Intervention de Victoire Jasmin

Commission d'enquête Évaluation politiques publiques face aux pandémies — Réunion du 15 septembre 2020 à 15h00
Audition du professeur didier raoult directeur de l'institut hospitalo-universitaire en maladies infectieuses de marseille

Photo de Victoire JasminVictoire Jasmin :

Concernant les essais thérapeutiques, les protocoles que vous préconisiez font-ils l'objet d'études comparatives ? D'autres équipes les utilisent-elles ? Par ailleurs, la liberté de prescrire a été mise en cause dans notre pays. Cette obstruction a-t-elle causé des pertes de chances ? Enfin, vous avez affirmé avoir commandé des séquençages du génome du virus et avoir observé sept mutations : quelle était leur nature ?

Pr Didier Raoult. - Monsieur Lévrier, je suis content que vous me posiez cette question, mais je me demande pourquoi vous ne la posez pas au ministère de la santé. Il y a des gens qui adorent faire des essais : pourquoi n'en ont-ils pas fait un pour comparer le traitement hydroxychloroquine-azythromicine à un placebo ? C'est l'un des reproches majeurs que j'ai faits au conseil scientifique : tous les essais avaient été décidés avant que ne se tienne la moindre réunion de ce conseil et il n'a été question que du remdesivir et du lopinavir, jamais de l'hydroxychloroquine, qui était le seul médicament pour lequel on disposait de données préliminaires. C'est l'une des raisons pour lesquelles je me suis mis en retrait du conseil scientifique : il n'a jamais piloté quoi que ce soit dans la recherche sur le covid-19. Qui a apporté les données montrant que les enfants n'étaient pas affectés, sinon nous ? Les gens semblent découvrir que les CT n'ont pas tous la même valeur : cela fait deux mois et demi que nous l'avons écrit ! Ce sont des choses que l'État aurait dû piloter : l'incidence des différentes couches de population, l'incidence chez les patients symptomatiques et asymptomatiques. Voilà le pilotage que le conseil scientifique aurait dû assurer. J'ai écrit très tôt que celui qui avait été mis en place ne pouvait pas piloter une recherche de crise ; je m'en suis retiré, parce que j'estime, à tort ou à raison, être plus utile sur place, dans les décisions à prendre tous les jours, mais j'ai proposé des gens qui, à Toulouse ou à Créteil, faisaient des centaines de milliers de tests PCR, connaissaient parfaitement la pharmacologie et n'auraient jamais entériné l'idée selon laquelle l'hydroxychloroquine serait un poison mortel : ces gens auraient été capables de mener une véritable politique scientifique, ce qui n'était pas le cas des membres de ce conseil scientifique, comme je l'ai exprimé au Président de la République et au Premier ministre. Je regrette qu'aucune politique n'ait été entreprise pour vérifier les quelques éléments préliminaires que j'avais apportés.

Concernant l'efficacité, nous avions bien commencé à faire une étude dans les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) avant que ce ne soit interdit. Ses résultats sont disponibles en ligne : on constate une baisse de 50 % de la mortalité dans les Ehpad où nous avons pu traiter les gens par rapport aux endroits où l'on n'a pas pu les traiter - on est passé de 27 % à 14 % de mortalité. Ce sont nos données : il faut les regarder et chercher à les reproduire, plutôt que de se plaindre que l'on ne fait rien dans les Ehpad. On a encore du temps, il y a encore des malades : les gens qui se posent la question de l'efficacité peuvent faire le nécessaire. Il ne faut pas vivre dans des mythes : un grand article publié dans l'American Journal of Medicine explique la place de l'hydroxychloroquine, notamment contre les facteurs qui entraînent la coagulation, au premier rang desquels la sécrétion d'anticorps antiphospholipides, ceux-là mêmes qu'on trouve dans le lupus - c'est d'ailleurs pourquoi l'hydroxychloroquine est prescrite pour le traitement de cette maladie. Ce sont des éléments réels !

