Intervention de René-Paul Savary

Commission d'enquête Évaluation politiques publiques face aux pandémies — Réunion du 15 septembre 2020 à 15h00
Audition commune des professeurs dominique costagliola épidémiologiste membre de la cellule de crise de l'académie des sciences et yazdan yazdanpanah chef du service des maladies infectieuses et tropicales de l'hôpital bichat directeur de l'institut thématique d'immunologie inflammation infectiologie et microbiologie de l'inserm reacting membre du conseil scientifique

Photo de René-Paul SavaryRené-Paul Savary, président :

Sous quelle forme utilisez-vous le remdesivir ? En perfusion ?

Pr Yazdan Yazdanpanah. - Il existe uniquement en format injectable.

Pr Dominique Costagliola. - En ce qui concerne la modélisation, je pense, madame la rapporteure, que vous faites allusion aux travaux de Vittoria Colizza, qui travaille dans le même laboratoire que moi. Il est vrai qu'en janvier les premiers résultats de son modèle montraient une faible probabilité que le covid se développe en France, mais les résultats suivants - trois jours après ! - évaluaient cette probabilité à 60 %. Vous le voyez, les données ont évolué très vite dans cette épidémie. En tout cas, tous ces résultats ont été transmis aux instances gouvernementales.

Dans Discovery, l'un des critères d'inclusion dans l'essai était un test PCR positif au covid, ce qui n'était pas toujours le cas dans d'autres études. Cette question se pose toujours dans le cadre des maladies virales brèves, notamment émergentes et y compris pour la grippe. Les deux approches se défendent et présentent des avantages et des inconvénients. Ainsi, lorsque nous obtenons un résultat, il est parfois trop tard pour engager un traitement. Il faut trouver un équilibre entre disposer de groupes comparables par le tirage au sort et se concentrer sur les malades. Il est d'ailleurs préférable de disposer de plusieurs études reposant sur des approches différentes.

Je vais revenir sur la question du remdesivir qui est assez complexe. Il faut dire en préambule que le laboratoire qui commercialise ce produit a fait beaucoup de communication...

La première étude qui a été publiée - c'était dans le Lancet - était chinoise, mais l'essai a été arrêté précocement du fait de la décroissance de l'épidémie en Chine, il n'incluait donc pas le nombre de personnes prévu au départ. Le critère de jugement principal se basait sur l'échelle de l'OMS : est-ce que la personne est sortie de l'hôpital, est-ce qu'elle est hospitalisée sans oxygène, est-ce qu'elle hospitalisée avec une forme quelconque d'oxygénation, est-ce qu'elle décède ? De ce point de vue, l'essai ne trouvait pas de différence.

Le jour de la publication de cette étude, le laboratoire - Gilead - diffusait un communiqué de presse pour donner les résultats d'un essai qu'il avait mené - depuis, l'étude a été publiée. Cet essai visait à comparer les durées de traitement : 5 ou 10 jours. La durée de 10 jours était alors recommandée et correspondait aux paramètres de l'étude chinoise et à ceux de Solidarity et de Discovery. Une durée de 5 jours serait intéressante, si elle était efficace, parce que les stocks sont faibles pour ce médicament et qu'il est cher.

Cependant, au moment de la publication de ces résultats, aucun essai ne prouve encore que ce traitement est efficace et on ne sait pas exactement la question que les auteurs de l'étude se sont posée. Cette étude ne répond donc à aucune question clinique qui nous intéresse.

Ensuite, l'Institut national de santé américain (NIH) a mené un essai en double aveugle sur un traitement de dix jours de remdesivir, mais il a été arrêté précocement sur recommandation du comité indépendant de surveillance du fait d'un résultat positif sur le critère de jugement, à savoir le fait de ne plus avoir besoin d'être à l'hôpital - certains patients étaient maintenus à l'hôpital davantage par souci de les isoler que pour des raisons thérapeutiques. La durée d'hospitalisation variait de quatre jours, ce qui n'était pas très intéressant d'un point de vue clinique. En outre, 29 % des participants n'atteignaient pas la durée de suivi considérée comme intéressante, à savoir J-29. Il n'y avait d'ailleurs pas de différence sur la mortalité.

Enfin, Gilead a récemment publié un quatrième essai, dans lequel le standard of care est comparé à J-11, ce qui me semble trop tôt, entre un traitement sur 5 jours et un sur 10 jours. Ce qui est paradoxal dans cette étude, c'est que le résultat à 5 jours est meilleur que le standard of care, contrairement à celui sur 10 jours.

Dans ce contexte, il nous semble que nous n'avons pas suffisamment d'éléments pour dire qu'il faut arrêter d'évaluer le remdesivir et connaître son efficacité sur la mortalité.

En tout cas, comme vous l'avez dit, madame la rapporteure, ce médicament a obtenu une AMM européenne. Comme toujours dans le cadre d'une telle autorisation, le laboratoire a alors déposé un dossier auprès de la commission de transparence, qui doit donner un avis sur la prise en charge. La commission s'est réunie le 8 juillet et l'avis a été validé le 22 juillet, mais il n'a pas été publié, ce qui signifie que le laboratoire n'en était pas satisfait. Je ne sais pas si le problème porte sur le service médical rendu (SMR) ou sur l'amélioration du service médical rendu (ASMR), mais la procédure veut qu'une nouvelle audition ait lieu - elle est programmée pour demain... Nous en saurons plus ensuite !

Je termine mon propos, en disant que des articles de presse ont annoncé que les États-Unis avaient acheté l'ensemble des stocks disponibles de remdesivir, médicament difficile à produire en quantité. Selon un éditorial paru dans le British Medical Journal (BMJ), ce n'est pas une perte pour le reste du monde...

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