Intervention de Florence Parly

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 18 juin 2020 à 15:5
Bilan et perspectives de l'opération barkhane — Audition de Mme Florence Parly ministre des armées

Florence Parly, ministre :

En ce qui concerne les drones, nous avons pris deux décisions. La première est d'armer les drones que nous avions commandés. C'est efficace et ces drones sont très utiles : le premier vol armé a eu lieu au mois de décembre, et le drone concerné a été engagé quelques jours après sa qualification et a tiré. Depuis, ces opérations se renouvellent régulièrement et allègent la tâche de la chasse, qui peut alors être réengagée sur d'autres opérations.

Seconde décision, nous nous sommes engagés dans la coopération pour répondre à un manquement dans la souveraineté européenne : l'absence de capacité souveraine en matière de drone. Cela a débouché sur le drone européen de moyenne altitude longue portée (MALE). Nous avons franchi une étape décisive de ce projet : le devis des industriels nous a été fourni, il s'est rapproché du montant que nous avions consenti à y consacrer avec l'Allemagne, l'Italie et l'Espagne, mais n'atteint pas encore la cible fixée. Nos quatre pays n'accepteront ni un drone plus cher que les prix du marché ni un appareil moins opérationnel. Il nous semble donc essentiel de tenir à la fois l'enveloppe fixée et les spécifications techniques sur lesquelles nous nous sommes accordées. Il reste des semaines de discussion, mais il va falloir trancher.

S'agissant des budgets nationaux, la crise sanitaire a touché tous les pays et des questions se posent sur la capacité des États à tenir leurs engagements. La France bénéficie d'un atout de poids : la loi de programmation militaire, qui nous donne des perspectives sur plusieurs années. Nous avions provisionné au total 1,2 milliard d'euros pour absorber les surcoûts liés aux opérations. Nous avons engagé cinq cents militaires supplémentaires dans Barkhane, et lancé l'opération Résilience, consacrée aux conséquences du Covid-19, laquelle, si elle a perdu en intensité, n'est pas terminée, parce que nous devons nous préparer à une éventuelle deuxième vague. Nous devons aussi prendre en compte le fait que nous avons été amenés à suspendre des actions de formations en Irak. Il est donc encore trop tôt pour nous prononcer sur le coût final des opérations pour 2020. Nous pouvons donc nous réjouir d'avoir relevé le niveau des provisions, mais je ne peux garantir que celles-ci suffisent. Nous suivons l'évolution de ces crédits avec attention, car nous savons que nous devrons en expliquer les écarts devant vous.

En ce qui concerne le rôle des États-Unis dans la neutralisation d'un cadre d'Al-Qaïda, je voudrais d'abord rappeler que ce dernier jouait un rôle majeur : il était un des adjoints du chef d'Al-Qaïda, en charge d'une grande région ; Al-Qaïda au Maghreb islamique, qu'il dirigeait, est ainsi l'homologue d'Al-Qaïda dans la Péninsule arabique. À ce titre, il commandait aux grands chefs qui contrôlent aujourd'hui les organisations terroristes du Sahel, notamment le RVIM. Vous comprendrez que je ne donne pas de détails sur l'opération, mais sans le renseignement fourni par les États-Unis qui a permis son suivi, Abdelmalek Droukdal serait toujours vivant. Il est donc très significatif que nous ayons pu, en coopérant avec les États-Unis, porter atteinte à un cadre aussi important. Même si cela n'empêchera pas le fonctionnement d'Al-Qaïda, qui désignera un successeur, on sait que ces actions désorganisent les processus opérationnels, les chaînes de commandement, la logistique, etc. Cela ne marque pas l'arrêt des combats, mais rend les choses plus difficiles pour l'ennemi, à un moment où le RVIM est en train de reprendre de l'envergure, au point que des combats l'opposent à l'EIGS.

Vous m'interrogez sur l'autonomie des forces armées maliennes et nigériennes. Ces deux armées progressent, elles peuvent remplir des missions autonomes, mais ont encore besoin d'être conseillées et accompagnées, c'est le rôle de Barkhane comme de EUTM-Mali.

