Intervention de Christophe Lannelongue

Commission d'enquête Évaluation politiques publiques face aux pandémies — Réunion du 9 juillet 2020 à 9h30
Audition de mmes josiane chevalier préfète de la région grand est brigitte klinkert présidente du conseil départemental du haut-rhin et ministre déléguée auprès de la ministre du travail de l'emploi et de l'insertion chargée de l'insertion et M. Christophe Lannelongue ancien directeur de l'ars grand est

Christophe Lannelongue, ancien directeur de l'agence régionale de santé (ARS) Grand Est :

Je ne peux que rejoindre la position de Mme Chevalier sur l'importance du rôle de la zone régionale pour l'organisation logistique. Le système que nous avons mis en place ensemble visait à assurer l'application de la doctrine d'emploi et d'attribution des masques fixée par l'agence. Nous avons établi des tableaux pour les différentes professions, des médecins généralistes aux services funéraires, afin de déterminer les besoins hebdomadaires de chacun en masques : voilà le rôle de l'ARS. Ce qui n'est pas son rôle, c'est d'organiser la mise en place logistique et la distribution. Nos stocks de masques étaient alimentés au niveau national et par nos propres récupérations et commandes, mais nous n'étions pas capables de les gérer. Il fallait sécuriser ces stocks : il y a eu des cas de pillage. Il fallait également assurer le transport des équipements vers les très nombreux bénéficiaires. Tout cela n'est pas dans les compétences de l'ARS.

Il faut renforcer les ARS dans leur capacité territoriale. En 2018, nous n'avions plus de délégation territoriale dans le Bas-Rhin et le Haut-Rhin ; elles ont été reconstituées par mes soins à partir de janvier 2018. Il faut continuer à aller dans cette direction et renforcer les capacités d'action de proximité, en cohérence avec les autres services de l'État, sous l'autorité des préfets, et les partenaires territoriaux. Pour ce renforcement, il faudra aussi des compétences.

J'en viens la période qui précède immédiatement la crise, la « drôle de guerre », pour ainsi dire. Le 31 janvier, nous avons mis en place le système de veille et d'alerte, qui permet un suivi quotidien et permanent de la situation sanitaire dans la région. Nous avons commencé à spécifier les tâches qui s'imposeront pour gérer tel ou tel aspect de la crise : les capacités hospitalières, les équipements de protection, etc. Pour autant, il ne se passait pas grand-chose. Le 17 février, on signalait au niveau national qu'il pourrait y avoir des difficultés dans la fourniture de masques aux hôpitaux. Aucun cas n'était encore confirmé.

Pour nous, le signal d'alarme a été la confirmation des premiers cas en Lombardie, le 18 février : jusqu'alors, on avait vécu dans l'illusion que la crise était loin de nous, mais les liens entre l'Alsace et la Lombardie sont extrêmement forts depuis plusieurs décennies, depuis les habitudes de vacances jusqu'à l'immigration.

Nous n'étions pas préparés. Dès la mi-janvier, l'OMS avait exposé la stratégie que nous mettons toujours en oeuvre aujourd'hui : dépister, détecter, tracer, isoler, soigner. Or il était évident, fin février et début mars, que nous n'étions pas en mesure de mettre en oeuvre cette stratégie. Nous avons bien fait des enquêtes, du contact tracing, en Alsace et dans le reste de la région, mais nous n'avions pas les capacités de tests suffisantes : on ne pouvait en faire que 100 par jour à l'échelle régionale. Par ailleurs, l'équipe de Santé publique France, soit 7 personnes, était combinée avec celles des délégations territoriales pour procéder au contact tracing ; ces effectifs étaient bien trop réduits quand des milliers de personnes étaient déjà contaminées. D'ailleurs, dans la dernière période, à partir de la mi-mai, on a pu monter un système efficace parce que les capacités de tests et de tracing ont été formidablement augmentées. En février, nous n'étions pas prêts, car il nous manquait les outils indispensables.

« Trop peu, trop tard », ai-je dit quant à l'absence de réactivité au niveau national. Je veux être encore plus clair. Nous avons énormément souffert, dans les quatre premières semaines de mars, de la faiblesse des moyens que nous avons reçus du centre, à l'exception du ministère des armées, dont l'intervention a été exceptionnellement efficace. Nous sommes passés de 471 places de réanimation à 1 219 : nous n'avons reçu qu'une dizaine de respirateurs. Ceux-ci, qui étaient d'ailleurs des respirateurs légers, sont arrivés en avril, après le pic. Concernant les tests, nous avons été confrontés, tout au long du mois de mars, à des pénuries de réactif, tandis que nous avons commencé à recevoir les masques à partir du 20 mars, mais nos dotations étaient inférieures de moitié à nos besoins.

Trop peu, trop tard aussi, compte tenu du fait que nous avons été la première région à entrer dans la crise. Tout ce qui a été massivement mis en place en avril, mai et juin ne nous a pas été offert quand nous étions dans une extrême difficulté. Le niveau central ne réagissait pas, alors que nous multipliions les demandes. Il faut que vous ayez accès aux échanges qui ont eu lieu entre le centre de crise et les ARS : vous y verrez de très nombreux mails d'alerte et demandes de renfort. Le 17 mars, nous demandions 200 respirateurs. Vers le 25 mars, nous en demandions 70. Nous n'avons eu aucune réponse. Nous avons demandé à cor et à cri que soit changé le système de distribution des masques, en s'inspirant de ce que nous avions fait avec Mme Chevalier. On nous a dit qu'il ne fallait pas commander de masques ; nous en avons commandé.

Le pilotage n'a pas fait défaut - oui, il y a eu un pilotage fort du niveau central -, mais je relève une difficulté à prendre en compte notre situation, à faire confiance aux niveaux déconcentrés, à enregistrer, à écouter, à comprendre que la situation était extraordinairement difficile et à en tirer la conséquence que notre capacité de réaction territoriale était finalement mieux adaptée, car nous étions les mieux à même de comprendre les difficultés.

L'exemple des Ehpad est caricatural de ce point de vue : même si les statistiques de décès étaient très irritantes pour les préfets - le préfet du Haut-Rhin protestait avec beaucoup d'énergie lors de nos réunions quant à notre échec à fiabiliser les chiffres des décès en Ehpad -, mais il y avait un point sur lequel nous étions en accord : il y avait beaucoup de décès en Ehpad. Nous en étions d'autant plus frustrés par notre incapacité à objectiver, définir et préciser ces chiffres.

J'ai aussi essayé de montrer que des enseignements ont été tirés. Je me réjouis beaucoup que ces problèmes aient été compensés dans les derniers mois. L'amélioration de la situation tient au succès du confinement, à la mise en place de mesures de protection individuelle et d'équipements, ou encore au renforcement des capacités d'action. Pour autant, nous avons auparavant subi une situation exceptionnelle sans qu'elle soit prise en compte par le niveau central comme il l'aurait fallu.

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