C'est peut-être gérable, mais c'est lourd, et ce n'était pas possible dans ce contexte sanitaire. Il nous aurait fallu un délai bien plus important. Je comprends néanmoins votre frustration, et la connaissance en la matière doit être renforcée.
J'en viens à votre première question. La CNAM, la CNAV et Pôle emploi ont vocation à estimer deux choses : le montant brut de la fraude et celui des prestations versées définitivement à tort, en distinguant autant que possible les fraudes et les erreurs. À l'issue de l'enquête de la Cour, Pôle emploi s'est engagé à une estimation périodique du montant brut de la fraude, en se basant sur la méthode utilisée dans une estimation portant sur les prestations versées en 2012.
L'Assurance maladie effectue chaque année plusieurs centaines de milliers de contrôles a posteriori, mais ce n'est pas assez au regard des risques. Les informations recueillies pourraient être directement utilisées ou extrapolées. Une exploitation plus systématique des résultats des contrôles pourrait permettre d'observer des tendances statistiques dans la fréquence et le montant moyen des irrégularités.
L'évaluation par la CNAM comporte quatre prérequis : la mise en place d'un outil informatique beaucoup plus performant de reporting des contrôles effectués, un élargissement du périmètre de l'échantillon des factures sélectionnées de manière aléatoire, une implication de la direction statistique de la CNAM, et une volonté de l'organisme de mesurer les pertes financières liées à des erreurs et des fraudes. Le respect de l'objectif national de dépenses d'Assurance maladie (Ondam) ne saurait être le seul objectif financier de l'Assurance maladie : le paiement à bon droit des prestations est tout aussi essentiel.
Devant la commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur la fraude aux prestations, le directeur de la Sécurité sociale s'est engagé à ce que l'Assurance maladie procède à une estimation de la fraude. Cela impliquerait une charge supplémentaire équivalente à dix équivalents temps plein ETP, ce qui est modéré et pleinement justifié au vu des gains financiers à attendre.
Concernant les informations utiles auxquelles les organismes sociaux pourraient avoir accès, la loi du 23 octobre 2018 a marqué plusieurs avancées. Nous ne comprenons cependant pas pourquoi Pôle emploi, établissement public de l'État, n'est toujours pas doté du droit de communication auprès de tiers, alors que les caisses de sécurité sociale le sont depuis 2008. Cela prive Pôle emploi de la possibilité de contrôler la résidence en France et de détecter des activités non déclarées grâce à la consultation des relevés de compte bancaire.
Plus généralement, les organismes sociaux ne peuvent pas encore consulter toutes les informations utiles pour vérifier la stabilité de la résidence en France des bénéficiaires ; nous préconisons de leur donner accès aux registres des Français de l'étranger tenus par le ministère des affaires étrangères et les bases « élèves » du ministère de l'Éducation nationale. Ayant moi-même résidé cinq ans à l'étranger, j'ai pu constater l'absence de contrôles.
Les organismes sociaux doivent aussi pouvoir appréhender, sur un portail de consultation mis à disposition par l'Assurance maladie, l'existence de séries de soins à l'étranger et, par leurs propres moyens, la composition du foyer des bénéficiaires de prestations connues par leurs homologues.
J'aborde maintenant les préalables juridiques. L'application à Pôle emploi du droit de communication nécessite des évolutions législatives. Voilà sans doute, monsieur le rapporteur général, un champ d'action utile. Les autres possibilités de communication que j'ai évoquées appellent des évolutions plus légères, de nature réglementaire.
Les enjeux calendaires et informatiques ne sont pas les moindres. Près de deux années après la loi du 23 octobre 2018, les possibilités de consultation du fichier des contrats d'assurance vie (Ficovie), de la base nationale des données patrimoniales et de la base des transactions immobilières qu'elle prévoit ne sont toujours pas entrées en vigueur.
La dématérialisation de la gestion des droits et prestations supprime ou réduit certains types de fraudes, comme la surcharge d'ordonnances médicales ou la falsification du bulletin de paie ; mais elle peut en susciter de nouveaux. Dès à présent, les organismes sociaux combattent des tentatives d'intrusion dans leurs systèmes d'information. Ils doivent aborder les risques émergents de fraude par internet dans le cadre d'une structure transversale, sans s'en tenir aux risques les plus visibles, c'est-à-dire les fraudes individuelles.
La dématérialisation des cartes Vitale ne devrait pas, aux yeux de la Cour, accentuer les difficultés d'accès aux soins des plus précaires. La carte dématérialisée que nous proposons serait accessible sur un smartphone. Selon un sondage effectué en juin 2019, le taux d'équipement des 18-24 ans est proche de 100 % ; il descend à 44 % chez les 70 ans et plus. Le smartphone est devenu un objet courant, sinon indispensable. Le risque d'exclusion est davantage lié à l'âge qu'au niveau d'éducation ou de revenu. Cela étant dit, il faudrait procéder à une mise en place par étapes pour minimiser la gêne induite par le changement. Il serait ainsi nécessaire de conserver, au moins provisoirement, la carte actuelle pour les 60 ans et plus.
Enfin, la Cour préconise un renforcement des contrôles automatisés de la conformité aux nomenclatures tarifaires des actes facturés à l'Assurance maladie par les professionnels de santé. L'obligation des paiements sous sept jours ne serait pas remise en cause mais elle ne s'accompagnerait plus de règlements manifestement irréguliers.
La Cour préconise également que les CPAM aient la faculté de suspendre la garantie de paiement pour les professionnels de santé ayant déjà fait l'objet d'une sanction pénale, administrative ou ordinale pour fraude ou pour faute. Il est fréquent que les professionnels en question persistent dans leurs comportements ; c'est pourquoi il est utile que les CPAM, instruites par cet historique, puissent conduire des contrôles a priori avant de régler les professionnels concernés, quitte à dépasser le délai de sept jours ouvrés. Il faudrait mettre en place un cadre juridique pour cela.