Intervention de Aurélien Rousseau

Commission d'enquête Évaluation politiques publiques face aux pandémies — Réunion du 15 juillet 2020 à 16h30
Audition commune de M. Martin Hirsch directeur général de l'assistance publique-hôpitaux de paris ap-hp Mme Valérie Pécresse présidente de la région île-de-france et M. Aurélien Rousseau directeur de l'agence régionale de santé ars d'île-de-france

Aurélien Rousseau, directeur de l'ARS d'Île-de-France :

Il n'y a aucun doute que la gestion de la crise sanitaire relevait de la responsabilité du préfet de zone et du préfet de département. Le code de la santé publique prévoit que les moyens de l'ARS sont mis à la disposition du préfet. Cette crise a été pendant longtemps une crise essentiellement sanitaire. Les compétences propres de l'Agence ont été mobilisées. Il ne me semble pas que la répartition des compétences ait été un obstacle à la rapidité de notre réaction.

Cette crise va nécessairement réinterroger nos organisations. Jusqu'à présent, en Île-de-France, les délégations départementales de l'ARS étaient des miroirs du siège, avec les mêmes départements. Or il est apparu que la gestion des lits de réanimation a été gérée au siège, tandis que l'installation de barnums avec les collectivités ou le contact quotidien avec les 700 Ehpad de la région doive être assuré au niveau des délégations. Mais on se tromperait, si l'on pensait que la prise en compte des territoires relève des seules délégations : les équipes du siège doivent aussi prendre en compte cette dimension dans leurs décisions. La culture de l'agence doit encore évoluer.

La covid-19 a été une chambre d'écho « au carré » des inégalités : elle touchait plus fortement les personnes obèses et les personnes diabétiques, maladies dont la prévalence est encore plus forte dans les quartiers populaires. Nous le réalisons petit à petit. Le 22 mars, en pleine crise, j'ai commandé une étude sur la surmortalité à l'observatoire régional de santé, car j'étais inquiet d'éventuelles inégalités dans la prise en charge à l'hôpital. Cette étude a mis en lumière un renoncement aux soins : les gens sont arrivés plus tard à l'hôpital, certains sont morts aux urgences, sans même atteindre le service de réanimation. Alors que les premiers résultats de cette étude me sont remis à la toute fin du mois de mars, dès le 4 avril, le Président de la République fait un déplacement dans une maison de santé pluriprofessionnelle de Pantin pour parler du renoncement aux soins et de l'accès aux maisons de santé pluriprofessionnelles, car le renoncement aux soins dans les quartiers populaires a un effet « au carré » sur le taux de mortalité. Ces éléments populationnels ont été confirmés par des données internationales en provenance notamment de Grande-Bretagne et des États-Unis, qui évoquent ces données de manière beaucoup plus directe et prennent moins de précautions que nous.

Il n'y a pas eu de volonté de mettre les libéraux de côté. L'Agence a certes un coeur hospitalier et heureusement ! Car notre défi premier a été de faire monter en puissance le système de santé. Nous avons été concentrés sur ce défi.

Permettez-moi de préciser l'un de mes propos précédents : le sujet des équipements de protection a pesé sur nos relations avec les médecins généralistes. Nous avons très vite développé des protocoles pour une prise en charge dans les cabinets de ville, mais au départ, nous ne disposions que du stock stratégique de l'État que beaucoup considéraient comme insuffisant ; dès que nous - ou la région - avons eu un stock complémentaire, nous avons renforcé les dotations en direction des médecins libéraux. Avec les représentants des médecins libéraux et les élus locaux, nous avons ouvert 264 centres covid+ qui permettaient d'orienter le patient vers un centre dédié. Mais au pic de l'épidémie, ces centres n'accueillaient qu'une trentaine de patients par jour en moyenne - c'est peu. A posteriori, nous aurions peut-être dû organiser une prise en charge dans les cabinets. Mais ces centres nous ont néanmoins été très utiles pour projeter des équipes vers les Ehpad, ainsi que pour les équipes chargées des prélèvements.

Nous avons collectivement sous-estimé l'effet du renoncement aux soins, y compris vers les médecins dont le cabinet était resté ouvert. La communication que nous avons mise en place lorsque nous avons constaté la baisse de 65 % des consultations chez les spécialistes a eu beaucoup moins d'impact que celle que nous avions martelé au cours des premières semaines sur le recours au 15. C'est un sujet sur lequel nous devrons retravailler.

