Monsieur le président, mes chers collègues, un peu moins de sept mois après la création de cette mission d'information, le moment est venu de tirer les conclusions du travail accompli.
Les travaux de la mission ne se sont pas déroulés comme nous l'avions prévu au mois de février. L'irruption de la crise sanitaire nous a obligés à repenser un certain nombre d'auditions et de déplacements, puisqu'il aura fallu attendre le mois de juin pour reprendre nos travaux. Malgré tout, nous avons pu entendre à Paris les principales associations d'élus locaux, les représentants des chambres consulaires, des universitaires, ainsi que la direction générale des collectivités locales.
En Auvergne-Rhône-Alpes puis dans le Grand Est, avec ceux d'entre vous qui êtes élus des départements où je me suis rendue - l'Allier, le Rhône et l'Ardèche dans un cas, la Meuse, les Ardennes et le Bas-Rhin dans l'autre -, j'ai pu rencontrer les élus départementaux et régionaux, les services préfectoraux et des acteurs économiques.
Ces auditions et déplacements ont été particulièrement riches d'enseignements, d'autant plus qu'ils ont eu lieu juste après le pic de la crise sanitaire. Cette dernière a joué le rôle d'un puissant révélateur des forces et des faiblesses de notre organisation territoriale, et du rôle que les départements sont appelés à y jouer.
J'ai également pu m'appuyer sur les réponses au questionnaire que le président et moi-même avions envoyé à l'ensemble des présidents de conseil départemental et régional.
Lors de notre première réunion, nous sommes partis d'un constat et d'une hypothèse.
Le constat est que les départements ont été très affaiblis au cours de la décennie écoulée en raison de la perte d'une partie importante de leurs compétences et du resserrement de leur champ d'intervention sur l'action sociale, d'une part, et en raison de la diminution des dotations de l'État, de la perte progressive de toute autonomie fiscale et de l'augmentation continue de leurs dépenses obligatoires, liées notamment au service des allocations individuelles de solidarité (AIS), d'autre part.
Lors de l'examen du projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) en 2014-2015, le gouvernement de Manuel Valls se proposait explicitement de « dévitaliser » peu à peu les départements pour aboutir à leur suppression à l'horizon 2020.
Pourtant, les départements sont encore là. Il semble même que l'on assiste aujourd'hui à une réhabilitation de cet échelon de l'action publique.
Notre hypothèse était que les départements ont toujours un rôle essentiel à jouer, au-delà même du domaine de l'action sociale, en tant que collectivité de taille intermédiaire, suffisamment proche du terrain pour être pleinement à l'écoute des attentes des citoyens, suffisamment étendue et puissante pour assumer la charge de grands services publics et assurer une péréquation entre des territoires d'inégale richesse. Nous avons décidé de porter une attention particulière au cas des très grandes régions issues de la refonte de la carte régionale en 2016, dans lesquelles le rôle du département en tant que collectivité intermédiaire est peut-être encore plus important qu'ailleurs.
La première partie du rapport est consacrée à approfondir le bilan de la décennie écoulée. Je ne m'y attarderai pas outre mesure.
En plus de la réduction des compétences départementales, de la concurrence des régions et des métropoles, ainsi que de l'entrée en vigueur du mode de scrutin cantonal binominal, il m'a paru nécessaire de présenter un aperçu assez détaillé de la situation financière actuelle des départements.
Rappelons quelques chiffres : les dépenses sociales représentent aujourd'hui 57 % des dépenses de fonctionnement des départements, dont 30 % pour les seules AIS ; le nombre de bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA) a progressé de 40 % depuis 2008 ; l'État ne compense que 58 % de ces dépenses liées au RSA.
Au prix d'efforts de gestion considérables, et parce qu'ils se sont résolus à tailler dans leurs dépenses d'investissement en dehors du champ social, les départements étaient dans une situation financière globalement saine à la veille de la crise sanitaire. Cet équilibre est aujourd'hui fragilisé : la hausse des dépenses sociales des départements liée à la crise sanitaire est estimée à 1 milliard d'euros, alors même que les recettes fiscales tirées des droits de mutation à titre onéreux (DMTO) ont connu une forte chute.
