Intervention de Guillaume Arnell

Délégation sénatoriale aux outre-mer — Réunion du 12 juin 2020 : 1ère réunion
Entretien avec m. daniel gibbs président de la collectivité de saint-martin et m. guillaume arnell sénateur de saint-martin

Photo de Guillaume ArnellGuillaume Arnell, sénateur de Saint-Martin :

Le président Daniel Gibbs a été très exhaustif. Cette discussion étant un échange avec l'exécutif, je ne viendrai qu'en complément. Je ne suis pas ici pour porter un jugement sur ce qui a été dit ou non. Il faut tout de même que vous sachiez que je partage très largement ce qui a été dit.

Le président Daniel Gibbs peut avoir le sentiment que le blocage se situe au niveau des relations entre COM et État, mais il en est de même pour les relations entre parlementaires et État.

Vous avez plusieurs fois évoqué les relations avec la préfète Anne Laubies, qui est une référence en la matière. Anne Laubies est un des rares préfets avec qui j'ai conservé une relation d'amitié et que je côtoie encore aujourd'hui. Elle a su mettre son expérience et ses compétences au service du territoire, ce qui est tout à son honneur. Les moments où nous avons progressé sur ce territoire ont été les moments où elle était là ! Je pense que Mme Laubies a été l'exemple même de ce que devrait être un représentant de l'État dans un territoire ultramarin. La population saint-martinoise le lui a reconnu à l'unanimité puisque nous l'avions gratifiée du surnom de « Queen Elizabeth ».

Aujourd'hui, la préfète de Saint-Martin est d'un autre calibre.

Vous avez dit que les personnalités servant l'État en outre-mer ne doivent pas être des handicaps dans les relations entre les collectivités et l'État. Je parlais de fluidifier les rapports, ce qui sous-entend également que le choix des hommes et des femmes servant en outre-mer doit être calibré, vérifié au préalable pour garantir la meilleure représentation et le meilleur équilibre entre les rôles et les responsabilités de chacun. Je partage l'idée que les services de l'État doivent s'attacher à travailler uniquement sur la partie administrative, le contrôle de légalité et les compétences régaliennes de l'État. Ils ne doivent, en aucune manière, interférer dans les choix des politiques locales, ce qui ferait perdre leur autonomie à nos territoires. Néanmoins, cela sous-entend aussi qu'un exécutif fort ne suffit pas dans ce genre de situations. L'ensemble des élus doit faire bloc contre ce type d'agissements. Les relations avec les députés, les sénateurs et la collectivité pourraient, peut-être, être différentes si nous avions travaillé plus en concertation sur de grands sujets. Ce serait un moyen de tenir tête à ce genre de comportements. Mais l'expérience que nous vivons servira sans doute à d'autres dans le futur. Nous avions déjà un exemple auparavant : celui du préfet Jacques Simonnet, lorsque vous étiez, cher président Gibbs, aux affaires de la COM. Il n'y en a pas eu d'autres entre temps.

Je n'ajouterai rien de plus sur ce sujet. Je souhaite enfin intervenir sur la question du revenu de solidarité active (RSA). Avez-vous constaté la multiplication des bureaux de transferts d'argent ? Nous donnons de l'argent à des personnes en situation de besoin, mais celui-ci repart vers d'autres territoires. Je comprends bien que, lorsque l'on quitte son territoire d'origine, l'une des motivations est aussi de permettre aux siens, restés sur place, d'avoir une meilleure vie. Cela doit toutefois être le fruit de son travail et non celui de la solidarité nationale. Nous devons avoir une vraie réflexion sur ce point.

Par ailleurs, au sujet des services de l'État, nous constatons un certain nombre d'améliorations.. Les besoins en matière de services de l'État concernent aussi les données statistiques. Nous avons travaillé en profondeur avec la Commission nationale d'évaluation des politiques publiques outre-mer (CNEPEOM). Il faut persévérer, car, sans données statistiques, nous sommes dans l'incapacité de justifier nos choix par une vraie connaissance des besoins.

