réponses, nécessairement pragmatiques, que nous avons dû y apporter. Très vite, l'État s'est trouvé dans l'obligation de gérer une situation de pénurie à de nombreux niveaux : stocks de masques, de gel hydro- alcoolique, de tests, de respirateurs, ou lits de réanimation. Nous avions aussi besoin de lits de soins de suite, nous avions besoin d'héberger les sans-abris... Bref, nous avions des besoins inédits dans tous les domaines.

La région a pris toute sa part dans la lutte contre la pandémie et a mis en place un plan massif pour soutenir l'ensemble du système de santé et aider ses acteurs. Dès que l'interdiction de commander a été levée pour les acteurs publics, nous nous sommes immédiatement impliqués dans la commande de masques grâce à l'aide des Franco-Chinois d'Île-de-France qui ont permis de sécuriser des filières d'approvisionnement, en production et en transport, dans un marché international très tendu. Nous avons ainsi distribué en Île-de-France près de 25 millions de masques pendant toute la crise, dont 10 millions ont été commandés avant le 30 mars : nous avons reçu nos premières livraisons avant la fin du mois, en huit jours !

Les masques ont été distribués en bonne intelligence avec l'ARS, en commençant, pour les premiers 2,5 millions de masques livrés, par les hôpitaux et les Ehpad. Nous en avons distribué aussi aux pharmacies directement pour les malades qui avaient des ordonnances, puis aux collectivités territoriales, notamment les mairies et les départements, par millions, pour que tous les agents au contact du public puissent en être équipés. Nous en avons donné, enfin, aux associations humanitaires, aux commerçants, aux TPE-PME, aux opérateurs de transports, à tous ceux qui assuraient au quotidien la vie de la région.

Ces distributions étaient rendues possibles grâce à un maillage de terrain assuré par nos élus régionaux et par les maires, avec lesquels nous travaillons quotidiennement. Dans cette gestion quotidienne de crise, nous avons travaillé en étroite collaboration avec l'ARS, la préfecture de région, mais aussi l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP) avec qui nous étions en contact régulier et à laquelle il faut reconnaître la volonté réelle d'informer et d'agir tout au long de la crise malgré quelques dysfonctionnements, sur lesquels je vais revenir et qui impliqueront que nous tirions des leçons pour la suite.

Nous assumons, à la région, d'avoir pu faire bouger certaines lignes, par exemple lorsque nous avons distribué 3,6 millions de masques aux 3 600 pharmacies franciliennes à raison de 1 000 par pharmacie afin que les Franciliens à risques de santé puissent se faire donner gratuitement des masques par ordonnance. Alors que la doctrine des autorités de santé a été lente à évoluer et malgré les tergiversations de l'Ordre national des pharmaciens, l'ARS a été facilitatrice et nous a aidés à déployer ces masques en pharmacie.

Si nous avons réussi à unir nos forces et à surmonter la crise, cela a davantage tenu à des liens personnels que nous avions su nouer depuis plusieurs années qu'à une réelle association de l'échelon régional au plan institutionnel. L'échelon régional n'était pas inclus dans le processus d'élaboration et de prise de décision durant les premières semaines de crise, en tous cas du point de vue institutionnel.

La région a plaidé sans cesse pour la régionalisation du traitement de la crise, compte tenu du fait que l'Île-de-France, comme le Grand Est, les Hauts-de-France ou la Bourgogne-Franche-Comté, était beaucoup plus impactée que d'autres régions et aussi du fait que nous nous étions donné des moyens nouveaux pour agir. Ce n'est qu'à l'approche du déconfinement que le Premier ministre nous a finalement donné gain de cause, en validant totalement notre stratégie de relance des transports - masque obligatoire, attestation d'employeur et filtrage - qui a permis le déconfinement dans de bonnes conditions dans des transports en commun qui devaient convoyer un million de personnes en pleine pandémie. Mais cette régionalisation n'est intervenue qu'à la fin de l'épisode et on a eu le sentiment que l'État y résistait à chaque étape.