Ce tableau d'ensemble n'est guère réjouissant. Il peut sembler confirmer les prédictions de certains observateurs qui, dès la fin des années 2000, prévoyaient que les départements se transformeraient peu à peu en agences techniques chargées de mettre en oeuvre des politiques sociales très fortement encadrées par les lois et règlements nationaux, placées sous perfusion financière de l'État et ayant perdu toute capacité juridique ou financière d'intervenir dans d'autres domaines de l'action publique.
Et pourtant, le fait départemental résiste, ce qui résulte, me semble-t-il, de plusieurs facteurs.
Le premier facteur est l'impératif de proximité de l'action publique, dont la crise des gilets jaunes et la crise sanitaire ont une nouvelle fois révélé l'importance.
Ces crises ont d'ores et déjà une conséquence inattendue en ce qui concerne l'administration territoriale de l'État : après plusieurs décennies au cours desquelles les services régionaux de l'État n'ont cessé de monter en puissance au détriment des préfectures de département, on assiste aujourd'hui au début d'un mouvement en sens inverse. Le Premier ministre a annoncé que, en 2021, toutes les créations d'emplois dans les administrations de l'État seraient réservées, sauf exception, aux administrations départementales. Il a souligné à juste titre qu'il s'agissait d'une véritable « révolution ». Reste à voir si celle-ci se concrétisera car, comme saint Thomas, je ne crois que ce que je vois...
En revanche, le Gouvernement semble encore hésiter à tirer les mêmes conséquences de ce besoin de proximité de l'action publique en ce qui concerne l'organisation décentralisée de la République.
Le deuxième facteur de résistance du département est l'attachement que les citoyens continuent à manifester pour cette institution en tant que cadre de la démocratie locale. La participation aux élections en témoigne : celle-ci reste plus élevée aux élections cantonales qu'aux élections régionales dans les départements peu urbanisés.
Enfin, et cela peut paraître paradoxal étant donné l'origine des départements, ceux-ci apparaissent aujourd'hui, davantage que les grandes régions créées en 2016, comme un cadre d'expression des identités locales. Il est tout à fait révélateur que la renaissance de l'Alsace en tant qu'entité administrative prenne la forme de la création d'un nouveau département, la collectivité européenne d'Alsace.
Dans la deuxième partie du rapport, j'ai voulu rechercher les moyens de conforter les départements dans l'exercice des deux principales missions que la loi leur reconnaît aujourd'hui, la solidarité sociale et la solidarité territoriale.
Dans domaine de l'action sociale et médico-sociale, j'ai souhaité avancer avec prudence, car le champ d'investigation est très vaste. D'ailleurs, il aurait nécessité un grand nombre d'auditions complémentaires, sans compter qu'il relève au premier chef de notre commission des affaires sociales. Il était entendu que cette mission d'information sur le rôle des départements ne serait pas une mission d'information sur l'action sociale, car nous sommes nombreux à être convaincus que les départements ont une vocation bien plus large.
Néanmoins, nos auditions et les contributions écrites que nous avons reçues nous permettent de dresser quelques constats et de formuler quelques recommandations.
Le domaine de l'action sociale se caractérise par l'intervention de très nombreux acteurs publics et privés, ce qui nécessite un effort de coordination, rôle qui incombe traditionnellement au département sur son territoire.
Par ailleurs, on assiste depuis quelques années à un interventionnisme croissant de l'État, qui se manifeste au travers de grands plans nationaux - la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté ou la création d'un « service public de l'insertion » par exemple - ou du recours à la technique de la contractualisation : l'État fixe des objectifs et s'accorde avec les départements volontaires par voie de convention sur les moyens mis en oeuvre par ceux-ci pour les atteindre, en échange de quoi les départements signataires bénéficient de financements supplémentaires.
