Intervention de Dominique Costagliola

Commission d'enquête Évaluation politiques publiques face aux pandémies — Réunion du 15 septembre 2020 à 15h00
Audition commune des professeurs dominique costagliola épidémiologiste membre de la cellule de crise de l'académie des sciences et yazdan yazdanpanah chef du service des maladies infectieuses et tropicales de l'hôpital bichat directeur de l'institut thématique d'immunologie inflammation infectiologie et microbiologie de l'inserm reacting membre du conseil scientifique

Dominique Costagliola :

Sur la santé publique, j'approuve parfaitement vos remarques sur la qualité des écoles françaises. Nous souffrons malheureusement d'un déficit de formation, et pas seulement dans le domaine médical. Il nous reste pourtant de gros progrès à faire en termes d'organisation : sur l'infection VIH, si l'on veut encore progresser, il faut organiser des actions au plus près des territoires, et c'est une lacune que nous continuons de déplorer. Cette culture de l'action de proximité manque encore à la France.

Sur la table ronde, nous déplorons la défection de M. Raoult autant que vous.

Sur l'interruption du bras hydroxychloroquine de l'essai Discovery à la suite du Lancetgate, elle ne s'explique pas que par cette polémique, mais également par des signalements de pharmacovigilance importants. Le dosage d'hydroxychloroquine préconisé par l'équipe de l'IHUM Infection ne faisait absolument pas sens et plusieurs équipes de recherches - de Discovery, mais aussi de Recovery - ont conclu à l'absence d'efficacité de ce traitement en ville et à l'hôpital.

Les méta-analyses faites avec une méthodologie rigoureuse, qu'il s'agisse d'essais randomisés ou d'études observationnelles, montrent que, sous réserve qu'il n'y ait pas de biais extrême, il y a peu d'hétérogénéité dans la taille des effets mesurés et que cela ne marche pas. Les études avec un risque de biais extrême, en revanche, qui sont de nature observationnelle, concluent à des effets positifs. Mais la question reste de savoir si les différences d'effet observées peuvent être attribuables au traitement ; c'est là toute la différence entre un essai et une étude observationnelle. Dans un essai, minimiser les biais, l'hétérogénéité entre les deux groupes au départ, augmente la probabilité que la différence puisse s'expliquer par le traitement. Dans une étude observationnelle, au contraire, il faut prendre en compte la possibilité qu'il y ait, en amont, des différences importantes entre les groupes ; s'il y en a beaucoup, l'étude n'apporte pas de réponse. Nous pouvons dire que l'hydroxychloroquine ne fonctionne pas comme traitement dans la covid.

On comprend désormais mieux pourquoi : initialement, il y avait eu des études in vitro dans des cellules mais le mécanisme d'entrée du virus dans ces dernières n'était pas le même que celui de l'entrée dans les cellules pulmonaires. Une équipe allemande et une équipe française ont prouvé, dans le cas des cellules du poumon, que l'hydroxychloroquine ne marchait au contraire pas du tout, quelle qu'en soit la dose. De mon point de vue, il n'y a pas lieu de continuer à faire des études sur la covid avec l'hydroxychloroquine : ce serait de l'argent perdu et déloyal vis-à-vis des personnes à qui il est proposé de participer à un essai. Un essai n'a de sens d'un point de vue éthique que si l'on ignore si le bénéfice va dépasser le risque.

L'autre argument en faveur des essais cliniques est que l'on dispose alors d'un cadre permettant de juger la pertinence de l'étude d'un point de vue rationnel, éthique et règlementaire. Lorsqu'un protocole a été déposé dans le cas d'un essai non randomisé, il existe en effet une notice d'information et un ensemble de règles à respecter ; le consentement est alors éclairé, et c'est la seule façon d'évaluer les traitements de façon éthique. Il peut arriver, cependant, d'utiliser des données observationnelles, lorsque l'objectif est d'étudier l'effet d'un traitement sur autre chose que ce pour quoi il a été prescrit. Mais faire spontanément des études observationnelles n'a pas de sens.

Concernant l'immunité grégaire, il s'agit d'un concept apparu dans le cadre des modalisations des maladies infectieuses, qui vise à savoir quel pourcentage de patients doit être vacciné afin de contrôler l'épidémie. Pour la variole et la rougeole, par exemple, les modèles montrent qu'il faut vacciner respectivement 60 % et 98 % de la population sur plusieurs années, ce qui est atteignable au niveau mondial dans le premier cas.

C'est la première fois que l'on mobilise, dans le cadre d'une crise épidémique, un concept selon lequel il faudrait laisser les gens s'infecter pour être naturellement immunisés et ainsi la stopper. Rien ne dit que cela marche dans ce contexte, et cela ne constitue pas une stratégie. Cela reviendrait à imaginer que les jeunes ne côtoieraient aucune personne à risque (parents, amis, etc.). Certes, le taux de personnes positives augmente depuis la semaine 29 (mi-juillet) uniquement chez les jeunes de moins de 40 ans. Mais à partir de mi-août ce taux augmente dans toutes les tranches d'âge, y compris parmi les personnes de plus de 70 ans. C'est donc à partir de maintenant que les hospitalisations vont augmenter, avec certes moins de morts et moins d'engorgement en réanimation, puisque désormais nous savons mieux prendre en charge ces malades et que nous gérons mieux l'oxygénothérapie.

Le nombre de cas à l'hôpital doublait mi-août tous les 26 jours, puis tous les 14 jours et désormais, dans certaines régions, tous les 7 jours. Lorsque l'on attend d'être submergé pour agir, on a quatre semaines de retard sur le virus et donc les mesures de type distanciation ou limitation des réunions n'ont plus aucune efficacité.

La mutation du virus n'est pas une explication à la situation actuelle, puisqu'un virus à ARN mute très régulièrement. Le problème est de savoir si la mutation change sa virulence ou non, or nous n'avons pas de donnée qui montre une telle modification en la matière. En outre, les coronavirus ont une enzyme spéciale réparatrice : quand le virus se réplique, il « fait des erreurs », et une enzyme vient réparer ces erreurs, ce qui le distingue fortement de la grippe ou du VIH.

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