Intervention de René-Paul Savary

Commission d'enquête Évaluation politiques publiques face aux pandémies — Réunion du 17 septembre 2020 à 11:5
Table ronde d'anciens directeurs généraux de la santé

Photo de René-Paul SavaryRené-Paul Savary, président :

Mes chers collègues, nous poursuivons nos travaux avec une audition des anciens directeurs généraux de la santé.

Je vous prie d'excuser l'absence du président Milon, retenu dans son département.

Nous entendons cet après-midi le Professeur Didier Houssin, directeur général de la santé de 2005 à 2011, le Docteur Jean-Yves Grall, directeur général de la santé de 2011 à 2013 et le Professeur Benoît Vallet, directeur général de la santé de 2013 à 2018.

Nous aurons l'occasion de revenir sur les évolutions intervenues au cours de ces différentes périodes et espérons être éclairés par le regard porté par les personnes auditionnées sur la gestion de la crise actuelle.

Je demanderai à nos intervenants de présenter brièvement leur principal message, afin de laisser le maximum de temps aux échanges. Je demanderai à chacun, intervenants, rapporteurs et commissaires, d'être concis dans les questions et les réponses.

Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, vous demander de prêter serment. Je rappelle que tout témoignage mensonger devant une commission d'enquête parlementaire est puni des peines prévues aux articles L. 3131-15 à L. 3131-17 du code pénal.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Didier Houssin, Jean-Yves Grall et Benoît Vallet prêtent serment.

Pr Didier Houssin, directeur général de la santé de 2005 à 2011. - J'ai un lourd passé en termes de politiques publiques face au risque pandémique.

Comme vous l'avez dit, j'ai été directeur général de la santé de 2005 à 2011, mais aussi délégué interministériel à la lutte contre la grippe aviaire durant la même période, fonction qui consistait justement à préparer une pandémie grippale. Depuis 2011, je suis conseiller de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) en matière de sécurité sanitaire face au risque pandémique.

Dans le cadre de l'épidémie de la covid-19, mon rôle a été beaucoup plus circonscrit et s'est limité à trois points notables : tout d'abord, le 19 janvier 2020, le directeur général de l'OMS m'a demandé de présider le comité d'urgence covid-19 ; ensuite, depuis mi-mars, j'assure le secrétariat de la cellule covid-19 de l'Académie nationale de médecine ; enfin, du 9 avril au 5 juin, j'ai rejoint l'équipe de Jean Castex, ancien collègue du ministère de la santé, qui m'a proposé de le conseiller en vue de préparer la stratégie nationale de déconfinement.

Les grandes pandémies de peste, de choléra, de variole, de sida ou de grippe ont scandé l'histoire de l'humanité. À cette liste s'est ajouté cette année un nouveau virus, le coronavirus. Ces grandes pandémies ont quelques caractéristiques communes : dimension internationale, nombre important de décès prématurés, défi des soins préventifs et curatifs, désorganisation des activités humaines, impact économique et social parfois très lourd.

Plus de sept mois après qu'une urgence de santé publique de portée internationale a été déclarée par l'OMS, l'actuelle pandémie ne déroge pas à ces aspects communs : tous les pays sont touchés - 30 millions de cas recensés -, près de 1 million de décès prématurés, ni vaccin ni traitement efficace à ce jour en dehors de la dexaméthasone pour certaines formes sévères de la maladie, un effondrement économique que je ne détaillerai pas.

S'agissant des politiques publiques face aux grandes pandémies, il faut distinguer la réponse et la préparation de la réponse. Lorsque l'OMS a déclaré l'urgence le 30 janvier dernier, les pouvoirs publics de notre pays ont bien été forcés de réagir en concevant, en adoptant et en mettant en oeuvre des politiques publiques de réponse au risque pandémique.

Je n'évoquerai pas la réponse mise en oeuvre, et ce pour trois raisons. Premièrement, le comité d'urgence de l'OMS a pour fonction essentielle de répondre à la question du directeur général : « S'agit-il d'une urgence de santé publique de portée internationale ?» et de formuler des recommandations pour l'OMS et ses 195 États membres. En effet, chaque État reste souverain et mène la politique qu'il entend.

Deuxièmement, le rôle d'expertise de l'Académie nationale de médecine éclaire bien sûr les pouvoirs publics, mais, en France, la politique publique s'appuie avant tout, sur un plan scientifique, sur l'organisme d'expertise en évaluation du risque Santé publique France et sur l'organisme d'expertise en gestion du risque qu'est le Haut Conseil de la santé publique (HCSP).

Troisièmement, mon rôle de conseiller du gouvernement français s'est limité à travailler pour la mission de Jean Castex.

Je me concentrerai sur l'autre aspect de la politique publique en matière de réponse aux grandes pandémies, celui de la préparation.

Entre 2005 et 2009, je me suis trouvé en responsabilité dans un pays qui, sur l'initiative du Président de la République et du gouvernement d'alors, avait décidé de se préparer à une grande pandémie, en l'occurrence celui du virus grippal H5N1. Il est important de rappeler ce qui a été fait alors pour se préparer, parce que toute la question est là.

En tant que directeur général de la santé, j'ai travaillé à la préparation du secteur de santé : création d'un centre opérationnel de régulation des réponses aux urgences sanitaires au ministère de la santé, création de l'Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (Éprus), création d'une réserve sanitaire, constitution d'un stock de masques - 1,7 milliard début 2009 - et de médicaments antiviraux, anticipation de la création de vaccins, suivi de la mise en oeuvre des plans blancs, créés à l'été 2004, pour gérer les afflux de patients à l'hôpital.