Il est normal que l'État s'implique dans les politiques sociales. Le développement de la contractualisation ne me paraît pas condamnable en lui-même, à condition qu'il n'aboutisse ni à priver les acteurs locaux de toute autonomie ni à contourner les départements, qui ont une expertise ancienne et reconnue en la matière.
Sur le terrain, en revanche, l'enchevêtrement des compétences entre l'État, le conseil départemental et les autres acteurs publics soulève des difficultés. C'est particulièrement manifeste dans le secteur médico-social : la crise sanitaire a illustré un grave problème de gouvernance des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), soumis à la double tutelle des autorités régionales de santé et des départements.
Le rapport évoque des pistes pour simplifier cette gouvernance, mais la réflexion est appelée à se poursuivre dans le cadre de la mise en place annoncée d'une « cinquième branche » de la sécurité sociale consacrée à la prise en charge de la dépendance.
Afin d'assurer la coordination locale des acteurs, il me semble aussi que la proposition de l'Assemblée des départements de France (ADF), consistant à créer une agence des solidarités dans chaque département, qui serait placée sous le pilotage du conseil départemental et servirait de référent unique aux usagers, mérite d'être soutenue. Dans mon rapport, je mentionne d'ailleurs plusieurs initiatives prises par les départements pour fédérer les acteurs locaux autour d'objectifs partagés, comme le plan May'Aînés du département de la Mayenne sur la prévention de la perte d'autonomie.
Dans le domaine de l'insertion, malgré le poids du financement du RSA, les départements ne doivent pas renoncer à mener des politiques actives d'accompagnement, ce qui nécessite sans doute de renforcer leur coopération avec les conseils régionaux, compétents en matière de formation professionnelle, d'emploi et de développement économique.
J'en viens à la seconde grande mission des départements, celle de la solidarité territoriale, domaine dans lequel ils ont été reconnus « chefs de file » par la loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles (loi Maptam), mais dont les contours restent mal définis.
L'expression « solidarité territoriale » recouvre notamment le soutien financier aux investissements des communes et de leurs groupements, auquel les départements ont consacré 2,1 milliards d'euros en 2019, soit 16 % de leurs dépenses d'investissement, l'assistance technique au bloc communal, notamment dans les domaines de l'eau, de la voirie, de l'aménagement et de l'habitat, un certain nombre de compétences d'appui au bloc communal comme en matière d'archives publiques, de lecture publique ou d'archéologie préventive et, enfin, un rôle de coordination et d'orientation de l'action locale, par exemple en ce qui concerne l'accès aux services au public, ou encore les enseignements artistiques.
En raison du poids de leurs dépenses sociales, certains départements ont inévitablement plus de mal que d'autres à assumer cette mission indispensable de solidarité territoriale. En outre, même s'il a été reconnu chef de file, le département n'est pas seul : l'État et les régions interviennent aussi.
Sans vouloir mettre en place de mécanismes coercitifs, il me semble qu'une meilleure coordination des aides financières accordées par l'État, les régions et les départements au bloc communal serait souhaitable. Il en va de même en matière d'ingénierie : la nouvelle Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) devrait se concentrer sur les projets de haute technicité, nécessitant une expertise technique pointue dont il est impossible de disposer dans chaque département, plutôt que d'empiéter sur le champ de l'ingénierie départementale.
Je plaide, par ailleurs, pour que les départements disposent de la plus grande latitude juridique pour aider les communes et intercommunalités qui le souhaitent dans tout domaine et par tous moyens : conventions de prestations de services, mise à disposition d'équipements ou de services, créations de services unifiés, etc. Il est temps de laisser libre cours à l'innovation locale. Aussi serait-il nécessaire de rétablir l'habilitation générale du département à apporter aux communes qui le demandent son soutien à l'exercice de leurs compétences, supprimée par la loi NOTRe, alors qu'elle remontait à la loi Deferre du 2 mars 1982.
Certaines pistes esquissées par l'ADF, comme la création d'un service départemental de la donnée, me paraissent également dignes de retenir l'attention.
