Intervention de Sylvie Vermeillet

Commission d'enquête Évaluation politiques publiques face aux pandémies — Réunion du 15 septembre 2020 à 15h00
Audition du professeur didier raoult directeur de l'institut hospitalo-universitaire en maladies infectieuses de marseille

Photo de Sylvie VermeilletSylvie Vermeillet, rapporteure :

La démocratie sanitaire semble avoir été oubliée : on a négligé d'entendre les familles et, surtout, les patients. Moi-même, j'ai été malade aux alentours du 15 mars, à une époque où les tests étaient réservés aux soignants. On nous disait simplement de rester chez nous et de prendre du doliprane ; les malades n'étaient alors que des chiffres. En lançant votre essai, vous avez été le premier à nous donner l'espoir ; je vous en sais gré, et je tiens à le dire ici. Auparavant, le seul espoir que nous avions, c'était une boîte de doliprane.

Cela étant, aujourd'hui, on a le sentiment qu'il n'y a pas de démocratie dans le monde de la recherche. Pourquoi ? Est-ce à cause de la force de la pandémie, du fait de la pression médiatique, ou encore, comme vous l'avez dit en préambule, faute de patron dans le monde des maladies infectieuses ?

En outre, vous avez déclaré récemment : « Il existe deux hypothèses particulièrement plausibles, soit que l'épidémie disparaisse complètement, soit que l'épidémie reprenne et devienne saisonnière. » Pourquoi cette alternative ?

Pr Didier Raoult. - Je suis très sensible à ce que vous venez de dire. Souvent, c'est une simple anecdote ou un moment de vie qui provoque un tournant. Alors que l'épidémie grandissait, je me suis rendu à l'IHU un dimanche. Une de mes assistantes, qui y avait passé tout le week-end et qui était épuisée, était en train de se disputer avec un homme qui tenait son enfant de trois mois dans ses bras. L'homme et son enfant portaient un masque. Mon assistante ne voulait pas tester l'enfant, car il ne répondait pas aux critères que nous nous étions donnés. Cet homme avait transité par l'aéroport d'Amsterdam et avait peur que son enfant soit malade. J'ai fini par dire : ça suffit, faisons un écouvillon à cet enfant et son père partira tranquillisé. Le test était négatif ; on a appris ensuite qu'à cet âge, la plupart du temps, le résultat était négatif. Mais on ne peut pas laisser les gens sans solution. Le fait d'être sur le terrain nous a fait changer notre perception de la situation et des enjeux de prise en charge.

Pour ce qui concerne l'évolution de l'épidémie, je pondère toujours mes propos en précisant que je ne crois ni aux modèles ni aux prédictions ; à ce titre, je ne peux raisonner que par analogie. Auparavant, on dénombrait six coronavirus, dont quatre sont saisonniers. À l'origine, ils ne l'étaient sans doute pas, comme la grippe. La première grippe du XXe siècle n'était pas du tout saisonnière. Elle a commencé un été et a duré toute une année : c'est la grippe espagnole. Longtemps, on a cru, à tort, que la grippe revenait sous l'influence du froid, d'où le terme influenza, qui vient d'« influenza di freddo », influence du froid ; c'est ainsi que l'on a décrit cette maladie à la Renaissance, en Europe. Mais il y en a autant, voire plus dans les pays chauds, il y en a même toute l'année dans les zones tropicales et, en Afrique de l'Ouest, il y en a davantage pendant la saison des pluies. On ne comprend pas bien ces rythmes saisonniers. J'ajoute que tous les virus respiratoires n'ont pas la même saisonnalité.

Les autres coronavirus endémiques ont probablement connu une diffusion mondiale ; on ne sait pas quand, car on les a découverts un peu par hasard. Ils se sont installés durablement chez nous et présentent une épidémiologie saisonnière, avec quelques cas sporadiques aux autres moments de l'année. Mais le covid-19 est une nouvelle maladie, il peut se déployer différemment et sa très forte vitesse de mutation est un phénomène nouveau, que je n'ai pas vu décrite au sujet des autres coronavirus.

Vous ne m'avez pas répondu au sujet de la démocratie dans le monde de la recherche.

Pr Didier Raoult. - La recherche est comme le sport de haut niveau : par définition, elle n'est pas démocratique. Un grand historien des sciences distingue trois phases en matière de recherche : premièrement, la phase pionnière, menée par des personnes audacieuses, qui font bouger les lignes et, de ce fait, sont empoisonnées toute leur vie ; deuxièmement, la phase de plateau, dite « normale », pendant laquelle les choses avancent peu à peu, grâce à une recherche collective que l'on peut qualifier de démocratique ; et, troisièmement, la phase de déclin : le champ s'épuise et un autre champ naît.

Tous les épistémologistes l'ont observé. Or les phases de découverte sont marquées par des conflits terrifiants. Sur ce sujet, je vous recommande un livre merveilleux de Bruno Latour intitulé Pasteur : guerre et paix des microbes. Il s'agit d'une véritable oeuvre scientifique, fondée sur le dépouillement systématique des journaux de l'époque. Pasteur a pu réussir grâce à des alliés politiques et grâce au soutien des hygiénistes ; mais, pour imposer l'idée du germe, il a dû mener des combats terribles. Auparavant, Lamarck avait été condamné au silence par Cuvier, qui, à l'époque, était tout-puissant en France dans le domaine des sciences. Or Lamarck était le plus grand scientifique au monde pour ce qui concerne la question de l'évolution. D'ailleurs, mon prochain livre s'intitulera La Science est un sport de combat.

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