Intervention de Rodolphe Alexandre

Délégation sénatoriale aux outre-mer — Réunion du 5 juin 2020 : 1ère réunion
Entretien avec m. rodolphe alexandre président de la collectivité de guyane

Rodolphe Alexandre, président de la collectivité de Guyane :

Merci beaucoup Monsieur le président.

Nous avons choisi deux caps. Le premier - immédiat - vise une évolution de la décentralisation, pour laquelle j'avais demandé une loi spécifique pour la Guyane permettant de dépasser les contraintes que nous connaissons au niveau de l'article 73. Cette loi viserait à confier davantage de compétences à la collectivité, à renforcer la démocratie participative et à assurer de façon plus équilibrée ses recettes. Nous avons, par exemple, proposé une évolution des taxes sur les services, puisque nous ne sommes pas frappés d'octroi de mer au niveau de certains métiers, notamment pour les cabinets d'ingénierie. Ce sujet est en cours d'étude, car nous avons des désaccords internes sur les modalités de rédaction. Il permettrait une continuité de la collectivité territoriale, en lui offrant davantage de compétences, notamment dans le domaine de l'éducation.

Par ailleurs, nous engageons une réflexion approfondie sur l'évolution statutaire. Des cabinets juridiques nous accompagneront sur ce sujet. Mes services ouvriront prochainement les plis des candidats adressés à la commission d'appel d'offres. Ces juristes sont particulièrement compétents sur les aspects outre-mer auxquels se joindront également des scientifiques. Deux hypothèses sont envisagées : une synthèse des articles 73 et 74 conduisant à une situation sui generis, qui s'avèrerait très complexe, ou une évolution directe vers un article 74 amélioré. Dans les cinq prochaines années, la Guyane devra disposer d'un nouveau statut.

Nous avons mis en place une collectivité territoriale qui a incontestablement répondu à l'exigence de la fusion de deux collectivités sur le même territoire. Les subventions étaient saupoudrées, les compétences jamais reconnues par l'un ou l'autre, et la Guyane, face à l'État, au Gouvernement et à la coopération transnationale, a un interlocuteur : la collectivité territoriale de Guyane (CTG). Cette fusion, a conduit au regroupement de 3 400 personnes, représentant une masse salariale de 145 millions d'euros.

La collectivité représente aujourd'hui un budget de 630 millions d'euros, et 72 millions d'euros en fiscalité directe (taxe sur le foncier, etc.). Cette situation est incongrue. En fiscalité indirecte, la somme s'élève à 199 millions d'euros (octroi de mer, taxe sur les carburants, sur le tabac, etc.). À ce budget s'ajoutent les fonds européens pour un montant de 33 millions d'euros. Ce budget de la collectivité territoriale, du fait de l'application de l'article 73, pose problème.

Notre gouvernance est fonctionnelle ; je suis le président de la collectivité et de son assemblée, ce qui n'est pas le cas en Martinique. Dans la majorité des cas, les commissions permanentes sont dirigées par la première vice-présidente. S'agissant de l'assemblée, je présente les rapports et les soutiens. Ce système est efficace. Par ailleurs, en termes de simplicité et de réactivité, le Gouvernement a un seul interlocuteur en Guyane : le président et, le cas échéant, des élus délégués de même que nos interlocuteurs des pays voisins avec lesquels nous discutions de projets de coopération.

S'agissant des compétences, en matière foncière, 95 % du territoire appartient à l'État. La gestion de l'assurance chômage est en outre une compétence de l'État. L'éducation doit quant à elle être réformée, compte tenu du taux d'analphabétisme et d'illettrisme, lié à la fois à l'immigration et à la culture des peuples autochtones, les Amérindiens, les Bushinenge... Une réforme de l'éducation est nécessaire, notamment sur le plan de l'appropriation de nos cultures et de nos identités, et sur les bassins de vie, c'est-à-dire recréer des corps de métier au regard des territoires. En effet, nous n'avons pas suffisamment d'infirmières ou d'enseignants. On nous impose un niveau bac+4 voire bac+5, alors que nous pourrions bénéficier d'un corps d'enseignants, en lien avec le territoire. S'agissant des mines, nous pourrions disposer d'une compétence nous permettant d'attribuer des « mines standard » à des entrepreneurs locaux. En matière agricole, la Guyane se voit imposer des normes européennes, alors que nos voisins du Brésil ou du Surinam disposent de modalités dérogatoires et vendent leurs produits à Rungis, ce qui parfois nous est interdit. Si la filière du riz a totalement disparu de notre PIB, c'est parce que le Surinam a continué à faire de la concurrence avec des produits qui sont aujourd'hui interdits au niveau de l'Europe. Sur la question de la pêche, les côtes guyanaises sont pillées par le Brésil et le Surinam. Et bientôt, les marins bretons, basques voire espagnols pourraient y venir pour profiter des richesses halieutiques. Une taxation et un contrôle sont donc nécessaires. Ils permettraient de conforter la filière de la pêche en Guyane. Il faudrait mieux contrôler les personnes qui viennent pêcher sur notre territoire.