Au-delà des missions de solidarité sociale et territoriale, à l'exercice desquelles on a voulu le cantonner, le département me paraît appelé à jouer un rôle de pivot de la coopération locale et à intervenir à ce titre dans d'autres domaines de l'action publique, tout particulièrement dans les plus grandes régions.
C'est l'objet de la troisième partie du rapport, qui en constitue sans doute le coeur.
Le cadre juridique qui détermine aujourd'hui la répartition des compétences entre collectivités territoriales et les modalités de leur exercice concerté me paraît inadapté et en partie incohérent.
Tout au long des quarante dernières années, et plus encore au cours de la dernière décennie, on a cherché à spécialiser les collectivités territoriales en attribuant à chaque catégorie d'entre elles des blocs de compétence aussi étanches que possible. La logique des blocs de compétence contrarie, à l'évidence, le principe de subsidiarité, qui aurait plutôt exigé que l'on recherche, dans chaque domaine, les attributions susceptibles d'être exercées de la manière la plus efficace à chaque niveau.
Si elle s'est imposée, ce n'est pas pour donner plus de lisibilité aux citoyens en offrant une réponse simple à la question : qui fait quoi ? À mon sens, cela s'explique principalement par le principe de non-tutelle, qui empêche qu'une collectivité détermine la manière dont une autre exerce ses compétences, et qui rend difficile, par conséquent, la mise en cohérence de leurs actions.
Malgré les inconvénients d'une telle méthode, on a donc préféré confier une responsabilité exclusive, dans certains domaines, à telle ou telle catégorie de collectivité.
Toutefois, en 2010, le législateur a introduit un correctif pour adapter la répartition légale des compétences aux besoins locaux : c'est la faculté donnée à toute collectivité de déléguer à une autre collectivité ou à un établissement public de coopération intercommunale (EPCI) une compétence dont elle est attributaire. Malheureusement, ce dispositif a lui-même été appliqué de manière trop stricte, puisqu'il a été compris comme imposant la délégation d'un domaine tout entier de compétence, tel que la loi l'appréhende. En outre, il a rapidement été assorti d'exceptions.
Par ailleurs, la spécialisation laissant subsister des zones de frottement entre les attributions des uns et des autres, et certains champs de compétence restant partagés entre les différents niveaux de collectivités, on a créé des mécanismes de coordination qui ont ceci de particulier qu'ils sont à la fois rigides et presque totalement inefficaces. Je pense bien sûr aux conférences territoriales de l'action publique (CTAP), dont tous les élus que j'ai rencontrés m'ont réclamé la suppression, ou encore au « chef-de-filat » qui, juridiquement, se réduit à l'obligation ou à la simple faculté pour la collectivité cheffe de file d'élaborer un projet de convention territoriale d'exercice concerté (CTEC), soumis à la CTAP puis à toutes les collectivités intéressées, d'une part, et à un ensemble de règles qui restreignent les possibilités de coopération entre collectivités dans ces mêmes domaines, en dehors du cadre des CTEC, d'autre part.
CTAP, CTEC et chef-de-filat restaient fondés sur la liberté conventionnelle des collectivités. De manière assez subreptice, avec la loi NOTRe, c'est un autre modèle de coordination qui a été privilégié, celui de documents d'orientation élaborés par une collectivité et doués de force obligatoire à l'égard des autres collectivités grâce à leur approbation par l'État.
Même si leurs premières moutures restent assez peu prescriptives, les schémas régionaux de développement économique, d'innovation et d'internationalisation (SRDEII) ainsi que les schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET) constituent des instruments d'une redoutable efficacité, appelés à régir de vastes domaines de l'action publique locale.
Pourtant, l'expérience montre que les collectivités savent nouer des coopérations en dehors du cadre légal et mettre leurs forces en commun pour répondre aux besoins des citoyens. En la matière, le cadre légal a besoin d'être assoupli et non rigidifié.
Je propose donc de supprimer les CTAC, de réformer de fond en comble l'institution du chef-de-filat, afin de la supprimer là où elle est superflue et de la doter d'une réelle portée là où elle est utile, et de desserrer le cadre des délégations de compétence.
