Intervention de Gisèle Jourda

Commission d'enquête Pollution des sols — Réunion du 8 septembre 2020 à 15:5
Examen du rapport

Photo de Gisèle JourdaGisèle Jourda, rapportrice :

Nous parvenons au terme des travaux de la commission d'enquête. La covid-19 ne nous a pas permis de travailler dans des conditions de parfaite sérénité, mais nous avons travaillé avec sérieux. Les auditions en visioconférence ont été nombreuses, et je vous remercie d'y avoir participé, alors que vous étiez par ailleurs très sollicités.

La dégradation de la qualité des sols consécutive à l'activité industrielle et minière ne semble épargner aucun territoire de notre pays, dans l'Hexagone comme dans les outre-mer. En dépit de son impact majeur sur la santé des populations et l'environnement, la pollution des sols constitue pourtant encore un enjeu mal mesuré et insuffisamment pris en compte dans notre législation.

Les propositions du rapport s'articulent par conséquent autour de cinq grandes lignes directrices.

Le premier objectif doit consister à améliorer la qualité et la lisibilité de l'information sur les sites et sols pollués.

Les bases de données qui sont aujourd'hui disponibles sur ces derniers, notamment Basias et Basol, ne permettent pas de disposer d'une vision consolidée de l'état de dégradation des sols dans notre pays. À la fragmentation de l'information disponible s'ajoute la technicité des données sur l'évaluation de la pollution et de son impact sur la santé, qui rend leur compréhension bien souvent peu intelligible et insuffisamment accessible aux responsables locaux et au grand public - je remercie les membres de la commission d'avoir fait l'effort de s'approprier ces données et le jargon utilisé sur ces sujets.

Il demeure par conséquent très difficile d'appréhender l'ampleur, dans notre pays, de la pollution des sols, qui est en grande partie le résultat de pollutions historiques conduites avant l'établissement d'une véritable réglementation sur la traçabilité des activités polluantes. Or, pour certains sites, les phénomènes climatiques de grande ampleur peuvent venir « réveiller » des pollutions historiques, comme l'ont illustré les inondations de 2018 dans la vallée de l'Orbiel.

Dans ces conditions, je vous propose de faire évoluer le droit français afin de consacrer le droit à l'information du public sur l'existence de pollutions des sols avérées ou suspectées et sur leurs effets sur la santé et l'environnement, par analogie avec le droit à l'information sur la pollution de l'air.

Par ailleurs, afin de remédier à l'absence d'information consolidée sur les sols pollués et les risques sanitaires et écologiques associés, il convient d'établir une cartographie nationale des risques sanitaires et environnementaux liés aux pollutions des sols, à partir des données de Basias et Basol et des résultats d'un programme national d'identification des risques associés à une liste de substances polluantes dont la surveillance est identifiée comme prioritaire.

Enfin, je plaide pour la mobilisation d'une enveloppe nationale de 50 millions d'euros afin de mener à terme l'inventaire et le diagnostic des sols des établissements recevant des enfants situés sur des sites pollués.

Le deuxième objectif consiste à poser les jalons d'un véritable droit européen et national de la protection des sols. Les sols restent aujourd'hui un parent pauvre de la réglementation environnementale et pâtissent d'un arsenal législatif et réglementaire parcellaire et négligé. Il me semble donc indispensable de relancer le processus d'élaboration d'une directive européenne sur la protection des sols. Sans attendre cette évolution, qui mettra sans doute du temps, il nous faut procéder à une refonte substantielle de notre législation.

Je vous propose tout d'abord de mettre un terme aux asymétries existant entre le code minier et le code de l'environnement en matière de responsabilités des exploitants et de prévention des risques sanitaires et environnementaux, en envisageant l'extension aux exploitants de sites miniers de l'obligation de constitution de garanties financières pour la remise en état de la mine après fermeture ; l'intégration de la protection de la santé publique dans les intérêts protégés par le code minier ; l'extension aux sites miniers de la possibilité de rechercher la responsabilité de la société mère en cas de défaillance éventuelle de la filiale exploitante ; l'intégration des travaux miniers dans l'autorisation environnementale, afin d'harmoniser les procédures administratives d'instruction, de contrôle et de sanction entre les sites miniers et les sites d'installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE) ; l'extension pour une durée de trente ans des conditions d'exercice de la police résiduelle des mines après l'arrêt des travaux.

Une autre proposition fondamentale réside dans l'introduction dans notre code de l'environnement d'une définition législative de la pollution des sols, comme celle qui existe pour l'eau et l'air. Elle est réclamée par la très grande majorité des personnes et organismes que nous avons auditionnés.