Par ailleurs, la préfecture est, en effet, de plein exercice, mais le préfet ne l'est pas ! Je l'ai évoqué lors d'une « question d'actualité » au Sénat. Le retour du secrétaire d'État auprès du ministre de l'Intérieur a été une fin de non-recevoir, mentionnant une absence de besoin. Pourtant, mon argumentaire était solide. Il se fonde sur une source sûre et je ne pouvais pas être mieux informé sur la façon dont le représentant de l'État ressentait l'exercice de ses responsabilités à Saint-Martin. Je crois que nous devons continuer ce combat.

J'aimerais ajouter, pour que le président Michel Magras bénéficie de l'ensemble des données, que j'ai, moi aussi, mal vécu la fermeture de la frontière. La première initiative a été prise par la Première ministre du côté néerlandais. La préfète a réagi. La difficulté est venue par la suite lors du déconfinement. Nous n'avons pas compris la levée de l'interdiction du côté néerlandais et le maintien de l'interdiction du côté français. Néanmoins, il faut aussi parfois savoir pointer du doigt les nôtres lorsque ceux-ci font des choix sans avoir évalué en profondeur leurs conséquences. Cela doit nous servir de leçon pour la suite.

Quant à la compétence « environnement », les Saint-Martinois ne doivent pas penser que cette compétence résoudra nos problèmes. De mon point de vue, c'est encore beaucoup plus rigide que ce que nous avons aujourd'hui ! Nous devons avoir cette compétence pour la mettre en coordination avec la compétence « urbanisme », « logement », « habitat ». Néanmoins, elle doit également s'accompagner des moyens nécessaires et de la volonté de respecter ces règles de la part de notre population pour que notre politique environnementale soit efficace. Dans ce but, une démarche pédagogique est nécessaire pour susciter l'adhésion de notre population. Il nous reste à travailler sur ce sujet.

Je n'ajouterai presque rien sur la question de l'énergie puisque le président Magras a traité la question. Il s'agissait d'une coquille vide. Nous nous demandions ce qu'elle contenait et vers quel domaine nous devions orienter nos réflexions.

Je finirai par un point qui me semble essentiel : le besoin de réfléchir à une réforme sur la séparation entre le conseil exécutif et le conseil territorial. Sans connaître encore la solution exacte, je crois qu'il doit exister une séparation entre celui qui fixe les règles au conseil territorial (et qui est donc en partie « législateur ») et celui qui exécute ces règles et sanctionne. Il me semble que cette évolution serait intéressante.

Bien entendu, il serait bénéfique que nous organisions régulièrement, sans nous surcharger, des points d'étape pour pouvoir améliorer notre loi organique. Nous savons en effet pertinemment que nous ne pourrons pas la modifier au coup par coup, mais seulement par une série de mesures cohérentes pour la porter au plus haut niveau.

Pour être tout à fait complet, je crois qu'il nous faudra aussi mener davantage un travail de veille juridique pour les collectivités, de façon à être dans l'anticipation à l'égard des lois à venir. Cette veille permet de connaître les lois qui sont dans le programme prévisionnel de nos instances, dans le but de travailler de concert avec les autres collectivités et d'anticiper les impacts. Ne pas m'y être consacré davantage est l'une des légères frustrations que j'éprouve aujourd'hui. Ce travail est certes conduit ici par le président Michel Magras. Néanmoins, quand quelqu'un estime qu'il est dans son bon droit de travailler comme il l'entend ou qu'il est suffisamment compétent pour aller porter lui-même les intérêts de son territoire, cela dilue quelque peu notre importance au niveau du Parlement. Nous gagnerions à ce que seul le droit prévale. Je ne dis pas cela uniquement pour le président Daniel Gibbs. Je sais que vous aussi, cher Michel Magras, vous ressentez de la frustration sur un certain nombre d'accords. Je l'ai souvent dit : je n'ai jamais, et je ne pourrai jamais travailler contre ma collectivité. Un parlementaire a pour rôle de travailler en complémentarité avec son exécutif. Si nous ne sommes pas d'accord, il faut le dire en amont, en face, mais ne jamais travailler contre sa collectivité.

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