Enfin, je propose de rétablir la compétence générale des conseils départementaux et régionaux pour intervenir dans les domaines que la loi n'a pas expressément réservés à une autre personne publique. En effet, à l'aune de la crise que nous venons de connaître, on s'aperçoit que, à trop vouloir spécialiser, on rend parfois l'action publique inopérante. Rétablir la clause de compétence générale permettrait, pour de grands projets nécessitant d'être menés dans l'urgence, d'apporter de la souplesse, une plus grande créativité et assurerait, donc, une meilleure réponse de la part des collectivités locales, quelles qu'elles soient.
Je me suis particulièrement intéressée aux politiques de développement économique, domaine dont on a voulu expulser les départements avec la loi NOTRe, mais dans lequel ils continuent et doivent continuer à jouer un rôle important.
Non seulement les politiques départementales d'action sociale, de développement touristique et culturel ou d'infrastructures ont un impact économique indirect, non seulement les départements disposent encore de la faculté d'attribuer des aides aux entreprises dans des secteurs circonscrits et à des conditions plus ou moins strictes, mais certains d'entre eux continuent de s'impliquer de manière transversale dans le développement économique local.
Dans un département comme l'Allier, notre collègue Gérard Dériot a su convaincre le président du conseil régional de la nécessité de reconvertir l'ancienne agence départementale de développement économique en antenne locale d'une agence régionale, à la gouvernance de laquelle les conseillers départementaux sont pleinement associés. Ce même modèle a été reproduit dans le reste de la région Auvergne-Rhône-Alpes, sous des formes diverses qui sont révélatrices de l'implication plus ou moins forte des départements dans ce domaine avant la loi NOTRe.
Ce rôle économique direct ou indirect des départements doit être reconnu si nous voulons des politiques locales réellement coordonnées et efficaces. Cela implique notamment qu'ils soient consultés, comme les autres collectivités infrarégionales, lors de l'élaboration du SRDEII, notamment en ce qui concerne les orientations régionales en matière d'économie sociale et solidaire.
La crise actuelle a d'ailleurs montré la nécessité d'une action plus directe des départements, en bonne intelligence avec l'État et les régions. La loi du 23 mars 2020 et ses mesures d'application ont autorisé les conseils départementaux à contribuer au fonds national de solidarité pour les entreprises affectées par l'état d'urgence sanitaire. Au prix de certaines acrobaties juridiques, on leur a également permis, dans certains cas, de contribuer aux fonds régionaux. En revanche, les dispositifs d'aide que certains départements avaient mis en place de leur côté pour pallier les carences des aides de l'État ou de la région ont généralement été déférés au tribunal administratif et annulés.
Les régions sont des collectivités chargées des grandes stratégies de développement territorial. Elles ne sont pas taillées pour répondre aux besoins des petites entreprises, des artisans, des commerces de proximité, à plus forte raison dans l'urgence. Bien sûr, elles peuvent déconcentrer leur action, créer des antennes locales, recruter des agents sur le terrain. Mais ne serait-il pas plus efficace de leur permettre de s'appuyer sur les conseils départementaux et leurs services ? Il n'y a aucune raison valable d'interdire aux régions et aux départements d'assouplir, par voie conventionnelle, la répartition de leurs compétences : les régions doivent pouvoir déléguer une partie de leurs attributions économiques aux départements, quand ces derniers doivent pouvoir monter leurs propres dispositifs avec l'accord de la région et contribuer au financement des actions conduites par celle-ci.
La quatrième et dernière partie du rapport est consacrée aux évolutions institutionnelles envisageables pour les départements.
Des réformes de trois types sont couramment évoquées.
Les réformes du premier type consisteraient à faire absorber par le bloc communal les compétences aujourd'hui exercées par les conseils départementaux. Il s'agirait, soit de fusionner les conseils départementaux et les métropoles sur le modèle de la métropole de Lyon, soit de transformer les départements en fédérations d'intercommunalités.