S'agissant du rôle de la France au Sahel à plus long terme, nous ne resterons pas dans cette zone pour l'éternité. Tout ce qui a été mis en place à Pau vise à permettre aux forces nationales et aux États de reprendre pied sur leur territoire. À court terme, toutefois, dans les prochaines semaines, dans les prochains moins, nous n'avons pas vocation à quitter le Sahel, car notre présence y est indispensable, pour les Sahéliens comme pour les Européens. Des pays qui n'ont pas d'histoire commune avec cette région ont décidé de nous y rejoindre, témoignant ainsi de la confiance qu'ils nous font. Nous réfléchissons sans arrêt à la manière de faire évoluer notre dispositif, notre présence n'est pas éternelle, mais ce n'est pas le moment de ménager nos efforts, qui vont dans la bonne direction. Il nous faut poursuivre. Vous affirmez que la décision de prolonger l'opération aurait déjà été prise ; c'est faux. Si elle devait intervenir, une telle décision ferait l'objet d'un échange avec le Parlement, je n'ai pas le moindre doute à ce sujet. Pour le moment, elle n'est pas prise.

En effet, la situation sécuritaire au Burkina Faso est difficile et préoccupante, au Nord, à l'Est et au Sud. Le terrorisme djihadiste trouve un terreau favorable dans une jeunesse désoeuvrée ; au sein de la communauté peule, en particulier, beaucoup de jeunes sont ainsi recrutables. En outre, une loi votée il y a quelques mois autorise la montée en puissance de milices, ce qui accentue les risques de dérive sécuritaire. Il existe en effet un risque de propagation vers le sud de cette insécurité, comme on l'a vu le 11 juin, avec une attaque dans le nord de la Côte-d'Ivoire qui s'est soldée par la mort de douze militaires ivoiriens. Il est donc nécessaire d'adopter une approche très régionale. À Pau, nous avons convenu d'appréhender la question de la sécurité de façon large et pas seulement militaire ; l'action militaire n'est pas la solution, mais seulement un des outils au service d'un retour à la paix et à la sécurité et il importe de mobiliser activement tous les autres, c'est-à-dire les forces de sécurité intérieure, lesquelles doivent être aidées et accompagnées, mais aussi, et surtout, les décisions politiques de mise en oeuvre des accords de paix déjà conclus et l'aide au développement.

S'agissant de la politique de rémunération des militaires, il est vrai qu'il existe une différence de traitement entre les militaires mobilisés à partir de la Nouvelle-Calédonie et de la Polynésie française et ceux qui viennent d'autres régions d'outre-mer. Cette situation, que je ne trouve pas justifiée, renvoie à des questions compliquées de rémunération des agents publics ultramarins et ne concerne pas seulement le ministère des armées. Néanmoins, nous devrons trouver des solutions dans le cadre de la nouvelle politique de rémunération à laquelle nous travaillons. Je serai amenée à vous en parler, et j'espère vous en présenter les premières mesures dans le cadre de prochains budgets.

S'agissant de l'articulation entre l'action militaire et le développement économique, une des demandes émises lors du sommet de Pau était de faire preuve d'une plus grande efficacité dans la coordination entre l'une et l'autre. Le temps militaire et le temps du développement ne sont pas les mêmes, nous avons donc placé un représentant de l'Agence française de développement (AFD) auprès du commandant de Barkhane afin de mieux coordonner des actions dans un cycle plus court et de mettre en oeuvre en priorité des projets que la présence de nos forces et la sécurisation de certaines zones permettent de mettre en oeuvre de manière anticipée. Nous verrons à Nouakchott comment nous avons progressé ; pour le moment, je réserve ma réponse sur cette question. M. Le Drian ou moi-même pourrions vous présenter un bilan plus documenté, mais sachez qu'il s'agit d'une préoccupation quotidienne sur le terrain.