Quelle a été la mobilisation de la région et de ses services ? Nous sommes sortis de notre zone de confort et nous nous sommes transformés en véritable plateforme logistique, en nous appuyant sur des agents volontaires pour distribuer aux élus locaux et à tous les partenaires qui en avaient besoin, associatifs ou entreprises, des masques, 14 000 litres de gel hydro-alcoolique, 380 000 blouses, des gants, des tests sérologiques, dont 70 000 ont déjà été distribués aux collectivités pour le personnel soignant. La création par la région d'une centrale d'achat a permis à 8 000 partenaires publics et privés de se fournir en masques et autres produits de protection.

Nous avons créé des boucles WhatsApp de maires qui ont réuni plus de 500 participants et permettaient de s'informer régulièrement et d'interagir en direct avec les élus locaux sur leurs besoins d'action régionale. Je tiens à souligner que cela a été fait dans un esprit totalement républicain, puisque tous les maires ont été nos partenaires, quelle que soit leur couleur ou leur étiquette politique, dans une période compliquée, avec des maires élus, des maires anciennement élus...

Nous sommes venus en soutien des personnels soignants. Nous avons fourni près de 8 millions de masques aux professionnels de santé, si on compte les pharmacies. Nous avons donné une aide individuelle régionale exceptionnelle à compter du 12 mars pour les étudiants en soins infirmiers et les aides-soignants volontaires, aux côtés des équipes médicales, pour accueillir le flux des malades. C'est une idée qui revient à Martin Hirsch et à Aurélien Rousseau qui ont voulu faire revenir les étudiants en soins infirmiers à l'hôpital pour accroître encore les effectifs. Nous avons demandé à Muriel Pénicaud, ministre du travail, de pouvoir les rémunérer. Cela n'a pas été sans peine, mais nous avons réussi à attribuer 18 000 aides à 15 000 étudiants infirmiers et 3 000 aides-soignants en formation pour un montant de 42 millions d'euros et un reste à charge pour la région d'au moins 5 millions d'euros.

Dès le 18 mars, nous avons mis à disposition les 9 200 lits d'internat des lycées franciliens pour permettre au personnel soignant d'être logé à proximité de son lieu de travail. Nous avons créé un fonds d'équipement d'urgence de 10 millions d'euros destiné à accompagner les professionnels de santé de tous types pour faire face à leurs dépenses exceptionnelles. Ce fonds a été élargi à toutes les professions de santé conventionnées avec l'assurance maladie, y compris les pharmaciens, les dentistes et les kinésithérapeutes.

Nous avons mis nos personnels du centre régional anti-sida à disposition de l'ARS. Nous avons mis vingt voitures de la région à la disposition de l'AP-HP et réservé 22 lignes de bus pour les soignants. Nous avons renforcé huit lignes de transport à la demande vers les hôpitaux de grande couronne. Nous avons offert 800 séjours de répit dans les centres de loisirs à nos soignants. Nous avons soutenu financièrement le développement de la plateforme Covidom lancée par l'AP-HP qui a été gratuitement mise à la disposition des médecins et des établissements de santé franciliens pour assurer le suivi des patients à domicile. Nous avons soutenu la plateforme de l'association Soins aux professionnels de santé, qui veillait au bien-être des personnels soignants, notamment à leur bien-être psychique, et permettait gratuitement à tout professionnel de santé d'échanger au téléphone avec des interlocuteurs formés qui apportent un soutien immédiat et luttent contre des situations de stress aggravé.

Nous avons monté une conciergerie solidaire pour répondre aux besoins urgents des internes en médecine franciliens qui étaient parfois dans des situations assez complexes en ce qui concerne le logement ou le transport.

Pour faciliter l'accès aux différentes mesures prises par la région, nous avons mis en place un numéro d'appel régional unique le 19 mars qui avait pour mission de rediriger tous les appels vers les quatre cellules d'urgence concernant la santé, les acteurs économiques, les acteurs associatifs et la culture. Les cellules étaient aussi joignables par courriel. Au total, nous avons répondu à 40 000 appels et courriels durant la crise.