Les centres covid+ ont été insuffisamment sollicités, mais ils ont permis de mobiliser les acteurs, notamment les élus locaux. À partir du 10 mars, nous avons organisé un point quotidien avec les médecins libéraux ; c'est ainsi que nous avons mis en place un protocole pour organiser la prise en charge des sorties d'hospitalisation. J'espère que ce travail fructifiera et que nous pourrons capitaliser dessus.

Nous avons constaté des différences entre départements, notamment sur les gradients socio-économiques ; les départements les plus proches de l'Oise ont été plus touchés, en raison des clusters de l'Oise ; en revanche, tous les départements de la région ont été touchés par les effets du cluster majeur de Mulhouse, avec le retour des communautés en Île-de-France. À partir du 1er mars, le virus circule activement dans tous les départements de la région et nous activons alors les dispositifs qui relèvent de la phase épidémique.

Heureusement que nous avions une régulation régionale de la réanimation ! Lorsque nous sommes passés en orange, alors que les autres régions étaient en vert, nous étions encore au-dessus des 40 % de lits de réanimation occupés. Mon obsession a toujours été que chaque département ne gère pas ses propres lits. Nous avions aussi 17 % ou 18 % des lits de réanimation qui relevaient de l'hospitalisation privée. Nous nous sommes posé la question d'ouvrir des lits dans tous les établissements ou de rapatrier les respirateurs et les personnels. Des équipes de l'ARS sont allées voir les équipements sur place. Finalement, le taux de mortalité en réanimation a été le même partout dans la région.

Nous avons géré les afflux de patients par phase : d'abord dans les établissements de santé de référence, puis dans les établissements privés, afin de conserver le plus longtemps possible des marges de manoeuvre à l'AP-HP pour faire face à la dernière vague.

Nous avons insuffisamment communiqué, notamment en Île-de-France, parce que pendant une semaine il y a eu un effet « drôle de guerre ». J'avais prescrit la déprogrammation, mais les établissements privés ne voyaient pas de malades. L'interrogation a duré une semaine ; ensuite, toutes les capacités privées ont été saturées. Même de grands groupes comme Ramsay ont fait comme le public, à savoir faire venir des soignants et du matériel du reste de la région. Nous ne l'avons pas cité, mais 500 soignants sont venus en renfort du reste de la France durant la semaine du 1er avril.

Je ne me prononce pas globalement sur les ARS quant à la préparation à la gestion de crise. Les compétences et les savoir-faire sur le papier sont éprouvés par les événements. À Paris, de nombreux événements nous ont conduits à vérifier cela. Depuis deux ans que je suis directeur général de l'ARS, j'ai dû activer la cellule de crise à plusieurs reprises, pilotée avec le préfet de police et le préfet de région. Il y avait des équipes, elles étaient prêtes.

Il y a eu un choix d'allouer directement les équipements de protection individuelle du national aux établissements sanitaires et médico-sociaux par le biais des groupements hospitaliers de territoire (GHT). Les ARS étaient chargées de vérifier ces éléments d'allocation. À partir du 10 mars, nous avons mis en place une cellule avec un référent par GHT pour vérifier que nous n'avions pas oublié un Ehpad ou que nous ne nous étions pas trompés de destination. Très vite, en complément de la politique nationale, sur les modalités de distribution logistique, mais aussi sur les catégories de soignants visés, nous avons mis en place un dispositif pour lequel nous avons fait appel aux dons pour constituer un stock tampon. Ces dons sont venus de grandes entreprises et de collectivités territoriales, comme la région Île-de-France et la ville de Paris, qui a aussi beaucoup aidé l'AP-HP. Nous avons projeté ces ressources dans les Ehpad ou pour des publics qui n'étaient pas identifiés par la circulaire nationale - je pense notamment aux personnes à la rue et aux publics précaires à Paris. Ces dons nous ont permis de doubler la dotation aux Ehpad. La région était totalement transparente avec nous sur les commandes, sur ce qu'elle recevait et les difficultés à les recevoir. Cela a parfois été un film à rebondissements... Dès lors que nous étions « alignés », la région a complété les dotations de l'État, tout en respectant la priorisation fixée par l'État - je n'avais aucune raison de solliciter quelque réquisition que ce soit.

