Je n'en avais pas l'intention !
Avant même le confinement, le premier événement auquel je suis confrontée à Paris en tant que maire, c'est le Nouvel An chinois, qui commence le samedi 25 janvier. Comme c'est la tradition, je rencontre, avec Jérôme Coumet, le maire du treizième arrondissement et toutes les associations présentes, qui sont en alerte totale. Elles nous disent qu'il faut annuler les festivités. Évidemment, nous n'avions aucune indication nous poussant à agir en ce sens, d'autant que le Nouvel An chinois dure plusieurs semaines, avec plusieurs grands défilés.
Mon cabinet prend tout de suite l'attache du ministère de la santé pour demander s'il existe des directives particulières. On nous dit que non. Les associations de ressortissants franco-chinois me disent néanmoins prendre la décision d'annuler et me demandent de les accompagner dans cette décision.
Jérôme Coumet et moi-même sommes pris totalement au dépourvu, mais nous décidons de les accompagner. À partir de ce moment, qui coïncide à peu près avec la diffusion des premières images du confinement à Wuhan, je confirme l'annulation des festivités - cela me vaut quelques remarques dans la presse sur le fait que je me mêlais de choses qui n'étaient pas de ma compétence -, décision qui vaut également pour le très grand défilé, censé avoir lieu quinze jours après dans les rues du treizième arrondissement.
Au regard des informations que nous rapportent les associations de Franco-Chinois à Paris, j'écris le 31 janvier à la ministre de la santé pour lui demander des consignes. Avec mon adjointe Anne Souyris et mon adjoint chargé des affaires scolaires Patrick Bloche, nous avons pris conscience des nombreux allers et retours de ces Franco-Chinois entre la Chine et le treizième arrondissement, d'autant que nous étions en période de vacances scolaires. C'est pourquoi j'ai proposé de mettre en place, sinon un confinement, du moins des mesures de quatorzaine de toutes les personnes revenant des zones infectées, avant qu'elles ne retrouvent le chemin de nos écoles.
Longtemps après, j'ai reçu une réponse allant dans ce sens, même si, dans un premier temps, les autorités de l'État m'ont dit que ce n'était pas nécessaire à ce stade, compte tenu des connaissances que l'on avait alors sur ce virus.
Pour autant, nous avons mis en place au début de février ce dispositif, aux termes duquel tout enfant qui revenait de Chine ou qui avait côtoyé quelqu'un revenant notamment de ce pays passait quatorze jours chez lui avant de revenir en classe.
Dès le 3 février, nous installions à l'hôtel de ville une cellule de veille, puis une cellule de crise, qui se réunissait quotidiennement. Chacune des directions établissait un rapport, tandis que nous associons les maires d'arrondissement pour suivre l'évolution de la situation. J'étais aussi quotidiennement en lien avec Martin Hirsch pour mesurer les capacités d'accueil des hôpitaux. En effet, nous nous inquiétions d'un possible manque de lits et de personnel.
Le mois de février n'aura donc pas été pour moi un mois de confinement, mais un mois d'hyperactivité, pour préparer, gérer et anticiper ce qui allait peut-être se passer.
J'ai pris également l'attache, par mes contacts internationaux, d'un certain nombre d'acteurs qui avaient une connaissance du terrain. Je me suis entretenue longuement avec Philippe Klein, médecin généraliste français qui a vécu toute l'épidémie à Wuhan. Il me dit alors très clairement que ce qui se passe dans cette ville risque de se passer chez nous, qu'il est essentiel de disposer de masques, de faire des tests et que l'on peut alors s'en sortir avec un confinement court de quinze jours.
Telles sont les informations dont je disposais avant le confinement et au moment où le confinement entre en vigueur.
J'ai échangé aussi beaucoup avec mes collègues étrangers. Je pense à mes collègues italiens - nous participons au même réseau de villes -, en particulier le maire de Milan ; je pense au maire de Séoul, qui vient malheureusement de décéder, qui a une expérience particulière dans la gestion de cette crise, d'autant que la Corée, qui a une autre culture et une autre approche que la nôtre, n'a pas eu recours au confinement, mais a utilisé de façon massive les masques et les tests.
Je me suis donc nourrie de ces situations, tout en me demandant - nous sommes en février - comment se traduirait un confinement dans une ville comme Paris, compte tenu de sa densité et de son niveau d'activité.