Pour protéger la population, nous avons distribué des masques aux usagers des transports en commun dans les gares ; ces distributions étaient assurées par les élus régionaux, en lien avec les maires et les équipes municipales, pour initier au port du masque. Nous avons d'ailleurs très tôt demandé que le port du masque soit obligatoire dans les transports. Ces distributions gratuites ont permis de lancer le mouvement, alors que les masques n'étaient pas encore disponibles dans le commerce. Elles ont été complétées par l'achat de masques en tissu par Île-de-France Mobilités, que je préside, pour chaque abonné au Pass Navigo et par des distributions de masques sur les marchés, notamment en direction des personnes âgées.

Nous avons aussi cherché à mettre à l'abri les plus démunis et les sans domicile fixe dans les locaux de la région, au sein du Creps, des internats des lycées ou des centres de loisirs. Cette action a permis de réduire le risque de propagation du virus. Nous avons organisé des distributions alimentaires et acheté les surplus agricoles à nos agriculteurs afin de lutter contre la précarité croissante de nombreuses familles et des étudiants qui n'avaient plus de ressources. Au total, 44 distributions ont eu lieu dans 44 villes, 50 000 personnes ont été servies et 80 tonnes de denrées ont été distribuées. Nous avons aussi assuré la continuité pédagogique pour les lycéens, en faisant monter en puissance notre environnement numérique de travail - sa fréquentation quotidienne a été multipliée par dix. Nous avions déjà distribué gratuitement, en septembre 2019, 200 000 tablettes et ordinateurs à 50 % des lycéens, les autres privilégiant le papier. Nous avons traité les demandes ultérieures qui nous ont été adressées par les établissements pour résoudre la fracture numérique et nous avons distribué pendant le confinement près de 4 000 ordinateurs et tablettes supplémentaires, sur demande, aux familles.

Enfin, nous avons oeuvré pour maintenir un service de transport sur toutes les lignes pour qu'aucune ligne ne ferme. Cela n'a pas été facile, car, faute de personnel, les opérateurs avaient envie d'en fermer certaines. Nous nous sommes battus pour qu'elles ne ferment pas et qu'un service public de transport reste accessible à tous. Ainsi, même au plus fort de la crise, 500 000 voyageurs circulaient quotidiennement dans les transports franciliens, soit 10 % du nombre habituel.

Je tire trois enseignements de la crise. Premier enseignement : lorsque l'État a voulu faire tout, tout seul, cela n'a pas marché. Par exemple, le régime de réquisition initialement en place pour les masques, a déstabilisé l'approvisionnement et a retardé l'action des régions. Pourtant, la proximité de la région avec les acteurs de terrain, notamment les entreprises franco-chinoises installées en Île-de-France, lui a permis d'être plus agile et au plus près des besoins. L'État a tardé avant de comprendre combien cette aide pouvait être utile et d'accepter de se reposer sur les capacités d'intervention régionales, comme il l'a fait par la suite avec la distribution des masques dans les gares qui nous a été entièrement sous-traitée. Nos distributions gratuites ont rendu acceptable pour les voyageurs le port obligatoire du masque, malgré le coût que cela a représenté. Je tiens toutefois à remercier le préfet de région et le directeur de l'ARS, parce que, au-delà d'un seuil de commandes de cinq millions de masques, l'État pouvait tout réquisitionner. Or nous en avons commandé et distribué plus de 25 millions. L'État n'a pas réquisitionné les 20 millions supplémentaires, car nous avions su travailler en bonne intelligence, établir ensemble la liste des publics prioritaires et donner à l'ARS les premiers 2,5 millions de masques qui nous ont été livrés et qui ont été envoyés aux hôpitaux, aux Ehpad et aux personnels soignants.

Deuxième enseignement, l'uniformité dans la gestion de la crise sanitaire n'était pas adaptée. Certaines régions, comme l'Île-de-France ou le Grand Est, ont été touchées beaucoup plus sévèrement que les autres.