Les combats entre les deux grandes organisations terroristes Daech et Al-Qaïda sont en effet de plus en plus violents depuis mars et contribuent à désorganiser l'EIGS, en particulier. Sont-ils pour autant de bon augure ? Je suis prudente à ce sujet, car ils démontrent la grande capacité d'action du RVIM, dont atteste le tragique incident de dimanche. Je ne prétendrais pas que la victoire est à portée de main, je n'adopte pas ce langage, car je considère que de tels propos mettent en danger nos forces et celles de nos partenaires. Il est raisonnable de souligner les efforts et les progrès réalisés depuis le sommet de Pau, mais il est trop tôt pour crier victoire.

En ce qui concerne l'engagement des Européens, il progresse de façon significative. J'ai mentionné la Grande-Bretagne, qui a confirmé pour un an de plus la présence de ses hélicoptères lourds aux côtés de Barkhane. De même, les Estoniens prolongent leur engagement et leurs forces spéciales constitueront le premier contingent européen de la task force Takuba. Les Danois, les Allemands, les Espagnols, et, au-delà de l'Europe, les Canadiens, pour des missions ponctuelles de transport, ont également réitéré leur engagement. S'agissant des États-Unis, je reste prudente. Au mois de janvier, nous craignions une interruption immédiate de leur soutien ; or nous en bénéficions toujours. Ma prudence est dictée par l'échéance d'octobre et je ne prétendrais pas que la décision a été prise de poursuivre au-delà, car je ne voudrais pas que les décideurs américains en soient froissés. À ma connaissance, les décisions ne sont pas prises.

La suspension des actions de formation de l'EUTM emporte, en effet, des conséquences pour les armées de nos partenaires. Au cours du conseil tenu le 16 juin, les Sahéliens, qui ont participé à la réunion du 12 juin avec le haut représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, et les Européens ont indiqué qu'il était souhaitable de reprendre rapidement ces opérations ; l'état-major de l'Union européenne doit maintenant les remettre en oeuvre, avec le soutien des États membres.

S'agissant du treillis ignifugé F3, notre objectif était d'en équiper dès 2020 la totalité des forces projetées en opération extérieure, avant d'en généraliser l'utilisation pour l'ensemble des forces terrestres en 2024.

Monsieur Cazeau, vous avez raison, le soutien américain est multiforme, il couvre l'observation, grâce au recours aux drones, le ravitaillement en vol et le transport logistique, nous dialoguons bien sur ces trois dimensions avec les États-Unis.

J'ai déjà répondu au sénateur Laurent sur la question de la projection de la France sur une longue période au Sahel : nous n'avons pas vocation à y rester éternellement. Je ne souscris pas à la vision selon laquelle notre présence militaire serait déstabilisatrice ; au contraire, nous aidons à la stabilisation de la région. En revanche, je suis d'accord avec vous : il y a trop de violences intracommunautaires, qui font beaucoup de victimes. La France, cependant, ne contribue pas à leur exacerbation.

Les missions de la marine sont-elles affectées par l'incendie du Perle ? À très court terme, non, puisque ce navire devait être bloqué pour quelques mois encore. Ensuite, tout dépendra de l'ampleur des dommages. Il est possible, en effet, que certaines missions soient affectées, mais je ne peux être plus précise aujourd'hui. Ce que vous avez dit est exact : il s'agit du dernier SNA de la génération Rubis. Pourrons-nous prolonger la durée de vie d'autres bâtiments du même type ? Cela fait sans doute partie des scénarios sur lesquels nous travaillerons quand nous y verrons plus clair. En tout état de cause, cet incident n'aura pas d'impact sur la date de livraison du deuxième SNA de nouvelle génération, le Duguay-Trouin.

Je ne sais pas de quelles photos vous parlez. Si des photos permettant de voir des choses que l'on ne devrait pas voir ont été diffusées, c'est un problème, mais je n'ai vu que des photos de presse autorisées. Vous avez raison, néanmoins, on n'est jamais trop prudent quant à ce qui est diffusé sur les réseaux sociaux. Certains contenus n'y ont pas toujours leur place et nous devons rappeler la confidentialité de certaines images.

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