Faut-il revoir la copie en matière de gouvernance de la santé publique ? Oui, complètement. Heureusement, l'hôpital a tenu, grâce au personnel hospitalier, grâce à toutes ces femmes et à tous ces hommes qui se sont battus pour sauver des vies. Je leur dis évidemment mon admiration et ma reconnaissance.
L'autre versant, c'est la médecine de ville, ce sont les centres de santé. Et l'on s'est aperçu très vite que les personnes les plus vulnérables étaient bien sûr les plus âgées et les plus fragiles, mais que cette épidémie - c'est sa dimension sociale - frappait ceux qui vivaient dans des appartements trop petits et ceux qui n'avaient pas de médecin traitant. Dans des quartiers entiers de Paris, notamment dans le dix-neuvième arrondissement, une très large part de la population n'a pas de médecin traitant.
Nous avons essayé d'agir avec les acteurs locaux, en profitant de notre expérience, à laquelle Bernard Jomier a d'ailleurs beaucoup contribué lorsqu'il était adjoint à la santé. Anne Souyris, qui lui a succédé, a veillé à établir un lien permanent entre les populations, la médecine de ville, les infirmières libérales, les centres de santé et l'hôpital.
La leçon que je tire pour ce qui concerne la gouvernance, c'est qu'il faudrait créer une direction de la santé publique à Paris, en lien avec l'AP-HP, justement parce que je veux une structure qui ne soit pas sans lien avec l'hôpital, mais qui ne soit pas non plus dans l'hôpital, afin de ne pas se couper de tout ce qu'apporte un maire dans son travail auprès des populations et des autres acteurs.
Notre expérience dans la lutte contre le SIDA nous a servis. Notre stratégie « Paris sans SIDA » se fonde sur une approche communautaire, c'est-à-dire que nous nous intéressons aux populations cibles auxquelles il faut délivrer des messages différents selon leur nature. En adoptant cette stratégie avec les associations, avec la médecine de ville, avec des spécialistes, avec l'hôpital, avec les services sociaux de la ville, nous avons réussi pour la première fois l'année dernière à réduire de 16 % à Paris le nombre de contaminations par le SIDA chez les hommes ayant des rapports avec des hommes, ce qui n'était jamais arrivé. Forts de cette expérience, nous nous sommes dit qu'il fallait une direction de la santé publique déconcentrée, qui ne soit pas à l'échelle uniquement de la mairie de Paris.
Je ne sais pas s'il s'agit d'une guerre, mais, en tout cas, c'est dans la proximité que la gestion doit se faire. C'est en connaissant le terrain que l'on a justement cette capacité à apporter des réponses et à coordonner les acteurs, lesquels, partageant ce qu'ils ont vu, peuvent proposer des solutions évidentes.
Dans les Ehpad, on a bien vu que si l'on ne testait que les personnels symptomatiques, on n'allait pas s'en sortir, parce qu'une partie des contaminations étaient le fait de personnes asymptomatiques continuant à travailler. C'est pourquoi nous nous sommes battus pour que des tests soient réalisés sur ces personnes, afin de casser les chaînes de transmission de la maladie.
Il faut donc partager, dans la proximité, ce que l'on observe sur le territoire ; c'est possible, car les acteurs à l'échelle du territoire sont connectés entre eux. J'ai beaucoup appris notamment de la gestion des attentats de 2015 : il faut évidemment une unité de commandement ; il faut évidemment que le préfet, en l'occurrence à Paris le préfet de police, prenne la main de cette unité de commandement ; il faut évidemment que chacun travaille dans le respect des fonctions et des responsabilités des uns et des autres et dans la confiance.
Il est vrai que, pour nous, à Paris, le réflexe consistant à se mettre immédiatement en mode de gestion de crise, dans le respect des fonctions de chacun et dans l'écoute des uns et des autres, change la donne.
Il faut aller vers cette proximité, et l'on ne peut pas s'en tenir à une simple réorganisation de la gouvernance des grands hôpitaux ou du ministère de la santé, sans déconcentration, sans connexion avec les maires et les acteurs de chacun des territoires, dont les départements.
Je rejoins tout à fait ce qui a été dit : c'est nécessaire pour que nos concitoyens sachent ce qu'est le service public. Ce n'est pas uniquement en temps de crise que nous devons travailler ainsi ; c'est de façon quotidienne et permanente.