Là encore, la doctrine sur les masques est révélatrice : l'uniformité a conduit le Gouvernement à n'autoriser en Île-de-France aucune distribution de masques ni aux opérateurs de transport, ni aux forces de l'ordre, ni aux personnels pénitentiaires qui étaient pourtant en première ligne, faute de pouvoir garantir la même distribution sur tout le territoire. Cela a placé la région dans une situation très délicate, humainement et politiquement : nous avions les masques et les agents de l'État venaient nous les demander. Nous avons même fourni des masques à la direction régionale des finances publiques. Il aura fallu finalement trois décès à cause de la covid-19 parmi les agents des sociétés de transport, dont l'origine n'est pas connue et n'est peut-être pas liée à leur activité professionnelle, mais qui ont suscité un profond émoi au sein de ces entreprises, avec le risque d'un droit de retrait massif et d'une paralysie des transports, pour que le Gouvernement nous écoute enfin et autorise les opérateurs à doter leurs agents de masques que nous avons d'ailleurs en partie fournis, parce que certains des opérateurs, notamment les lignes de bus privées, n'en avaient pas. Il fallait aussi penser à tous les sous-traitants, aux agents d'entretien et aux agents de sécurité qui devaient eux aussi être équipés. La région a donc fourni les masques nécessaires. J'ai plaidé durant toute la crise pour la différenciation régionale qui, finalement, n'a été décidée qu'au moment du déconfinement. Pour l'avenir, cette régionalisation, cette territorialisation, permettrait de maîtriser beaucoup plus efficacement l'épidémie et de limiter les dommages économiques.

Troisième enseignement, l'excès de bureaucratie et l'inadaptation de la norme au temps d'urgence ont constitué un frein, alors que la réalité de terrain rendait nécessaire plus de réactivité. La région a fait preuve d'agilité, développant largement le télétravail, alors que beaucoup d'administrations de l'État n'étaient pas en mesure de le faire, ce qui nous a d'ailleurs bloqué dans certaines démarches, y compris dans les mandatements. Nous avons aussi accéléré nos procédures de commandes et créé une plateforme d'achats, alors que l'État semblait prisonnier de rigidités.

La région n'a jamais été associée à la stratégie des tests. Nous avions pourtant proposé à l'ARS de fournir des tests PCR que nous avions sécurisés, en lien avec le laboratoire Biomérieux, et de participer au dispositif Covisan - le comité du tourisme avait réservé près de 7 000 chambres d'hôtel. Après une première réunion très constructive organisée par l'ARS et la préfecture de région, l'État a choisi - je ne sais pas à quel niveau - de ne pas associer les régions à Covisan. De même, l'État a tardé à définir une doctrine claire sur l'homologation des tests sérologiques, leur mode d'emploi, leur diffusion, alors même que la région avait pris la précaution, pour ne pas perdre de temps, de commander des tests à l'étranger, déjà homologués dans de grands pays, avant de commander des tests à des entreprises françaises, une fois la validation obtenue. Or l'arrêté du ministère de la santé que nous attendions depuis des semaines autorisant les professionnels de santé à effectuer des tests sérologiques vient juste de paraître. Pendant tout ce temps, les collectivités devaient trouver un laboratoire pour réaliser ces tests sérologiques, ce qui a été source de blocage. Pourtant, les tests sérologiques sont semblables à ceux que l'on utilise pour dépister le VIH. Il a aussi fallu attendre plusieurs semaines pour obtenir l'autorisation d'utiliser les crédits du Pacte régional pour l'investissement dans les compétences pour revaloriser les rémunérations des étudiants en soins infirmiers et des aides-soignants qui se sont portés volontaires pour apporter un renfort aux hôpitaux.

Tout cela plaide donc pour un nouvel acte de décentralisation et une plus grande implication de l'échelon régional dans la santé. C'est un enjeu d'efficacité, et non politique, pour que le système de santé soit plus en adéquation avec les besoins des territoires. Il devient indispensable de revoir la gouvernance des ARS et d'en confier la présidence aux présidents de région, afin d'assurer la cohérence avec les autres politiques régionales. La formation des professionnels de santé est déjà une compétence régionale, comme l'aménagement du territoire ou la politique de recherche. La région Île-de-France qui est déjà fortement impliquée dans la lutte contre les déserts médicaux, la télémédecine ou dans diverses expérimentations, comme celle des équipes d'infirmiers en première ligne, y est prête.

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