S'agissant de la fusion des métropoles avec les départements, elle correspond à un projet ancien qui reste à l'ordre du jour, puisqu'il figurait dans les engagements de campagne de l'actuel Président de la République.
Dans un premier temps, j'ai donc voulu dresser le bilan du mécanisme de transfert ou de délégation obligatoire des compétences départementales aux métropoles prévu par la loi Maptam. Tout compte fait, il s'avère que les transferts ont été réduits au strict minimum, d'un commun accord entre les parties. Les métropoles n'ont manifesté aucun empressement à récupérer les lourdes compétences sociales des départements, d'autant plus que l'État n'offrait aucune garantie quant à leur compensation. Nous verrons ce qu'il adviendra à la suite du renouvellement des exécutifs métropolitains cette année...
Ensuite, j'ai cherché à dresser un premier bilan de la création de la métropole de Lyon. Cette création, due à des raisons conjoncturelles, a notamment permis au département du Rhône d'échapper à la situation financière extrêmement délicate dans laquelle il se trouvait au début des années 2010, en transférant une partie de sa dette à la métropole, dotée de son côté de ressources fiscales plus dynamiques.
Selon ses promoteurs, la création de la métropole de Lyon se justifiait par la nécessité de réunir entre les mêmes mains les compétences sociales des départements et celles des intercommunalités en matière de développement économique, de logement et d'aménagement urbain. En réalité, le bénéfice de l'opération en termes d'efficacité des services publics reste à démontrer.
Ce qui est certain, en revanche, c'est qu'elle a créé une nouvelle frontière administrative susceptible de nuire à la cohérence des politiques menées en matière de tarification sociale, par exemple, ou encore en matière agricole. Elle a aussi réduit la solidarité entre les zones urbaines et rurales, comme en témoigne la forte diminution du montant des aides versées aux communes situées hors du territoire métropolitain depuis 2015.
En outre, et j'insiste sur ce point, la création de la métropole de Lyon a ôté aux communes situées sur son territoire toute possibilité de participer à l'exercice de compétences éminemment locales qui, sur le reste du territoire national, appartiennent au bloc communal : plan local d'urbanisme, logement, politique de la ville, gestion de l'eau ou des déchets, etc. Comme le soulignait le professeur Géraldine Chavrier lors de son audition, la création de la métropole a conduit à « priver d'intercommunalité des communes, au profit d'une collectivité territoriale dont la vocation, et c'est paradoxal, est intercommunale ».
Ce choix institutionnel ne s'imposait nullement, et c'est pourquoi je recommande qu'à l'avenir, en cas de transfert intégral des compétences départementales à une métropole, celle-ci conserve un statut intercommunal.
Enfin, la fusion des métropoles et des départements ne doit pas conduire à segmenter le territoire ni à réduire la solidarité entre monde urbain et monde rural. Des mécanismes de transfert financier sont bien sûr nécessaires, mais il convient aussi de conserver des cadres institutionnels communs, qui permettent à ces territoires de se penser ensemble.
Quant à l'idée de transformer les départements en fédérations d'intercommunalités, elle me paraît devoir être abandonnée. Une telle transformation ne simplifierait en rien le paysage administratif : elle ferait disparaître un acteur indépendant capable d'assurer l'équilibre entre des EPCI de taille et de moyens inégaux, et constituerait un recul démocratique, puisque les assemblées départementales ne seraient plus élues au suffrage universel direct.
La deuxième piste de réflexion concerne d'éventuelles fusions de départements. Les projets en ce sens ne manquent pas, et ce depuis fort longtemps. Je rappelle que Michel Debré préconisait déjà aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale de redessiner la carte des départements pour ramener leur nombre à quarante-sept. Pourtant, en dehors de situations très spécifiques où, comme en Alsace, deux départements limitrophes sont liés par des affinités culturelles et des liens économiques et sociaux particulièrement étroits, les projets de ce type ne font pas florès.