Nous avons aussi travaillé avec beaucoup de transparence avec le national : si nous n'avions pas été appuyés, notamment sur les évacuations sanitaires, nous n'aurions jamais pu faire des opérations de l'ampleur de celles que nous avons décidées le 27 mars. Ce jour-là, il y avait 1 125 patients détectés positifs à la covid en réanimation. Les capacités n'étaient pas saturées, mais avec un solde de 150 admissions supplémentaires par jour, nous savions que nous risquions la saturation cinq ou six jours après. Nous avons donc demandé des évacuations sanitaires vendredi 27 mars. Les premières sont intervenues le 28 et le 29 mars, et beaucoup plus le mardi et le mercredi, alors que nous étions en limite de capacité.

La politique « tester, tracer, isoler » a été mise en place dès le départ. Peut-être que je me trompe, mais durant toutes ces semaines de janvier et de février, notamment dès le 24 janvier, madame Deroche, nous avions deux patients touristes chinois résidant dans un Airbnb des Hauts-de-Seine. Le soir même, les médecins de veille de l'Agence étaient au pied de leur lit pour reconstituer tout leur parcours : ils étaient allés chez Louis Vuitton, sur un bateau-mouche, au Bon marché, au Louvre... Nous avons fait une typologie pour savoir quel était le degré de risque et contacté des dizaines et des dizaines de personnes pour les interroger sur la nature de leurs relations avec ces personnes, faire livrer des kits de masques et de gel hydro-alcoolique à domicile. Nous avons fait cela durant tout le mois de février. Je crois que cela a contribué à ralentir la progression de l'épidémie. Nous avons été en saturation sur cette politique au début du mois de mars, notamment quand nous avons été percutés par l'effet Mulhouse, avec de nombreux cas. Mais nous avons été capables de traiter les clusters de l'Oise et du Val-d'Oise.

En Île-de-France, la cellule d'intervention en région (CIRE) de Santé publique France, localisée à l'ARS, a de bonnes relations avec nous. Nous avions beaucoup travaillé ensemble sur les impacts sanitaires de Notre-Dame de Paris. Il y avait des réflexes. Il est certain que la structuration des systèmes d'information pour la remontée d'informations pour le nombre de cas positifs à la covid en Ehpad nous a demandé de mettre en place des dispositifs de contrôle. Cela s'est plutôt bien passé. En mars, j'ai décidé avant le national de mettre en place un système d'information pour faire remonter la situation et les besoins des Ehpad. Cela ne marchait pas très bien par téléphone. Un dispositif national a été mis en place le 27 mars, mais nous avons maintenu le nôtre durant quelques semaines, car il permettait la remontée des besoins, ce qui me semblait utile. Globalement, la relation était de qualité, même si nous n'étions pas dans la même fonction.

Il y a actuellement 538 lieux de prélèvement en Île-de-France, laboratoires habilités à faire des tests PCR. Nous sommes dans une phase de forte tension avec la conjonction de plusieurs phénomènes : l'augmentation du nombre de tests, avec les bons de l'assurance maladie, les départs en vacances pour lesquels il est demandé un test, la reprise de l'activité chirurgicale, où un test est demandé, et le départ en vacances du personnel de laboratoire.

Nous veillons à maintenir cette capacité. La semaine dernière, il y a eu une avancée importante avec l'autorisation des techniciens de laboratoire à faire les prélèvements, de même que nous avions obtenu, plusieurs semaines avant, que les étudiants en médecine puissent le faire.

Tous les deux jours, je tiens une conférence téléphonique avec les patrons de laboratoire. Nous devrons être extrêmement mobilisés pour que les personnes symptomatiques aient accès aux tests et que les laboratoires continuent de prioriser les tests PCR. Il y a eu, là aussi, un petit effet « drôle de guerre » : on les a beaucoup sollicités et le décollage des tests n'est survenu que quelques jours ou quelques semaines après. C'est maintenant qu'il faut être à la hauteur de cette mission de santé publique ; tous les jours, le nombre de tests augmente. Je compléterai tout cela en répondant à vos questions écrites. Actuellement, l'Île-de-France effectue plus de tests par habitant que la moyenne nationale et j'espère que nous irons encore plus loin, sans forfanterie aucune, car les plus gros risques sont ici en raison de la densité de la population. Nous devrons être encore plus proactifs.

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