Intervention de Bernard Doroszczuk

Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques — Réunion du 28 mai 2020 à 9h40
Présentation du rapport annuel pour l'année 2019 de l'autorité de sûreté nucléaire asn sur l'état de la sûreté nucléaire et de la radioprotection en france par m. bernard doroszczuk président de l'asn

Bernard Doroszczuk, président de l'ASN :

Monsieur le président, monsieur le vice-président, mesdames et messieurs les parlementaires, merci de m'accueillir aujourd'hui avec Olivier Gupta pour vous présenter le rapport annuel de l'ASN au titre de l'année 2019. Ma présentation s'articulera autour d'un constat général, d'une appréciation des résultats obtenus par les exploitants dans différents domaines d'activité, et du rappel de quelques faits marquants. Compte tenu du contexte, si vous le permettez je terminerai mon intervention par quelques éléments liés à la gestion de la situation pandémique Covid-19.

L'ASN estime que le niveau de sûreté et de radioprotection dans les installations et les activités nucléaires a été acceptable en 2019, avec des points positifs que je soulignerai, mais aussi des points qui nécessitent des améliorations.

Plusieurs points positifs peuvent appuyer ce constat général. Tout d'abord dans le domaine nucléaire, aucun incident majeur n'a affecté les installations en service, et aucun rejet significatif dans l'environnement n'a été constaté.

L'année 2019 a été marquée par une plus grande prise de conscience, par les exploitants nucléaires, des défis auxquels ils sont confrontés collectivement, notamment en termes de renforcement des compétences et de la qualité des réalisations.

Cette prise de conscience s'est appuyée sur les positions répétées de l'ASN mais aussi sur les conclusions du rapport Folz, et sur les réflexions collectives engagées par la filière au sein du Groupement des industriels français de l'énergie nucléaire (GIFEN). Les mesures engagées par les exploitants suite à la découverte de fraudes ont permis de progresser. Les analyses des exploitants et les investigations menées par l'ASN sur les quelques cas avérés n'ont pas mis en évidence de risques pour la sûreté.

La sûreté des transports de substances radioactives s'est maintenue à un niveau satisfaisant au regard du nombre d'opérations effectuées. Les résultats obtenus en matière de radioprotection dans le domaine industriel sont acceptables, même si une vigilance encore plus forte doit être portée aux activités de gammagraphie réalisées sur les chantiers.

Enfin, dans le domaine médical, le nombre d'évènements significatifs de radioprotection déclarés par les professionnels de santé est demeuré très faible en 2019, au regard du nombre d'actes réalisés sur les patients et de la complexité de certains de ces actes.

Derrière ces constats généraux qui vont dans le bon sens, il faut souligner des nuances entre exploitants nucléaires et entre disciplines médicales, et des points à améliorer.

Chez EDF tout d'abord, malgré des résultats de sûreté globalement satisfaisants, deux points de vigilance sont apparus en 2019 : la saturation des capacités d'ingénierie et le recul de la rigueur d'exploitation. Ces dernières années, EDF a engagé des modifications ambitieuses de ses installations dans le cadre des réexamens périodiques des réacteurs.

En 2019, EDF a réalisé dans des conditions satisfaisantes, la première visite décennale d'un de ses réacteurs de 900 mégawatts sur le site de Tricastin. Pour réussir cette opération, EDF a mobilisé des moyens importants d'ingénierie, tant au niveau central qu'au niveau du site, pour concevoir ces améliorations et accompagner leur première mise en oeuvre sur le terrain, ce qui était indispensable. Mais l'ASN constate de plus en plus une saturation des capacités d'ingénierie d'EDF, et s'interroge sur sa capacité à mobiliser de tels moyens à l'avenir sur les autres réacteurs, donc à assurer avec succès, dans des plannings réalistes, les réexamens de sûreté.

Par ailleurs, au vu des constats qu'elle a effectués, l'ASN considère que la rigueur d'exploitation des centrales d'EDF est en recul en 2019. Trois constats peuvent illustrer cette appréciation. Tout d'abord, trois évènements significatifs ont été classés en niveau 2 sur le parc nucléaire d'EDF, contre zéro en 2018. Deux d'entre eux mettent en évidence des gestes et des décisions inadaptés des intervenants, et le franchissement de lignes de défense en matière de sûreté, par exemple sur les sites de Golfech et de Penly.

Par ailleurs chaque année, l'ASN réalise des mises en situation des équipes d'EDF lors de ses inspections. En 2019, la mise en situation a par exemple consisté en la simulation d'un départ de feu, d'une inondation interne ou du rejet d'un liquide dangereux. À cette occasion, il a été démontré que la documentation opérationnelle d'EDF n'était pas toujours adaptée à la réalité du terrain et qu'elle contenait des erreurs, voire des instructions impossibles à exécuter compte tenu de la configuration des installations.