Les citoyens et les élus sont attachés, non seulement à l'identité de leur département, mais aussi au maintien de circonscriptions administratives de proximité. C'est pourquoi, à mon sens, tout en accompagnant les éventuelles initiatives locales, le législateur doit se garder d'inciter à la fusion, comme il en a eu la tentation par le passé, en attribuant des compétences supplémentaires ou des bonus financiers aux départements fusionnés.
J'ajoute que d'autres possibilités existent pour renforcer la coopération horizontale entre départements et la mutualisation des moyens, soit par voie de convention, soit via la création d'un établissement public interdépartemental, soit par la voie intermédiaire de l'entente interdépartementale, formule faiblement institutionnalisée.
Enfin, troisième piste, je me suis interrogée sur les rapprochements institutionnels possibles entre départements et régions.
Qu'il faille trouver de nouvelles articulations entre ces deux niveaux de collectivités, c'est certain. J'ai été très frappée de constater au cours de mes déplacements en Auvergne-Rhône-Alpes et dans le Grand Est que, non seulement les régions se déconcentrent en créant des services à l'échelon départemental, voire infradépartemental, mais que les conseillers régionaux élus dans le département jouent un rôle croissant en tant que délégués locaux du conseil régional, parfois chargés de l'animation politique des services départementaux de la région. C'est évidemment plus particulièrement vrai des élus de la majorité régionale... On observe même, dans certains cas, une forme de concurrence avec l'exécutif du conseil départemental.
Face à cette situation, trois modèles de rapprochement institutionnel entre les régions et les départements peuvent, en théorie, être envisagés : la transformation des départements en administrations déconcentrées des régions, la transformation des régions en établissements de coopération interdépartementale ou, enfin, un rapprochement organique entre les deux collectivités, qui resteraient distinctes.
J'écarte d'emblée les deux premiers modèles, apparemment radicaux, mais qu'il faudrait élaborer plus en détail pour en apprécier réellement les effets.
Le troisième modèle, celui du rapprochement organique avec maintien de deux collectivités distinctes, correspond à la mise en place d'un conseiller territorial, dans une forme plus ou moins proche de celle qui a été adoptée au cours du quinquennat de Nicolas Sarkozy. Je ne vous rappellerai pas l'histoire mouvementée de cette réforme, abandonnée en 2013, ni les nombreux obstacles politiques et techniques qu'il faudrait surmonter si l'on voulait s'engager de nouveau dans cette voie.
En revanche, je voudrais insister sur l'incertitude de ses effets, qui contribue d'ailleurs sans doute à son pouvoir de séduction. Les uns y voient le moyen pour les régions d'imposer leur mainmise sur les conseils départementaux, les autres espèrent ou craignent l'effet inverse. Mais que se passerait-il en cas de divergence politique entre les majorités départementale et régionale ? Sommes-nous si sûrs que les deux collectivités coopéreraient plus étroitement, pour la seule raison qu'elles auraient des élus communs ? N'est-il pas vraisemblable que les deux institutions continueraient à mener leur vie propre, à vouloir affirmer leur identité et définir leurs propres priorités politiques ?
Si l'on voulait ressusciter le conseiller territorial, comme certains s'y sont essayés ces derniers mois, il faudrait procéder de manière expérimentale, en commençant par une ou deux régions dans lesquelles ce projet ferait l'objet d'un large accord, et en se donnant le temps de l'évaluation.
Ce ne sera pas pour demain, puisque des élections départementales et régionales sont prévues pour le printemps prochain. Pour l'heure, il me paraît plus urgent d'encourager les coopérations concrètes entre conseils régionaux et départementaux, dans des domaines tels que l'insertion professionnelle ou le développement économique local, en desserrant le cadre législatif des coopérations locales.
S'il fallait me résumer en une phrase, je dirais que les départements, dans leur forme actuelle, ont encore un grand rôle à jouer pour le développement et la cohésion sociale et territoriale de notre pays, aux côtés des autres acteurs publics. Encore faut-il que nous leur en donnions les moyens juridiques et financiers.
Je vous remercie de votre attention et me réjouis que nous puissions discuter ensemble de ces conclusions.