J'aurais également tendance à considérer que l'actuel article 73, et quoi qu'il devienne, n'a pas fait l'objet d'une exploitation complète de toutes ses potentialités concernant les habilitations. Certaines collectivités s'y sont risquées, d'autres non. Des freins ont certes pu se présenter et certaines procédures n'ont pas fonctionné correctement, en lien avec l'affaiblissement considérable du ministère de l'outre-mer à partir de 2008. Je rappelle à cet égard que le ministère de l'Intérieur a mis en oeuvre sa révision générale des politiques publiques (RGPP) en administration centrale au détriment du seul ministère de l'outre-mer, puisque 60 ou 70 postes ont été supprimés uniquement rue Oudinot, au profit d'ailleurs de la création de services supplémentaires place Beauvau... Il y aurait matière à réfléchir à une réorganisation du Secrétariat général du Gouvernement et à celle des procédures parlementaires, qui sont parfois très longues s'agissant des textes relatifs à l'outre-mer (tels que les ratifications d'ordonnances) : la législation en commission n'est pas entrée dans les moeurs, alors que les textes liés à l'outre-mer s'y prêtent (il s'agit en effet, le plus souvent, d'étendre localement des dispositifs déjà adoptés en métropole). Nous pouvons ainsi nous interroger sur l'absence de décisions parlementaires implicites d'acceptation, qui permettraient d'accélérer les procédures (elles existent d'ailleurs en droit comparé), puisque les demande d'habilitation pourraient être adoptées dès lors que le Parlement (en réalité, ses commissions) y consentiraient par leur silence. Cet aspect procédural est sans doute à l'origine de nombreux ralentissements et donc du mauvais fonctionnement de la procédure d'habilitation.
Par ailleurs, toutes les possibilités ouvertes par les notions de « caractéristiques et contraintes particulières » n'ont pas été exploitées. Cette rédaction, inspirée du traité européen, était supposée ouvrir davantage la faculté d'adaptation des normes par les autorités nationales. Ainsi, ressort de vos travaux précédents que les élus de la Martinique déplorent un problème d'articulation entre son organisation intercommunale (il y existe quatre intercommunalités) et la collectivité territoriale « unique » : or, à Lyon, cette difficulté a été résolue par la fusion du niveau intercommunal avec le département. On perçoit mal pourquoi ce qui fut possible en métropole sur le fondement de l'article 72 ne le serait pas dans le cadre de l'article 73. Il est donc impératif de tenir compte de toutes les possibilités d'adaptation offertes par l'article 73, et de ne pas l'interpréter trop frileusement.
Quant à l'article 74, il ne prévoit pas un certain nombre de procédures dont l'absence se révèle source de lenteurs et de complications. Ainsi, en est-il du droit pénal de l'environnement à Saint-Barthélemy : alors que des voies sont ouvertes en matière de possibilité pour les collectivités d'intervenir dans des matières « régaliennes » - telles que le droit pénal -, dans le cadre de la procédure de participation à ces compétences en principe non délégables aux collectivités d'outre-mer - la jurisprudence restrictive du Conseil constitutionnel (qui a censuré la possibilité pour les actes ainsi adoptés d'entrer en vigueur avant leur ratification parlementaire, à la différence des ordonnances) a privé de tout effet utile cette innovation de la révision constitutionnelle de 2003.
S'agissant de l'expérimentation, je demeure sceptique quant à son intérêt intrinsèque pour l'outre-mer. Sauf erreur, pour la Guyane, on a évoqué l'expérimentation de l'article 37-1, alors que l'article 73 qui peut servir de fondement à l'édiction par le Gouvernement des dispositions réglementaires spécifiques pour les DROM me paraît largement suffire. S'agissant de l'expérimentation de l'article 72 à l'initiative des collectivités locales, encadrée par la loi organique de 2004, elle m'apparaît au moins aussi complexe, si ce n'est davantage, que les procédures d'habilitation prévues pour l'article 73. Je peine donc à comprendre ce que nous pouvons obtenir de l'expérimentation de droit commun pour les outre-mer.
Si une révision constitutionnelle venait à être adoptée pour tenter de résoudre ces difficultés, il faut bien avoir conscience que tout ce qu'elle ne prévoira pas explicitement en termes de procédures parlementaires dérogatoires (telle qu'une procédure d'adoption par silence tacite) ne pourra ensuite être institué par le législateur. Dans l'exemple de la participation des collectivités de l'article 74 à l'exercice des compétences dites « régaliennes » de l'État, personne n'imaginait, jusqu'à ce que le Conseil constitutionnel le juge à propos de la Polynésie, que les normes adoptées en matière législative par les COM ne puissent provisoirement entrer en vigueur sans leur approbation préalable par la loi, alors que le dispositif du 11ème alinéa de l'article 74 avait été précisément conçu en ce sens. J'insiste donc sur la nécessité pour le Constituant d'être très précis, s'agissant des procédures spécifiques que la situation juridique propre à l'outre-mer réclame, sous peine de rencontrer des déconvenues devant le Conseil constitutionnel. Ces questions procédurales, pour techniques, sinon un peu hermétiques qu'elles soient pour tous ceux qui ne sont pas familiers des modalités d'adoption des textes législatifs et réglementaires pour techniques, revêtent, j'y insiste, une importance décisive alors que l'une des principales critiques formulées - sans doute à juste titre - quant à la situation du droit de l'outre-mer réside dans la lenteur des processus décisionnels.. J'insiste donc sur la nécessité d'être très précis, s'agissant en particulier des procédures.
Sur la question de l'organisation de l'administration centrale, sans un ministère de l'outre-mer de nouveau composé d'experts en nombre suffisant et sans un Secrétariat général du Gouvernement plus sensible à ces questions, bon nombre de textes peineront à être adoptés. La question européenne est également d'importance s'agissant au moins des RUP car si les questions d'adaptation sont sensibles en droit national, elles ne sont au moins autant en droit européen. Nous nous heurtons ici à des phénomènes d'incompréhension sans commune mesure avec des problèmes que nous pouvons rencontrer en métropole.
S'agissant de la mutualisation des moyens, on peut déplorer que chacune des collectivités avance dans sa direction propre sans se concerter avec ses homologues, alors que nombre de problèmes juridiques qu'elles rencontrent sont proches, sinon identiques. À défaut de voir l'État, tant central que déconcentré, se renforcer sur les questions ultramarines, les collectivités pourraient donc avoir intérêt à échanger entre elles et partager leurs réflexions juridiques, dans un cadre qu'il leur appartient évidemment de déterminer librement.