Enfin, si EDF a davantage privilégié la remise en conformité rapide de son installation après détection d'un écart, l'année 2019 a encore été marquée par la détection de non-conformités résultant de la mise en oeuvre de modifications, y compris récemment, et d'une maintenance insuffisante.

Par conséquent, malgré des progrès indéniables, EDF doit fournir un effort pour renforcer la rigueur d'exploitation, qui fait appel à la compétence et à la conscience professionnelle des intervenants.

Chez ORANO Cycle, l'ASN estime que le niveau de sûreté des installations est demeuré à un niveau satisfaisant en 2019. Le groupe ORANO a mis en place une nouvelle organisation plus centralisée, mais s'appuyant sur des structures dédiées sur site, ce qui a permis d'améliorer la qualité des réexamens périodiques et de mieux maîtriser les risques de vieillissement des installations.

ORANO Cycle a achevé en 2019 la construction de la quasi-totalité des moyens complémentaires de sûreté issus des évaluations réalisées après l'accident de Fukushima. ORANO Cycle est en avance sur ce point par rapport aux autres exploitants nucléaires. Par exemple, l'ensemble des nouveaux moyens destinés à faire face à des situations extrêmes, tels que de nouveaux bâtiments de crise robustes ou des moyens d'appoint d'eau complémentaires, ont été mis en place.

Deux points de vigilance peuvent encore être relevés de la part d'ORANO : la surveillance des prestataires, notamment ceux chargés des contrôles et des essais périodiques, et la maîtrise des projets liés à la reprise des déchets anciens et au démantèlement, qui connaissent des reports d'échéances de parfois des dizaines d'années.

En 2019, l'ASN a engagé avec ORANO une démarche de contrôle de gestion des projets avec l'appui de la Direction générale de l'énergie et du climat (DGEC), qui sera poursuivie en 2020 puis étendue progressivement aux autres exploitants dans la même situation.

Enfin en ce qui concerne le CEA, l'ASN considère que la sûreté des exploitations est restée globalement satisfaisante en 2019, malgré un contexte budgétaire préoccupant et des retards significatifs dans la mise en oeuvre de certaines mesures post-Fukushima. L'évolution de l'organisation mise en oeuvre au second semestre 2019 sur le chantier du réacteur Jules Horowitz à Cadarache est globalement satisfaisante.

Les enjeux principaux pour le CEA portent sur la poursuite du fonctionnement d'installations conçues selon des standards de sûreté anciens, aujourd'hui largement dépassés, ainsi que sur le démantèlement des installations et la gestion des déchets historiques. Près de quarante installations du domaine civil ou militaire du CEA sont définitivement arrêtées ou en démantèlement.

En 2019, l'ASN et l'Autorité de sûreté nucléaire de défense (ASND) ont examiné la nouvelle stratégie de démantèlement élaborée par le CEA. L'ASN et l'ASND ont constaté la pertinence générale, à moyens constants alloués par l'État, de cette stratégie et de la priorisation réalisée, notamment sur les sites de Marcoule et de Saclay, même si la réduction des risques présentés par ces anciennes installations ne sera pas effective avant au mieux une dizaine d'années.

L'ASN et l'ASND ont attiré l'attention du Premier ministre sur le fait qu'un effort d'investissement spécifique et le renforcement des équipes de sûreté dédiées à ces projets leur paraissaient nécessaires.

Telles sont les constatations concernant les principaux exploitants nucléaires, hors installations de stockage des déchets, dont le niveau de sûreté est resté satisfaisant.

En radiothérapie, les fondamentaux de la sécurité sont en place et les démarches qualité progressent.

En curiethérapie, la sécurité des soins, la radioprotection des professionnels et la gestion des sources scellées de haute activité sont globalement satisfaisantes.

En revanche dans le domaine des pratiques interventionnelles radioguidées, l'ASN estime que les mesures qu'elle préconise depuis plusieurs années ne sont toujours pas suffisamment prises en compte pour améliorer la radioprotection des patients et des professionnels, notamment pour les actes de chirurgie réalisés dans les blocs opératoires. Des écarts règlementaires sont fréquemment relevés en inspection, et des évènements sont régulièrement déclarés à l'ASN en raison du dépassement des limites de doses délivrées chez les praticiens interventionnels.

L'état de la radioprotection est nettement meilleur dans les services qui utilisent ces techniques depuis longtemps, par exemple dans les services d'imagerie où sont réalisées des activités de cardiologie ou de neurologie interventionnelle. Des progrès sont donc possibles. Pour l'ASN, la formation continue des professionnels et l'intervention de physiciens médicaux constituent probablement les deux points clés pour garantir la maîtrise des doses délivrées lors des actes interventionnels.