Vous parlez de communication : personnellement, j'ai toujours pensé que, de ce point de vue, on allait dans le mur. Je n'ai jamais porté d'opinion sur la politique du Gouvernement, hormis quand vous me le demandez dans un cadre officiel ; je n'ai fait que donner des chiffres, communiquer les données que nous étions les seuls à détenir dans ce pays, voire dans le monde. Je vous ai transmis quatre pages de résultats de nos recherches. C'est officiel : on ne peut pas tricher avec ces résultats ! Vous estimez peut-être que ma communication est nuisible, mais quantité de pays l'ont utilisée pour prendre des mesures qui ont fonctionné. Ainsi, en Algérie, on a vite compris qu'il fallait tester et on l'a fait plus massivement qu'en France à la même époque. Les meilleurs journaux du monde, aux États-Unis comme au Royaume-Uni, ont publié des articles dont les auteurs se prononçaient sur l'efficacité de tel ou tel traitement sans même avoir fait un test biologique ! Ce phénomène de déroute n'est pas seulement français.

Les Chinois sont actuellement les seuls compétiteurs que nous ayons, avec Taïwan et la Corée du Sud. Sur les infections respiratoires, ils ont les plus grandes séries du monde, ils ont une approche extrêmement pragmatique et moderne. Quand on essaie de faire le séquençage direct d'une infection du cerveau ou du coeur, alors même qu'on obtient les résultats et qu'on commence à écrire le papier, on se rend compte qu'un papier équivalent a déjà été publié dans un journal chinois dont on n'a jamais entendu parler ! Ils ont une stratégie de recherche : il suffit de visiter l'hôpital spécialisé en maladies infectieuses qu'ils ont construit à côté de Shanghai pour s'en convaincre. Pour les maladies infectieuses, la France ne dispose pas même actuellement de ce qui existe au Sénégal, au Mali ou au Congo. Il existe près de l'aéroport de Dakar un bâtiment technologique, d'ailleurs financé par Gilead, dont le niveau d'équipement de diagnostic et de séquençage est absolument inouï. Une course technologique a commencé ; certains pays n'ont pas suivi et elle se passe aujourd'hui essentiellement en Extrême-Orient.

Je ne sais pas pourquoi la vague annoncée n'a pas eu lieu en Afrique. Je ne sais pas prédire. Beaucoup d'Africains disent que le fait qu'ils prennent systématiquement de la chloroquine a pu jouer un rôle ; c'est possible, mais je n'en sais rien, honnêtement.

Quant à l'anxiété, vous admettrez qu'elle n'est pas de mon côté : ce n'est pas moi qui affole les populations. Il n'y a d'ailleurs pas de raison d'être affolé. Les données de l'Institut national d'études démographiques (Ined) vous indiqueront la perte d'espérance de vie due à cette épidémie. C'est une donnée différente de la mortalité. La perte d'espérance de vie est moindre quand la victime souffre d'une polypathologie ou d'un cancer métastasé, ou quand elle a 92 ans, que quand elle a 18 ans et a un accident de moto. Or la perte d'espérance de vie constatée en 2020 par rapport à 2019 n'est que de 0,2 an ; cette perte est inférieure à celle qui avait été constatée en 2015. Loin de nourrir l'anxiété, j'ai toujours essayé d'être optimiste : on n'est pas face à un drame absolument insupportable. Ce débat ne va pas se régler maintenant, mais à la fin, avec les chiffres. Je les suis de manière très précise, parce que je suis empirique : cela m'intéresse de regarder les données chiffrées, de les analyser et de les comprendre. La grippe a énormément tué en 2015 et tout le monde s'en est fichu ! Elle a plus tué que ne le fera l'épidémie cette année, sauf événements absolument imprévisibles pour moi.