Le troisième axe de ma réflexion a porté sur l'amélioration de notre système de surveillance des installations industrielles et minières. La surveillance de l'état des sols est en effet aujourd'hui essentiellement cantonnée à la naissance et à la cessation d'activité du site.

Outre un renforcement des capacités et des pouvoirs de contrôle de l'inspection des installations classées, il nous appartient de pallier les déficiences avérées et de combler plusieurs « trous dans la raquette » de notre système de surveillance de la qualité des sols.

Il faut notamment donner à l'inspection des installations classées les moyens et les pouvoirs qui lui sont nécessaires pour rechercher les cas de non-déclaration de cessations d'activité, en envisageant notamment de conditionner la radiation d'une entreprise du registre du commerce et des sociétés au respect de ses obligations en matière de diagnostic des sols et de remise en état prévues lors de la cessation d'activité.

Je vous propose également d'inclure systématiquement des exigences relatives à la surveillance - au maximum décennale - de la qualité des sols et des eaux souterraines dans les arrêtés ministériels fixant les prescriptions générales applicables aux ICPE soumises à déclaration relevant de catégories identifiées comme à risque pour les sols. De telles exigences devraient également être incluses dans les arrêtés préfectoraux relatifs à des ICPE à autorisation ou à enregistrement qui ne sont pas encore soumises à des obligations de surveillance régulière des eaux souterraines.

Le quatrième objectif consiste à réunir les conditions d'une gestion réactive et transparente des risques sanitaires et d'une meilleure réparation des préjudices écologiques. Je suis convaincue que le sujet de la réparation prendra toute sa dimension dans le futur.

Dans des cas de pollution historique des sols où la responsabilité des exploitants est bien souvent prescrite ou impossible à actionner faute de solvabilité, les autorités peuvent apparaître, dans certains territoires, totalement démunies dans la gestion des problématiques sanitaires et écologiques.

Dans un souci de transparence sur les risques sanitaires associés aux sites pollués et sur les mesures de gestion mises en oeuvre par les autorités, je vous propose la publication, sur le site de Santé publique France, d'une liste régulièrement actualisée de l'ensemble des sites dont la pollution des sols présente un risque avéré pour la santé et rappelant les mesures de gestion du risque sanitaire mises en oeuvre ou envisagées.

Par ailleurs, il nous faut définir des moyens permettant aux responsables de collectivités territoriales, en particulier aux maires, d'articuler leur action de proximité avec celle des services de l'État, notamment par l'introduction systématique dans le plan communal de sauvegarde de toute commune comportant sur son territoire un site pollué d'un volet spécifique consacré à l'alerte, l'information, la protection et le soutien de la population en cas de risque de pollution industrielle ou minière des sols.

En complément, il devrait revenir à chaque préfet d'élaborer un plan d'action détaillant les mesures de gestion des risques sanitaires pour chaque site pollué présentant un danger avéré pour la santé, soumis à l'avis des membres de la commission de suivi de site et faisant l'objet d'un bilan annuel de sa mise en oeuvre, dans une logique de transparence et dans une démarche participative. Cela doit, à mon sens, constituer une obligation, et tous les moyens doivent être mis en oeuvre pour que chaque préfet de département puisse activer une boîte à outils à cette fin.

Il me semble également nécessaire de s'inspirer de la réglementation applicable à la surveillance de la qualité de l'air pour instituer un programme national de surveillance de la présence de substances polluantes prioritaires susceptibles d'être présentes dans les sols, dont la liste serait définie par décret en Conseil d'État.

Afin d'améliorer la réactivité de la réponse sanitaire et un traitement indépendant et transparent des alertes sanitaires, je plaide pour la création de centres régionaux de santé environnementale chargés d'examiner les demandes d'évaluation de l'impact sanitaire d'expositions à des substances polluantes sur saisine du préfet, du directeur général ou d'un directeur de délégation départementale de l'agence régionale de santé (ARS), mais aussi et surtout d'élus locaux ou d'associations de riverains.

Je propose, en outre, d'inscrire dans la loi la participation au financement des études d'imprégnation et des études épidémiologiques des exploitants dont l'activité est identifiée comme responsable, en tout ou partie, des expositions environnementales présentant un danger avéré pour la santé, le cas échéant via une assurance obligatoire pour dommages causés à des tiers.

