Intervention de Catherine Deroche

Commission d'enquête Évaluation politiques publiques face aux pandémies — Réunion du 15 septembre 2020 à 15h00
Audition du professeur didier raoult directeur de l'institut hospitalo-universitaire en maladies infectieuses de marseille

Photo de Catherine DerocheCatherine Deroche, rapporteure :

Vous avez apporté aux rapporteurs des réponses très en amont de cette audition, et je vous en remercie.

Ma première question est d'ordre pratique. Le parcours du patient au sein de votre institut marseillais a-t-il évolué depuis le début de l'épidémie, en février dernier ? En quoi consiste-t-il aujourd'hui ?

À la fin du mois de janvier dernier, la ministre de la santé déclarait qu'il y avait peu de risques que le virus arrive chez nous. Quel est votre avis sur les modélisations de l'Inserm qui ont pu conduire à cet avis ? Sur quels éléments, sur quelles alertes vous êtes-vous fondé pour avoir un degré de connaissance de la situation qu'apparemment les autorités n'avaient pas ?

Ensuite, en période de crise sanitaire, les soignants doivent apporter une réponse thérapeutique rapide aux patients. Comment concilier cette mission avec l'exigence d'essais randomisés, base de travaux scientifiques robustes permettant d'évaluer l'efficacité d'un traitement ? Les patients qui n'entrent pas dans le champ des essais avec un médicament testé ne subissent-ils pas une perte de chances ? Vous résumez ce que vous pensez de ces essais dans la note que vous nous avez remise. Selon vous, ils n'étaient pas forcément adaptés à la situation pandémique que nous avons connue. Pouvez-vous revenir sur ce point ?

Enfin, quel est votre avis sur les CPP, qui, à l'origine, avaient un rôle éthique ? Pourquoi, en l'occurrence, a-t-on mené certains essais assez vite, alors que l'on n'y arrive pas habituellement ?

Pr Didier Raoult. - Je l'ai dit, je ne suis pas un homme de spéculation. Je suis très empirique, très pragmatique de nature. À mon sens, on peut confirmer par les techniques méthodologiques, mais on ne peut découvrir que par l'observation, par l'empirisme.

Notre staff d'une vingtaine de personnes couvre de nombreux domaines. Avec mes équipes, nous lisons toute la littérature produite en la matière et nous travaillons ensemble - je crois aux nids de recherche, et non pas aux réseaux. Nous nous réunissons tous les jours à huit heures du matin pour échanger nos analyses. L'équipe compte un pharmacien - vous l'avez vu : applique-t-on vraiment l'autorisation de mise sur le marché (AMM) quand on est médecin ? La réponse est non - ; une spécialiste d'hématologie-coagulation, qui assure la bibliographie de stomatologie-coagulation ; un grand immunologiste, ancien directeur des sciences de la vie au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), qui fouille les questions moléculaires, en matière de physiopathologie ; un chimiste ; des infectiologues ; des virologues ; des microbiologistes et des épidémiologistes de très haut niveau, dont celui qui a mené l'enquête relative au Charles-de-Gaulle. Nous creusons chaque question de manière très approfondie et nous avons déjà consacré cinquante-quatre publications internationales à ces sujets. Je vous en ai fourni la liste : ces papiers sont, soit publiés, soit acceptés, soit en préprint.

Face à cette situation, nous avons fait comme d'habitude : nous avons lu tout ce qu'avaient écrit les seuls sachants, à savoir les Chinois. Puis, nous avons observé ce qui s'est passé avec les autres coronavirus et avec le premier épisode de SARS.

Tout de suite, j'ai téléphoné au ministère pour que l'on se penche sur le targocid, antistaphylococcique - c'est un générique, qui ne coûte rien -, utilisé face au SARS-1 en Corée, et sur la chloroquine, également utilisée face au SARS. Les premiers résultats venus de Chine, in vitro, parus dans l'excellent groupe de journaux Cell, relevaient que c'étaient les deux médicaments qui fonctionnaient. Ils insistaient également sur le remdesivir, qui, lui, n'était pas disponible, à moins de conclure des accords avec Gilead, ce que nous ne voulions pas.

Peu après, les Chinois ont annoncé qu'ils disposaient de leurs premiers résultats préliminaires : cent malades avaient été traités et l'on observait une amélioration clinique, radiologique, ainsi qu'au titre du portage viral.

L'idée que tout va se dérouler en France n'a pas lieu d'être : par définition, une pandémie se déploie partout. Les Chinois, qui ont été les premiers à subir le flux, avaient décrit une quantité de phénomènes, que nous avons observés plus tardivement, comme l'hypoxie heureuse.

De plus, nous avons agi dès que les premiers cas se sont présentés : trois jours après que le génome a été publié, nous avons commandé les amorces PCR. Je l'ai dit à l'Assemblée nationale : dans l'esprit du ministère, il y avait des centres nationaux de référence (CNR). Mais c'est un rêve : ce n'est pas possible pour une maladie inconnue.

Les uns et les autres n'avaient que des séquences. Nous disposions du génome publié par les Chinois. Nous avons également pris connaissance de la qPCR testée à Hambourg et des publications de l'institut Pasteur : nous avons pris tout ce qui existait, nous avons testé et regardé. Il faut toujours avoir une deuxième, voire une troisième gâchette, pour être sûr de confirmer les cas positifs, car certaines contaminations se font par la PCR. Il n'y a pas de laboratoire où cela n'arrive pas.