J'ai essayé de vous donner des données comparatives par rapport aux désastres du passé : on ne vit pas le même désastre parce que ce n'est pas le même âge qui meurt : 50 % des gens qui sont morts avaient plus de 85 ans ; 72 % d'entre eux, si je ne me trompe, avaient plus de 80 ans. Dans les pays européens, plus de 90 % des victimes avaient plus de 60 ans. Il s'agit de personnes dont l'équilibre est précaire : les circonstances font qu'elles tombent du mauvais côté. C'est ce que nous observons dans les données d'âge actuelles. Chez nous, le mort le plus jeune a longtemps été un homme de 58 ans ; malheureusement, une femme de 54 ans, dans un état absolument épouvantable, est venue mourir : elle a été refusée en réanimation parce que son état physiologique de base était trop mauvais. Avant même de prendre en compte, par des calculs très complexes, les polypathologies, on constate que la perte globale d'espérance de vie sera extrêmement mineure en fin d'année. Ce n'est pas moi qui développe l'anxiété !

Concernant l'interdiction de prescrire l'hydroxychloroquine, tout le monde connaît mon opinion à ce sujet. Je ne vois pas comment on aurait pu avoir un débat serein quand, dans l'espace d'une demi-journée, le ministère et l'OMS se sont mis à dire qu'on interdirait partout ce traitement, qui tuerait les gens, sur la base d'un article qui a été retiré trois semaines plus tard ! C'est une bande de pieds nickelés qui avait écrit ce truc ! Personne ne savait d'où ils sortaient. Ce n'est pas moi qui raconte des bêtises ! Qu'on puisse penser que cette étude était vraie, alors qu'on parle d'un médicament qui a été prescrit à 2 milliards de personnes, cela témoigne d'une déconnexion des deux parties du cerveau : l'une a perdu en pragmatisme et l'autre est devenue guerrière et symbolique. Réussir à vous faire avaler quelque chose de tel, c'est spectaculaire ! D'ailleurs, les Africains se moquaient de nous, eux qui prennent de la chloroquine depuis des décennies. Quand j'étais enfant en Afrique, j'en prenais dès l'âge de deux ans, les comprimés étaient sur la table, chacun en prenait. C'est peut-être pourquoi je ne crains pas la chloroquine.

Quant à ce qui ne marche pas dans notre système de santé, il faut là encore regarder les données chiffrées, en l'occurrence le rapport Health at a Glance que publie l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) tous les ans. Vous y verrez les différences qui existent entre la France et les autres pays quant au rapport entre effort financier et mortalité. L'effort financier français est considérable, mais nous sommes l'un des pays qui a le moins de médecins et dont les médecins sont les plus vieux, du fait du numerus clausus imposé par l'État pendant trente ans. En outre, les médecins hospitaliers, sauf s'ils sont universitaires, sont moins bien payés en France que dans la moyenne des pays de l'OCDE ; le niveau des grands équipements est lui aussi inférieur à la moyenne.

Concernant les mutations, tout mute tout le temps. Quand on copie, il y a des erreurs. En moyenne, pour l'ADN, il y a en moyenne une erreur par million de copies ; c'est assez peu. En revanche, l'ARN, présent dans ce virus, connaît environ 100 fois plus de mutations : le taux d'erreur serait entre 1 pour 10 000 et 1 pour 40 000. Parfois, il s'agit de mutations dites « synonymes », qui n'entraînent pas de changement d'acide aminé ; elles peuvent cependant parfois entraîner un changement dans la capacité du virus à se multiplier. Certaines mutations que nous avons observées agissent sur la protéine spike, spécifique à ces coronavirus, d'autres sur la nucléocapside, qui a beaucoup de points communs avec les autres coronavirus, ce qui expliquerait certaines réactions et, peut-être, protections croisées : la protéine spike et la nucléocapside sont les deux grands antigènes reconnus par la réponse immunitaire. On compte le nombre de mutations survenues par rapport au virus souche. Entre mars et mai, on n'en avait compté qu'une dizaine ; depuis, ce nombre est 10 fois plus élevé. La distance mesurée entre les versions actuelles du virus et la souche primaire augmente.

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