Je plaide, par ailleurs, pour la création, dans les départements où une présence importante de polluants toxiques a été détectée, de registres de morbidité, portant notamment sur les cancers et les malformations congénitales, afin en particulier de collecter des données sur l'impact sanitaire des effets cocktail en cas d'exposition à plusieurs substances polluantes. Dans tous ces départements, un suivi de la santé de la population est nécessaire. Outre une inscription des données d'exposition dans les dossiers médicaux partagés, il faut des registres ouverts, consultables. Les deux éléments sont importants.

En matière de réparation des préjudices écologiques, il nous faut définir un cadre qui permette de mieux actionner le principe pollueur-payeur, notamment par un renforcement des obligations de constitution de garanties financières ou encore par un renforcement des obligations assurantielles des exploitants.

Enfin, le cinquième axe de mes propositions porte sur la nécessaire mobilisation des friches industrielles et minières dans une démarche d'aménagement durable.

Pour répondre aux objectifs de lutte contre l'étalement urbain et d'artificialisation des sols, il est indispensable de faciliter la valorisation des terres excavées. Dans une logique d'économie circulaire, les conditions de sortie du statut de déchet des terres excavées pourraient être assouplies, sous réserve toutefois de conditions exigeantes de traçabilité et de responsabilité et de l'élaboration d'un guide des méthodes de valorisation hors site des terres excavées suivant des critères stricts de qualité et de soutenabilité, validé par arrêté ministériel.

Les personnes que nous avons entendues se sont quasiment unanimement félicitées de la mise en place par la loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové (Alur) du dispositif du tiers demandeur, qui autorise un tiers à réaliser à la place de l'exploitant les travaux de réhabilitation nécessaires, lorsque ce tiers est porteur d'un projet ultérieur pour le terrain concerné. Afin d'accompagner sa montée en puissance, je vous propose de faciliter son utilisation par les aménageurs publics, tels que les établissements publics fonciers (EPF), qui pourraient assurer des opérations de pré-aménagement d'un site pollué, en autorisant le transfert d'un projet d'un tiers demandeur à un autre.

Enfin, dans le souci de mieux accompagner et soutenir les acteurs publics et privés de la dépollution et de la reconversion, je vous propose la création d'un fonds national de réhabilitation des sites et sols pollués qui puisse non seulement prendre en charge la dépollution des sites orphelins, mais également venir en aide aux collectivités propriétaires de terrains pollués, notamment celles qui ont hérité de friches polluées et qui n'ont pas la capacité financière de supporter les travaux de dépollution qui s'imposent. Je pense au département du Val-de-Marne, qui doit supporter des coûts de réhabilitation du collège Saint-Exupéry qui pèsent lourdement sur son budget. Je pense encore à la situation du site de l'ancienne usine Saft-Leclanché à Angoulême, dont a hérité le département de la Charente.

Géré par l'agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), ce fonds verrait son financement assis sur une dotation budgétaire de l'État, complétée par l'affectation du produit des sommes acquittées par les pollueurs au titre de sanctions et d'une fraction additionnelle de la taxe générale sur les activités polluantes. Les moyens d'intervention de ce fonds devraient s'établir au moins à 75 millions d'euros par an. Je note que le Gouvernement a annoncé récemment, dans le cadre du plan de relance, la création d'un fonds de soutien à la reconversion de friches, sans préciser ses modalités de financement. Le fonds du Gouvernement ne se limite pas aux friches polluées et vise des opérations qui sortent du champ de la dépollution. Le champ de notre fonds est, lui, plus ciblé : il serait dédié aux sols pollués dont les pollutions résulteraient des activités industrielles ou minières, et serait financé sur un temps long.

Je vous propose également de restaurer l'attractivité économique de la réhabilitation des friches industrielles et minières par la mise en place d'incitations fiscales aux travaux de dépollution, dans un objectif d'amélioration de l'équilibre financier global des opérations de dépollution et d'aménagement. Des exonérations temporaires, des déductions partielles ou des réductions de taux de certains impôts, notamment des droits de mutation à titre onéreux, de la taxe d'aménagement ou de la taxe foncière, pourront être envisagées, sous réserve d'une compensation par l'État de la perte de ressources fiscales encourue par les collectivités.

Pour terminer, mes chers collègues, je salue l'état d'esprit qui a prévalu aux travaux de notre commission. C'est une situation rencontrée dans mon département qui m'a encouragée à m'emparer de cette problématique. Les élus sont complètement décontenancés par les mesures existantes. Ce n'est pas parce qu'un sujet est délicat qu'il faut s'abstenir de poser des garde-fous.

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