Intervention de François Chih-Chung Wu

Commission d'enquête Évaluation politiques publiques face aux pandémies — Réunion du 9 septembre 2020 à 9:5
Audition de Mm. François Chih-chung wu représentant de taïwan en france et jean-françois casabonne-masonnave représentant de la france à taïwan

François Chih-Chung Wu, représentant de Taïwan en France :

Quelques mots de contexte. Taïwan est un État d'une population de 24 millions d'habitants, c'est-à-dire deux fois la Belgique et l'équivalent de l'Australie. Le PIB taïwanais est légèrement supérieur à celui de la Suède. Au niveau commercial, nous importons plus que l'Australie, la Russie et le Brésil et nous exportons plus que la Suisse, la Belgique, l'Espagne et l'Inde. Taïwan est une île dont la superficie équivaut à celle des Pays-Bas ou de la Belgique. Il est à noter que Taïwan n'a jamais été confinée et que la croissance économique s'est maintenue à un taux de 1,5 % pour cette année.

Taïwan est séparée de la Chine par un détroit large de 150 kilomètres et les échanges de part et d'autre sont denses : 40 % des échanges commerciaux de Taïwan se font avec la Chine. En 2019, 2,7 millions de Chinois se sont déplacés à Taïwan pour du tourisme et chaque année, 4 millions de Taïwanais voyagent en Chine. Pourtant, depuis l'apparition de la covid-19, Taïwan n'a recensé à ce jour que 495 cas confirmés, 7 personnes sont décédées et 13 personnes sont actuellement à l'hôpital pour une mise en quarantaine.

La réussite de Taïwan à endiguer l'épidémie jusqu'à ce jour tient à six facteurs, que je vais détailler : l'expérience, la vigilance, l'efficacité, la confiance, les masques et la technologie.

L'expérience, d'abord : nous avons su tirer les leçons du passé. Taïwan a été l'un des pays les plus touchés par l'épidémie de SRAS en 2003. À l'époque, 346 personnes ont été infectées et 81 sont décédées, soit un taux de plus de 20 % de létalité. Par manque de coordination entre le gouvernement central et local, un hôpital municipal de Taïpei a été confiné, causant la mort de 7 professionnels et des suicides. Des images apocalyptiques de personnes confinées voulant forcer la ligne de confinement et la directrice municipale de la santé portant une combinaison spatiale pour rentrer à l'hôpital ont traumatisé la population de Taïwan.

La vigilance, ensuite. Dès l'aube du 31 décembre 2019, Taïwan a exprimé ses craintes à l'OMS sur la possibilité d'un virus transmissible entre humains à Wuhan en Chine. À partir du 31 décembre 2019, le ministère de la santé taïwanais a commencé à effectuer des prises de température systématiques et des examens complets pour les cas suspects dès l'atterrissage des vols en provenance de Wuhan puis, très rapidement, sur tous les vols en provenance de Chine et ce jusqu'à la fermeture complète des frontières. Le 25 janvier, le gouvernement taïwanais décide de fermer les frontières aux touristes chinois. Tous les groupes de touristes chinois à Taïwan ont dû repartir avant le 31 janvier. Le 7 février, l'entrée à Taïwan a été interdite aux ressortissants étrangers qui se sont rendus en Chine au cours des 14 derniers jours. Enfin, le 18 mars, a été décidée l'interdiction d'entrée sur le territoire pour les ressortissants étrangers et la quatorzaine pour tous les voyageurs taïwanais entrants.

Troisième facteur, l'efficacité. Nous avons activé le Centre de commandement central des épidémies à partir du 20 janvier 2020 sous la responsabilité du ministre de la santé : le ministre dispose de toutes les ressources de l'exécutif, y compris le recours à l'armée si nécessaire.

Quatrième facteur, la confiance : la transparence des informations a inspiré confiance à la population. Une conférence de presse présidée par le ministre de la santé lui-même pendant 140 jours consécutif est tenue quotidiennement et les journalistes peuvent poser des questions illimitées. Cela permet de rassurer la population sur la pandémie et de combattre la manipulation d'informations.

Cinquième facteur, l'indépendance rapide de la production des masques : alors que Taïwan dépendait beaucoup de la production des masques en Chine, nous sommes devenus le deuxième plus grand pays producteur de masques au monde. Le 31 janvier, le Gouvernement a décidé de mettre en place une « équipe nationale » spécifique dédiée à la covid-19 ; il réquisitionne alors et supervise l'installation de 92 chaînes de production supplémentaires pour faire passer la production de masques de 2 millions à 20 millions d'unités par jour. Le 3 avril, le gouvernement taïwanais décrète le port de masque obligatoire pour les usagers des transports en commun y compris dans les taxis.

Enfin, sixième facteur, la technologie accompagne une politique de mise en quatorzaine très stricte pour les personnes soupçonnées d'être infectées. Pour améliorer le suivi des voyageurs entrants, le gouvernement taïwanais a imposé une déclaration de santé obligatoire à tous les passagers à leur arrivée. Une déclaration inexacte est passible d'une amende pouvant aller jusqu'à 4 500 euros. Cette déclaration obligatoire a permis de classer les voyageurs dans différentes catégories à risques et de mettre en oeuvre une politique de quarantaine adaptée. Une fois placé en quatorzaine, tout individu est dans l'obligation de respecter des consignes strictes sous peine de six mois de prison ferme et 30 000 euros d'amende. Le gouvernement taïwanais fournit aux personnes mises en quatorzaine un téléphone portable qui permet de faire respecter l'interdiction totale de sortie du domicile. Ce système a permis également au gouvernement taïwanais de prioriser les tests sur les personnes présentant les symptômes caractéristiques du coronavirus.

Le recours à l'application des technologies est autorisé par l'article 7 de la loi spéciale de prévention de la covid-19 d'assistance et de relance, adoptée le 25 février 2020, qui permet au Commandant du centre de mettre en oeuvre toutes les mesures d'urgence nécessaires pour prévenir et contrôler l'épidémie.

Taïwan a gagné une première bataille contre la covid-19 mais n'a pas encore gagné la guerre. L'opinion publique taïwanaise exige que le Gouvernement utilise tous les moyens à sa disposition pour endiguer le virus en dehors des frontières nationales sans confinement général de la population.

La prospérité de Taïwan dépend fortement de ses échanges avec le monde extérieur. Dans ce contexte, il est crucial pour Taïwan de trouver un équilibre d'ouverture des frontières avec la communauté internationale car le virus, selon toute vraisemblance, va continuer à circuler. C'est un défi auquel Taïwan doit faire face.

Nous pensons néanmoins qu'il est très difficile de porter un regard sur les réponses d'un autre pays qui a ses propres facteurs et ses spécificités à prendre en compte pour limiter la propagation du virus. Pour autant, dans un monde où les échanges entre chaque pays ne font qu'augmenter, il serait indispensable de pouvoir partager, au niveau bilatéral et multilatéral, les expériences dans la lutte contre cette crise sanitaire qui ne connait pas de frontières. Je pense que cette invitation de la commission d'enquête au Sénat constitue d'ores et déjà une première étape vers l'intérêt commun pour nos deux pays et pour celui de l'humanité.

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