Je terminerai ma présentation en soulignant trois faits marquants de l'année écoulée.

En premier lieu en 2019, l'ASN a été amenée à prendre la décision lourde d'imposer la réparation des soudures défectueuses sur les traversées d'enceinte du circuit secondaire de l'EPR de Flamanville. L'ASN a considéré que la nature et le nombre particulièrement important d'écarts lors de la conception et de la fabrication du circuit, constituaient un obstacle majeur au maintien en l'état de ces soudures. Trois scénarios de réparation des soudures ont été étudiés par EDF, sur lesquels l'ASN a fait part de son analyse préliminaire des risques et des points sensibles.

En octobre 2019, EDF a retenu en priorité un scénario de réparation par l'intérieur des traversées ; ce qui nécessite le développement de moyens particuliers d'intervention, lequel est en cours. La qualification des procédés est en cours, avec une fin des travaux de réparation envisagée à ce stade par EDF au second semestre 2021. L'ASN est en contact régulier avec EDF pour suivre l'élaboration de ces qualifications.

Par ailleurs, au vu des investigations supplémentaires menées par EDF à la demande de l'ASN sur l'ensemble des lignes vapeur et du circuit d'alimentation en eau, une centaine de soudures devront être réparées avant la mise en service de l'EPR, plus accessibles que les soudures de traversée d'enceinte.

Un autre fait marquant de 2019 concerne la protection des centrales nucléaires face aux risques naturels. L'année 2019 a été marquée par plusieurs épisodes caniculaires et par le séisme du Teil, survenu le 11 novembre.

En période de canicule et de sécheresse, les exploitants doivent veiller au bon fonctionnement des systèmes de sûreté, à la capacité de refroidissement du réacteur et à la maîtrise des rejets qui peuvent être affectés par les températures élevées de l'air ou de l'eau, ainsi que par les débits trop faibles dans les cours d'eau.

Lors des épisodes caniculaires de 2019, EDF a été amené à arrêter plusieurs réacteurs et à réduire la puissance de certains autres. L'ASN n'a pas relevé d'écart par rapport aux consignes à respecter. Néanmoins, face à la répétition de ces évènements, l'ASN a demandé à EDF de définir un nouveau référentiel « grands chauds » à prendre en compte lors des réexamens de sûreté de tous les réacteurs, pour anticiper les effets du réchauffement climatique.

Un autre évènement en 2019 est lié au risque naturel de séisme. Le niveau de séisme pris en compte dans la démonstration de sûreté découle d'un séisme historique relevé dans la zone géographique dans laquelle se trouvent les centrales nucléaires. Pour autant, ce niveau de séisme doit être réévalué par EDF périodiquement lors des réexamens ou d'un évènement nouveau qui se produit dans l'intervalle. C'est ce qui est survenu en 2019 avec le séisme du Teil, dont le niveau atteint est apparu très proche du niveau historique pris en compte dans la démonstration de sûreté. L'ASN a demandé à EDF de déterminer si cet évènement devait conduire à réévaluer le niveau de séisme auquel les centrales nucléaires de Tricastin et de Cruas doivent faire face. Cette analyse est en cours, et l'ASN prendra position sur le sujet en 2020.

Le dernier fait marquant que je souhaite évoquer, concerne l'élaboration du Plan national de gestion des matières et des déchets radioactifs (PNGMDR). La préparation du prochain plan a en effet fait l'objet, pour la première fois, d'un débat public préalable organisé en 2019 par la Commission nationale du débat public, du 17 avril au 25 septembre. La Commission nationale et la commission particulière du débat public ont présenté les conclusions tirées de ce débat le 25 novembre. Le ministre de la transition écologique et l'ASN ont communiqué le 21 février 2020 les suites qu'ils envisagent de donner au débat. Je me limiterai à en citer quelques-unes pour illustrer les thèmes prioritaires ayant émergé.

Tout d'abord, une meilleure articulation sera recherchée entre politique énergétique et politique de gestion des déchets. La gouvernance du plan sera renforcée. Par exemple, la périodicité d'élaboration du PNGMDR sera mise en cohérence avec la Programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE). L'articulation du plan avec les stratégies d'arrêt définitif et de démantèlement des industriels sera mieux explicitée. Pour répondre aux attentes en matière de gouvernance, le fonctionnement de l'instance d'élaboration et de suivi du plan sera clarifié. Cette instance sera élargie à des représentants des parlementaires, de la société civile et des collectivités locales. Pour répondre aux besoins désormais urgents, le PNGMDR prévoira la mise en oeuvre de nouvelles capacités d'entreposage des combustibles usés, en tenant compte de l'avis rendu en 2019 par l'ASN sur les options de sûreté du projet de piscine d'entreposage centralisé, présenté par EDF. Le plan prévoira en complément l'étude des conditions et situations dans lesquelles un entreposage à sec des combustibles usés pourrait être utile.

