Intervention de Catherine Deroche

Commission d'enquête Évaluation politiques publiques face aux pandémies — Réunion du 15 septembre 2020 à 15h00
Audition commune des professeurs dominique costagliola épidémiologiste membre de la cellule de crise de l'académie des sciences et yazdan yazdanpanah chef du service des maladies infectieuses et tropicales de l'hôpital bichat directeur de l'institut thématique d'immunologie inflammation infectiologie et microbiologie de l'inserm reacting membre du conseil scientifique

Photo de Catherine DerocheCatherine Deroche, rapporteure :

Une question générale tout d'abord : que pensez-vous de l'organisation de l'effort de recherche en France ?

Ensuite, comment expliquez-vous l'échec relatif de Discovery par rapport à Recovery, dont la rigueur et la flexibilité ont été saluées dans le monde ? Pourquoi Discovery n'a-t-il pas apporté de véritables réponses cinq mois après son lancement, contrairement à Recovery ? Cela n'a-t-il pas pesé sur la crédibilité de la parole scientifique en France ?

Par ailleurs, lorsque la ministre de la santé disait à la fin du mois de janvier que le virus avait peu de chances de pénétrer en France, j'imagine qu'elle s'appuyait sur des modélisations de l'Inserm - nous lui poserons la question la semaine prochaine. Comment expliquez-vous les conclusions de ces modélisations et cette formulation politique, alors que des données différentes commençaient à apparaître un peu partout sur le globe ? Notre commission d'enquête s'intéresse beaucoup à cette période entre les premiers cas en Chine et l'émergence de l'épidémie en France dans le Grand Est, période durant laquelle les discours et la gestion ont parfois été chaotiques.

En ce qui concerne les personnes incluses dans les essais, étaient-elles toutes positives au covid ? Pour les malades qui n'étaient pas inclus dans les essais, comment se déroulaient les soins à l'hôpital en l'absence de traitement connu ?

Où en est-on à propos de l'antiviral kaletra ?

Au début de l'été, l'Agence européenne du médicament a accordé une autorisation de mise sur le marché (AMM) conditionnelle au remdesivir, qui a reçu une autorisation temporaire d'utilisation de cohorte. Le professeur Lina nous a indiqué que des études de cohorte et des essais cliniques étaient en cours. Pouvez-vous me le confirmer ? Comment les choses s'articulent-elles ? À l'hôpital Bichat, professeur Yazdanpanah, vous avez utilisé le remdesivir. Sous quelle forme le faisiez-vous avant l'AMM ? Des stocks ont-ils été constitués ? Quel est l'état des connaissances sur les éventuels effets secondaires de ce médicament ?

Pr Yazdan Yazdanpanah. - Pour nous, Discovery n'est pas un échec, c'est même un succès. Nous avons commencé à réfléchir à un essai de ce type dès le mois de février, à un moment où nous ne savions pas comment l'épidémie allait évoluer. Dès le départ, nous avons voulu travailler au niveau européen et avec l'OMS. En effet, la plupart des épidémies s'arrêtent rapidement - heureusement ! Il est par conséquent très important de s'inscrire dans un effort international. Ainsi, Discovery est une étude dite « fille » de Solidarity, l'étude de l'OMS qui regroupe plus de 10 000 patients ; nous testions exactement les mêmes traitements - kaletra, kaletra-interféron, remdesivir, hydroxychloroquine et le standard de traitement -, mais nous recueillions beaucoup plus d'informations.

Il est vrai que le développement de la dimension européenne de Discovery a été compliqué, mais cinq ou six pays en font aujourd'hui partie et l'épidémie n'est pas terminée. En outre, nous disposons maintenant de financements européens, ce qui va permettre d'inclure une dizaine d'autres pays.

Nous avons déjà obtenu des résultats à partir du mois de juin, mais ils sont malheureusement négatifs : les médicaments repositionnés que nous avons étudiés n'ont pas prouvé leur efficacité. Personne au monde n'a d'ailleurs trouvé de traitement antiviral efficace. C'est aussi pour ce motif d'absence d'efficacité que nous avons arrêté le bras hydroxychloroquine de Discovery, ainsi que, au mois de juin, les deux bras utilisant le kaletra - en outre, une alerte de toxicité liée à des insuffisances rénales avait été lancée sur le kaletra. Ce sont bien des résultats issus de Discovery et de Solidarity. Le seul traitement qui continue d'être évalué est le remdesivir, mais d'autres bras vont être ajoutés. Je le redis, ce n'est pas parce que les résultats sont négatifs que l'essai est un échec.

En ce qui concerne le remdesivir, nous n'avons à ce stade aucune preuve de son efficacité : aucun des quatre essais cliniques internationaux qui l'ont testé n'a apporté une telle preuve. Nous estimons qu'il faut continuer l'évaluation.

Discovery a débuté le 23 mars et il n'existait alors aucun essai. Or l'hôpital Bichat a reçu son premier patient le 24 janvier et, le même jour, l'OMS publiait une liste des médicaments prioritaires avec le remdesivir en premier et le kaletra en deuxième. Nous avons donc, à cette période, utilisé le remdesivir chez les patients les plus graves, et uniquement pour eux. Ensuite, nous n'avons utilisé le remdesivir, en tout cas dans mon service, que dans le cadre des essais cliniques. Nous ne prescrivons plus le kaletra, parce que l'essai Discovery comme l'étude anglaise Recovery ont montré son absence d'efficacité.

Je voudrais ajouter plusieurs points au sujet de l'étude Recovery. Elle était uniquement nationale et pas du tout internationale, contrairement à ce que nous avons mis en place en France. Ensuite, le Royaume-Uni a opté pour un système très vertical qui ne correspond pas à la culture française : un essai clinique important au niveau national et pas d'autres autorisations - il faut certainement trouver un juste milieu entre ces deux expériences pour éviter la dispersion que nous avons connue. En outre, notre essai est beaucoup plus complet que le leur, puisque nous nous intéressons aussi à la charge virale, à la toxicité, à la pharmacovigilance, etc. Enfin, le Royaume-Uni a connu 53 jours d'épidémie de plus que nous.

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