J'ai face à moi des adversaires qui proposent un statut régi par l'article 74 de la Constitution. Celui-ci présente des avantages comme des inconvénients. Je me battrai pour que nous maintenions une gouvernance telle qu'elle est définie aujourd'hui pour éviter les difficultés liées au dédoublement de l'exécutif et de la présidence de l'assemblée. Je me battrai également contre une proposition qui été soulevée au sujet des districts. Aujourd'hui, cette notion est à mon avis dépassée. Nous avons mis en place les intercommunalités, et j'ai eu l'honneur d'être président de celle du littoral, la plus importante d'entre elles pendant 14 ans. Elle a été depuis transformée en communauté d'agglomérations. Il s'agit d'un excellent outil de mutualisation, de financement, d'aménagement et surtout, en fonction des compétences transférées, d'exercice de compétences pour l'eau potable, l'assainissement, les transports, l'aménagement et l'économie. Ce système est efficace. Nous avons mis en place une nouvelle usine d'eau potable, augmenté la distribution de l'eau potable pour la population en anticipant la croissance démographique. Nous avons également mis en place une centrale d'assainissement extrêmement moderne qui permet de raccorder 60 000 habitants. La création de districts risque au contraire de nuire aux intercommunalités, pourtant fonctionnelles. Les sept intercommunalités de la Guyane fonctionnent très bien. De plus, elle reviendrait à mettre en cause la fiscalité, vis-à-vis de l'État. En effet, l'intercommunalité, au-delà de la mutualisation, conduit à diminuer les coûts pour l'usager ou le consommateur. Nous devons maintenir cette évolution de l'intercommunalité. J'estime d'ailleurs que nous aurions déjà dû initier la fusion entre la communauté d'agglomération du centre littoral de Guyane (CACL) et l'intercommunalité des Savanes. Avant de quitter la CACL, une usine a été implantée à la frontière de l'île de Cayenne et de Kourou. L'eau des Cayennais est ainsi pompée à Kourou.

Par ailleurs, mes adversaires proposent une évolution qui modifierait le statut européen. Je suis personnellement partisan de l'Europe et du statut de RUP. La proposition, telle qu'elle est définie, nous conduisait vers un statut de PTOM. Selon le calcul des fonds européens sur 2021-2027, la Guyane risquerait de perdre 100 millions d'euros. En effet, le calcul repose sur le PIB. Or ce mode de calcul, si on l'applique strictement, devrait exclure la Martinique, la Guadeloupe et La Réunion des financements destinés aux RUP. Nous ne l'avons pas demandé mais ce mode de calcul en avantage certains et désavantage les autres. La Guyane, contrairement aux autres régions, a vu une progression de 15 % de sa population. J'ai déjà alerté la ministre à ce sujet. Saint-Martin, Mayotte et la Guyane seraient perdants. La Réunion verrait une diminution de 40 millions.

En conclusion, je suis favorable à une loi Guyane, à la poursuite de la décentralisation et au droit à la différenciation, comme l'a annoncé le Président Macron. Si nous poursuivons sur la voie statutaire, nous devrons certainement demander une révision de la Constitution. La demande d'un statut sui generis pose problème aux juristes. Sans réforme de la Constitution, il sera en effet nécessaire de revenir à l'application des articles 73 ou74, voire, pour certains, à l'article 72. J'apprécie particulièrement les travaux des sénateurs, que je suis avec intérêt. Le discours du Président Larcher, notamment sur les audits financiers, est objectif, clair et s'appuie sur des bases juridiques.

J'estime que nous devrions renforcer l'analyse des dépenses publiques des collectivités. Nous avons une spécificité : la Cour des comptes, après trois ans de bataille avec le ministère des outre-mer, a reconnu qu'il était nécessaire de rebaser les financements de la collectivité territoriale, soit 40 à 70 millions d'euros, pour assurer définitivement la stabilité du budget de la collectivité. Trois raisons le justifient. Tout d'abord, la Guyane est un territoire à forte expansion démographique où sont construits quatre lycées et cinq collèges par an. Elle est aussi le seul territoire qui ne dispose d'aucune route de 200 kilomètres, en état convenable. Certaines personnes ne peuvent se déplacer qu'en pirogue ou en avion, sans avoir la possibilité d'emprunter une route. Nous sommes enfin l'un des seuls territoires dont 30 % de la population n'a pas accès à l'eau.

Quand nous devons intervenir pour accompagner les mairies et les EPCI, c'est le budget de la collectivité qui est mobilisé. Lorsque la collectivité investit 8 millions d'euros dans ces sujets, l'État n'investit que 1,4 million d'euros. Nous avons également la problématique de la dengue. Un de mes prédécesseurs avait souhaité que cette compétence soit dévolue au conseil général. 40 à 100 000 habitants étaient concernés. Nous comptons aujourd'hui au moins 400 000 habitants. Cela coûte 6 millions d'euros à la collectivité alors que l'État est passé de 600 000 euros à 1 million de financement. Cette situation est indigne de la République, il est indigne que nous ayons à batailler pour obtenir des financements de l'État. Je me battrai donc pour une évolution statutaire, qui octroie davantage de compétences à la Guyane et permette aux Guyanais de mieux gérer leur territoire. Sur le sujet de la covid-19, je me suis entouré d'un comité scientifique de médecins locaux, métropolitains ou créoles qui ont plus de trente ans de pratique en Guyane. S'ils n'avaient pas été à mes côtés, je n'aurais pu prendre la décision de fermer les écoles, collèges et lycées. Actuellement, en Corse, le préfet et le rectorat ont attaqué devant le tribunal la décision de mon homologue de Corse sur la fermeture des lycées. Nous voyons actuellement que dans de nombreux départements, l'État attaque les exécutifs pour ouvrir les écoles, au prétexte du faible nombre d'enfants touchés par la covid-19. De nombreux parents et grands-parents pourraient néanmoins être infectés par leurs enfants. La bonne collaboration avec le recteur nous a permis de nous concerter. Depuis trois jours, le préfet affirme que l'ouverture des collèges et des lycées n'est pas à l'ordre du jour, et reconnaît ainsi que cette décision était sage. Nous sommes entourés du Brésil et du Surinam particulièrement touchés.

J'ai parlé avec passion parce que j'aime mon territoire.

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