On a fait du benchmarking - je m'excuse de cet anglicisme - en imitant les autres ; c'est ainsi qu'avance la science, neuf fois sur dix. Très rapidement, nous avons vu que nous n'étions pas sur la même longueur d'onde. Chaque fois que l'on évoquait cette maladie, on nous parlait d'essais et de CPP. Je ne voyais pas et je ne vois toujours pas ces patients comme des sujets d'essais.

Parmi nos tout premiers patients, quelqu'un nous a parlé de son anosmie. Nous travaillions sur ce sujet pour identifier les causes d'infection respiratoire, et nous l'avons repéré ainsi. Mais il fallait commencer par chercher. Aujourd'hui, on sait que l'anosmie concerne 60 % des malades.

Les autres n'ont pas mené cette phase d'observation empirique, appuyée sur la lecture de la littérature. Ainsi, pour l'essai Recovery, les Anglais n'ont pas retenu le critère clinique. On a publié des séries, qui, aujourd'hui, sont utilisées comme une base de réflexion, mais qui portent sur des personnes n'ayant pas fait l'objet de confirmation diagnostique. Certains ignoraient même l'élément clinique le plus déterminant, à savoir l'anosmie et l'agueusie. Ce critère permet un tri extrêmement efficace, en particulier pour les personnes de moins de soixante ans. Nous l'avons testé, notamment, sur le personnel de soins.

De plus, à mesure que le savoir s'est accumulé, on a observé de très graves troubles de la coagulation - les réanimateurs ont été les premiers à les observer. Nous avons rapidement administré des anticoagulants, car les marqueurs de coagulation sont apparus comme des marqueurs de pronostic extrêmement importants. Ensuite, les premiers travaux réalisés en Chine à partir des autopsies ont prouvé que ce que l'on croyait être des pneumonies était en fait des embolies pulmonaires multiples, des lésions d'infarctus du poumon.

Les Chinois ont aussi avancé qu'il fallait des scanners low dose. Je me suis déjà prononcé : en la matière, nous connaissons un sous-équipement terrible - le nouveau gouvernement a, entre autres projets, celui de combler cette carence ; à terme, il faudrait remplacer les radios du thorax par des scanners low dose. Pour les Chinois, au moins la moitié des personnes déclarées asymptomatiques présentaient des lésions pulmonaires au scanner. Nous l'avons confirmé.

La prise en charge a donc évolué sans arrêt. En se focalisant sur la saturation en oxygène et les scanners, ce que l'on fait systématiquement, on ne voit pas la même chose. Pour savoir que le covid n'est pas assimilable à la grippe, il fallait mener d'autres observations. C'est une fois que ce travail a été fait, et non avant, que l'on a défini une stratégie.

Ne pouvant pas savoir qui aurait ou non des lésions, nous avons décidé, avant que les tests ne soient déployés en France, de tester les personnes qui se présentaient. Tout de suite, nous avons mis en place notre système de PCR à très haut débit - les Français rapatriés de Wuhan avaient été installés tout près de Marseille.

De plus, nous conseillons aux patients de mesurer leur saturation en oxygène ; si elle est inférieure à 95 %, ils doivent systématiquement se rendre à l'hôpital pour avoir de l'oxygène. Ils n'éprouvent l'insuffisance respiratoire qu'au moment d'entrer en réanimation. Utilisés plus tôt, l'oxygénation et les anticoagulants auraient pu sauver des vies. Cette discordance entre les signes cliniques et l'état d'oxygénation ne pouvait pas non plus être connue a priori ; et cette connaissance progressive se conjugue mal avec des opinions initiales très tranchées.

À mesure que le savoir évolue, nous avons modifié nos méthodes. Nous avons proposé tout de suite des essais thérapeutiques d'hydroxychloroquine, imitant ce qui avait été fait en Chine, et selon des posologies dont nous sommes familiers. Cet essai thérapeutique a toujours été à un seul bras, et, à l'époque, il a été validé par le CPP. Nous y avons ajouté de l'azythromycine - cela fait partie de la pratique clinique -, dont on savait par ailleurs que c'était un antiviral pour les virus ARN, et nous avons eu la surprise de voir que la charge virale diminuait à une vitesse spectaculaire. Nous avons tout de suite prévenu le ministère. Le résultat était si impressionnant que nous avons proposé de créer un groupe hydroxychloroquine-azythromycine pour mener un essai thérapeutique. Mais, au sein du CPP, un méthodologiste a voulu que nous repartions de zéro, en composant un groupe placebo. J'ai refusé, considérant que ce n'était pas éthique.

Nous avons poursuivi nos travaux. Face à la toxicité potentielle de la chloroquine, interrogation qui m'étonne toujours, nous avons demandé aux professeurs de cardiologie de vérifier tous nos électrocardiogrammes. Au fur et à mesure que les questions étaient soulevées, nous avons réagi pragmatiquement, car nous avons la capacité d'agir en autonomie, sur place.

Les chiffres que je vous ai donnés sont tout à fait officiels. Je ne peux pas les inventer : nous sommes dans un pays administré - parfois trop, mais c'est une autre question.

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