Intervention de Michel Magras

Délégation sénatoriale aux outre-mer — Réunion du 23 juillet 2020 : 1ère réunion
Table ronde — La différenciation territoriale outre-mer : quel cadre pour le « sur-mesure »

Photo de Michel MagrasMichel Magras, président :

Chers collègues, comme vous le savez, le président du Sénat, Gérard Larcher, a présenté, le 2 juillet dernier, « 50 propositions du Sénat pour le plein exercice des libertés locales », fruit des travaux du groupe de travail créé sous sa présidence au début de cette année. C'est dans ce cadre qu'il m'a chargé du volet outre-mer, autrement dit de réfléchir à l'évolution de l'exercice des libertés locales en outre-mer. Pour nourrir cette réflexion, j'ai procédé à l'audition des exécutifs et présidents des assemblées territoriales de l'ensemble des collectivités - à l'exception regrettable de Mayotte, la situation locale n'ayant pas permis au président de se rendre disponible à cet effet - et formulé des propositions reprises dans la contribution qui vous a été adressée et qui nous réunissent aujourd'hui.

Avant un rapide rappel de ces propositions, je souhaite remercier Véronique Bertile, Stéphane Diémert et Ferdinand Mélin-Soucramien, de s'être rendu disponibles pour nous apporter leurs éclairages. Je leur en sais d'autant plus gré que la période particulière nous a contraint à organiser cet échange dans un délai contraint.

Pour mémoire, le président du Sénat a, comme je vous l'annonçais, présenté sur ma proposition les trois recommandations suivantes :

· adapter les normes nationales et les modalités de l'action des autorités de l'État aux caractéristiques et contraintes particulières des territoires ultramarins par une loi annuelle d'actualisation du droit outre-mer ;

· prévoir la transmission au Premier ministre et aux assemblées parlementaires des propositions de modifications législatives ou règlementaires présentées par les territoires ultramarins ;

· réunir les articles 73 et 74 de la Constitution et permettre la définition de statuts sur-mesure pour ceux des territoires ultramarins qui le souhaiteraient. Je sais que nous nous rejoignons sur cette direction et je me réjouis d'aller plus avant dans la discussion de cette perspective au cours de la troisième séquence de l'après-midi.

Enfin, une quatrième proposition prévoit de faire de la dénomination « collectivités d'outre-mer » l'appellation générique qui s'appliquerait à l'ensemble des collectivités.

Lors de sa conférence de presse, le président Gérard Larcher a par ailleurs annoncé que ces propositions feraient l'objet d'un travail plus approfondi pour lequel j'ai été désigné rapporteur par les membres de la délégation sénatoriale aux outre-mer. La différenciation territoriale est en effet un sujet qui m'est particulièrement cher, dans lequel je vois à la fois un moyen et un levier pour parvenir à mettre en adéquation l'environnement normatif des outre-mer avec l'objectif de leur développement. Je pense ici en particulier aux collectivités de l'article 73.

Dans cette optique, nos échanges de ce jour visent à explorer le cadre constitutionnel afin de considérer les biais par lesquels il peut d'ores et déjà être mis au service de cet objectif ou évoluer davantage en ce sens. Il va sans dire que nous ne saurions réfléchir en dehors du cadre républicain, de ses principes et de ses équilibres, ce qui implique notamment une sorte d'exercice de droit comparé interne avec les collectivités de l'article 72 car finalement, les outre-mer ne relèvent-ils pas à la fois du droit commun et de l'adaptation à des degrés plus ou moins importants, avec une compétence plus ou moins décentralisée au niveau des autorités locales pour cette adaptation ?

Autrement dit, l'adaptation n'est-elle pas le principe qui constitue le point de basculement de l'Hexagone aux outre-mer et la charnière de la relation entre les outre-mer et l'État central ? Cette problématique était d'ailleurs au coeur de l'étude en deux volets de la délégation sur les normes BTP et agricoles, qui a révélé la nécessité de mettre en lumière le caractère impérieux et vital de l'acclimatation des normes car en outre-mer, à la lourdeur de l'inflation normative s'ajoutant l'inadéquation aux réalités locales.

Une réflexion sur le cadre institutionnel en général, la répartition des compétences entre l'État et les collectivités ainsi que le degré de responsabilités locales constitue donc le prolongement naturel de cette approche par les normes pour passer à une logique de subsidiarité et de pertinence.

La révision constitutionnelle de 2003 a en cela amorcé une révolution culturelle avec l'idée de « statuts à la carte », à l'origine aussi bien des statuts de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin que de celui de Mayotte. Je relèverai également, entre autres avancées notables, le renforcement de la démocratie participative consistant à lier le caractère modulable du statut ou de l'organisation des institutions locales au consentement des populations.

Pour autant, elle n'a pas remis en cause la summa divisio historique entre les articles 73 et 74, à savoir l'identité législative pour les uns et la spécialité législative dans les matières transférées pour les autres. La réalité est, comme vous le savez, plus nuancée que ce que l'on croit au sein de l'article 74. De même, alors que l'article 73 devait assurer une forme d'uniformité au sein de cette catégorie, tel n'est plus véritablement le cas.

Il est à cet égard frappant de constater que les auditions des présidents des exécutifs et des assemblées territoriales peuvent être réparties selon la délimitation des deux articles de la Constitution. D'un côté, les collectivités de l'article 73 ont exprimé leur insatisfaction se traduisant par une volonté commune de différenciation qui, en réalité, ne se distingue pas par sa nature mais par son degré d'exercice des responsabilités locales. Certaines veulent exercer la compétence d'exécution quand d'autres souhaitent pouvoir adapter la compétence jusqu'à créer une règle première. De l'autre côté, les collectivités de l'article 74 ont exprimé leur pleine satisfaction de leur statut. Certaines d'entre elles ont même clairement exprimé leur souhait d'aller encore plus avant.

Vous l'aurez compris, l'intention de cette réflexion est de déterminer le socle constitutionnel commun qui réponde à l'aspiration de chacune des collectivités à un cadre institutionnel favorisant son épanouissement et l'efficacité des politiques publiques. En filigrane, il y a bien sûr l'urgence d'une nécessaire refondation de la relation entre l'État et les outre-mer qui passe par une réforme de l'exercice des libertés locales et de la culture outre-mer.

Comme indiqué par courrier et si vous en êtes d'accord, chaque séquence pourra être ouverte par une intervention de chacun des intervenants et sera suivie des questions des sénateurs présents qui le souhaiteront.

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