Le Gouvernement fera évoluer le cadre règlementaire applicable à la gestion des déchets de très faible activité, afin d'introduire une nouvelle possibilité de dérogation ciblée, permettant une valorisation au cas par cas des déchets radioactifs métalliques de très faible activité, après fusion et décontamination. Le PNGMDR formulera des recommandations quant aux modalités de mise en oeuvre de telles dérogations, en prenant en considération les travaux menés à la demande de l'OPECST par le Haut comité de la transparence et l'information sur la sécurité nucléaire.

Enfin, le plan précisera les conditions de mise en oeuvre de la réversibilité du stockage des déchets à haute activité, en particulier en matière de récupérabilité, et poursuivra la définition des modalités d'association du public aux étapes structurantes du projet de PNGMDR.

La rédaction du cinquième plan, son évaluation environnementale stratégique et la consultation du public auront lieu au début 2021. Le projet de plan sera ensuite rendu public et transmis à l'OPECST.

Voici Monsieur le président et Monsieur le premier vice-président, les points du rapport annuel que je souhaitais souligner.

Pour finir, je complèterai brièvement mon propos par quelques éléments liés à la gestion de la crise sanitaire actuelle.

Avec la crise Covid-19, l'industrie de la filière nucléaire est confrontée, pour la première fois de son histoire, à une crise dont l'origine n'a aucun lien avec son activité. Durant la période de confinement, seules les centrales nucléaires d'EDF et les activités nécessaires au fonctionnement de celles-ci, en termes d'approvisionnement de combustibles et d'équilibre du cycle du combustible, ont été maintenues en service. Les enjeux de sûreté ont donc concerné, pendant la période de mi-mars à mi-avril, un nombre limité d'installations et un nombre très réduit d'exploitants.

Le contrôle des installations nucléaires en exploitation s'est poursuivi sous des formes adaptées, et ce de façon similaire dans tous les pays nucléarisés. Pour faire face à cette épidémie, tant les exploitants que l'ASN ont actionné leur plan de continuité d'activité applicable en cas de pandémie grippale. L'application de ces plans n'a pas posé de difficulté particulière. La réduction du nombre de personnels et de prestataires spécialisés présents sur les sites a conduit à la réduction importante des activités chez l'ensemble des exploitants. EDF a été contraint de prolonger et décaler les arrêts de tranches. Ces décalages ont entraîné des incidences sur le respect de certaines échéances règlementaires, et ont conduit l'ASN à instruire des demandes ponctuelles de dérogation, qui n'ont pour l'instant pas soulevé de difficulté.

Depuis le 11 mai, les activités nucléaires reprennent progressivement. Dans les prochains mois, les reports cumulés des arrêts de tranches chez EDF et le rythme encore réduit des travaux réalisés, vont imposer une reprogrammation substantielle des arrêts. Par effet domino, cette reprogrammation va largement déborder sur 2021 et 2022, voire au-delà. Cette situation conjuguera des effets de sûreté et de sécurité d'alimentation électrique. La stratégie envisagée par EDF à ce stade consiste principalement à décaler l'arrêt de certains réacteurs pour lisser les effets sur la disponibilité du parc, ou à envisager un saut d'arrêt pour les réacteurs disposant encore de suffisamment de combustible pour fonctionner pendant l'hiver prochain. Contrairement à d'autres pays, notamment aux États-Unis, EDF n'a pas prévu de réduire de manière significative son volume de travaux de maintenance et de modifications pendant les arrêts réacteurs. Cette stratégie est favorable à la sûreté.

A ce stade, l'ASN estime que l'analyse réalisée par EDF a suivi des hypothèses réalistes du point de vue industriel et prudentes du point de vue de la sûreté. Les écarts constatés du point de vue des échéances règlementaires de sûreté peuvent être traités dans le cadre de processus connus et déjà mis en oeuvre par le passé. Ces décalages de quelques semaines, ou de quelques mois dans un nombre limité de cas, ont conduit à identifier une dizaine de situations qui nécessiteront des autorisations de l'ASN d'ici la fin de l'année 2020 ou au début de l'année 2021. Maintenue à ce niveau, la démarche d'EDF est acceptable.

Néanmoins, un point de vigilance particulier devra être porté par EDF concernant les visites décennales des réacteurs, qui sont des arrêts à plus fort enjeu. Ce point fera l'objet d'un examen approfondi entre l'ASN et EDF.

Je passe la parole à OIivier Gupta pour vous présenter la manière dont nous avons exercé notre contrôle dans un contexte inédit en 2019 et depuis le début de cette année 2020.

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