Intervention de Véronique Bertile

Délégation sénatoriale aux outre-mer — Réunion du 23 juillet 2020 : 1ère réunion
Table ronde — La différenciation territoriale outre-mer : quel cadre pour le « sur-mesure »

Véronique Bertile :

Le droit des outre-mer est particulièrement complexe, et il convient dès lors de s'assurer que nous abordons les mêmes sujets. S'agissant d'abord de l'adaptation, l'État français est construit sur des valeurs d'universalisme, d'égalité et d'une même loi pour tous, depuis 1789. Nous nous trouvons toujours bloqués par ce jacobinisme quand nous cherchons à évoquer le sujet des évolutions statutaires en outre-mer. Dès 1958, la Constitution, dans son article 73, permettait une adaptation opérée par le législateur national. Cette pratique est relativement convenue depuis cette date.

En revanche, la question de l'adaptation par les autorités locales pose davantage question. Celle-ci ne s'inscrit pas dans la culture jacobine française, et donne dès lors naissance à un certain nombre de freins. S'agissant ensuite de la question de la répartition des compétences, il est nécessaire de préciser les acteurs et le sujet concernés. L'article 34 de la Constitution opère une répartition entre les domaines de la loi et du règlement. Il s'agit donc de savoir si les outre-mer, lorsqu'ils demandent un pouvoir législatif, font référence à un pouvoir normatif autonome ou un pouvoir législatif matériel. Dans ce dernier cas, les autorités locales pourraient intervenir dans le domaine matériellement législatif. Elles pourraient également souhaiter disposer d'un pouvoir législatif normatif, organique, et non plus pas seulement matériel. Les différents interlocuteurs doivent donc s'accorder sur l'objet de leur discussion.

Je suis d'accord avec Ferdinand Mélin-Soucramanien et Stéphane Diémert. L'article 73 a été largement sous-exploité, notamment par manque de réactivité nationale. Le code général des collectivités territoriales et les différentes évolutions qui ont eu lieu prévoient déjà les mécanismes permettant aux autorités locales de procéder à des remontées auprès des autorités nationales. S'agissant des adaptations et des habilitations, de nombreuses demandes n'ont jamais trouvé de réponse à Paris. Le manque de réactivité local n'est donc pas seul responsable. Le droit a évolué beaucoup plus rapidement que les mentalités, les cultures et les habitudes. En 2003, une sorte de « couteau suisse » d'outils a été offert aux outre-mer ; mais ceux-ci ne savent pas concrètement les utiliser, faute d'information et de formation. Il est nécessaire de dépasser le mode traditionnel de fonctionnement, selon lequel tout provient de Paris et les autorités locales ne sont ni informées ni formées.

Outre mes expériences au ministère des outre-mer sur un champ très précis, j'ai été reçue en début de mandat par Emmanuel Macron, à la demande de son conseiller outre-mer. Celui-ci m'expliquait que le Président ne s'estimait pas tributaire de toute l'histoire coloniale et qu'il était favorable à l'idée de conférer davantage de pouvoirs aux outre-mer. Sa seule limite était la capacité de faire. Celle-ci ne semblait pourtant pas poser de problème pour les élus alsaciens lors de la création de la « collectivité européenne d'Alsace ». . Des raisons politiques, de gouvernance peuvent être invoquées, mais aussi des raisons psychologiques et culturelles, qui me paraissent plus difficile à surmonter et échapper aux juristes que nous sommes.

Nous avons organisé une table ronde à l'Assemblée nationale en 2019 au cours de laquelle il a été rappelé que la Nouvelle-Calédonie a mis presque 20 ans pour s'approprier la capacité normative. La situation progresse malgré tout.

Il s'agit donc de savoir ce dont nous parlons, dans une optique de simplification. S'agit-il d'un pouvoir législatif matériel ou organique ? La Polynésie française a un pouvoir législatif matériel, mais pas de pouvoir législatif organique. Même s'ils interviennent dans le domaine de la loi, les actes administratifs pris par les autorités polynésiennes restent soumis au contrôle du Conseil d'État, contrairement à la Nouvelle-Calédonie, où le pouvoir législatif est à la fois matériel et organique. Les lois de Polynésie française sont des actes administratifs mais les lois de Nouvelle-Calédonie sont des actes législatifs soumis au Conseil constitutionnel, seul juge de la constitutionnalité de la loi en France.

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