Dans le même temps - et c'est peut-être le point le plus important -, en tant que délégué interministériel placé auprès du Premier ministre, j'ai été chargé de coordonner la préparation à cette pandémie grippale avec une petite équipe, un peu à l'image de la mission Castex, toutes proportions gardées : contribution à l'évolution de la planification portée par le Secrétariat général de la défense nationale (SGDN), et à son évaluation par l'Assemblée nationale et au niveau européen, contribution à l'organisation et au suivi de multiples exercices locaux et régionaux thématiques, contribution à l'organisation d'un exercice national annuel dédié à la pandémie permettant de faire évoluer le plan de pandémie grippale entre 2006 et 2009, notamment sous l'angle de la gestion de crise, de l'articulation avec l'expertise scientifique et de la communication de crise, contribution à l'organisation de l'exercice européen Eurogrippe en novembre 2008 lors de la présidence française de l'Union européenne, préparation des plans de continuité d'activité (PCA) en situation de pandémie dans les secteurs public et privé au travers de la mobilisation de différents ministères et des contacts répétés avec les représentants de ces secteurs et, enfin, participation à la création, en 2005 et 2006, d'une industrie de production de masques FFP2 en France. En 2017, j'ai évoqué cette activité de préparation à la pandémie dans un ouvrage dont je vous remets un exemplaire.

Si j'évoque cette politique publique de préparation à une pandémie grippale, c'est qu'elle a ensuite été critiquée puis abandonnée, et que le constat d'impréparation fait en février 2020 est une conséquence de cet enchaînement malheureux. En avril 2009, une pandémie grippale est bien survenue, mais elle ne fut pas exactement celle que l'on attendait : ce fut le virus H1N1 et non H5N1, ce qui a nécessité d'adapter la stratégie vaccinale, face à un virus d'une gravité un peu moins forte que celle que l'on redoutait.

Le résultat de cette pandémie H1N1 est que la préparation au risque pandémique a été critiquée comme ayant été trop dispendieuse. Après 2011, l'ambition d'une préparation interministérielle d'ensemble au risque pandémique a en fait été plus ou moins abandonnée dans notre pays, selon moi pour des raisons à la fois politiques et financières.

Des raisons politiques d'abord, car le gouvernement qui l'avait mise en place entre 2005 et 2011 a été remplacé en 2012 par un autre gouvernement, dont certains membres avaient justement critiqué cette stratégie. Je rappelle que, lors des travaux de la commission d'enquête sénatoriale en 2010 - M. Milon doit s'en souvenir, il en était le rapporteur -, le sénateur Autain, par ailleurs médecin, a ni plus ni moins accusé la ministre Bachelot et moi-même d'avoir été roulés, sinon corrompus par l'industrie des vaccins, soupçonnée d'avoir inventé la pandémie H1N1.

Des raisons financières ensuite, puisque nous en avions trop fait entre 2005 et 2009 : il fallait cesser d'investir dans la préparation. De mon point de vue, la planification interministérielle a été stoppée et l'Éprus a été inclus, pour ne pas dire dissous dans Santé publique France. L'exemple le plus frappant concerne toutefois le stock de masques, qui s'est évaporé au fil des années au point invraisemblable que la France s'est trouvée en situation de pénurie.

Pour conclure, j'espère que l'impact sanitaire, social et économique de la pandémie due à la covid-19 laissera des traces telles que l'on prendra enfin au sérieux, dans la longue durée, la préparation au risque pandémique. Il faut en effet se concentrer sans faiblir sur les risques avérés, douloureusement éprouvés en France depuis des siècles, et qui sont les plus lourds : la guerre et les épidémies.

Sachons trier entre ce qui est prioritaire et ce qui l'est moins. Ne laissons pas des événements intercurrents, même s'ils sont importants et réclament une réponse adaptée, nous détourner des grandes priorités qu'est la préparation aux risques de la guerre et de la pandémie. Pour le risque de guerre, nous avons une armée. Il devrait en être de même pour le risque pandémique.

Je conclurai par quelques suggestions destinées au législateur : il faut une obligation de préparation au risque pandémique, une planification interministérielle régulièrement mise à jour, déclinée, testée et évaluée, une coordination interministérielle pour la mise en oeuvre de cette préparation, des contre-mesures sous la responsabilité de l'État, avec un contrôle parlementaire et une gestion exercée par un Éprus redevenu visible, des stocks de produits et une réserve, un effort européen pour qu'une Europe de la sécurité sanitaire, dont le volet de préparation au risque pandémique serait le pivot, soit créée ou se renforce, une stratégie de recherche et de développement sous le contrôle de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst), et une réelle anticipation de la mise en oeuvre des essais cliniques. J'aurais bien terminé mon propos sur les problèmes de la recherche en France, mais je ne veux pas dépasser mon temps de parole.

Dr Jean-Yves Grall, directeur général de la santé de 2011 à 2013. - J'ai été directeur général de la santé à la suite de Didier Houssin de mai 2011 au 30 septembre 2013. Je venais de l'Agence régionale de santé (ARS) de Lorraine puis j'ai travaillé ensuite à l'Agence régionale de santé de Nord-Pas-de-Calais. Je suis directeur général de l'Agence régionale de santé Auvergne-Rhône-Alpes depuis le 1er novembre 2016.

Mon passage comme directeur général de la santé me permettra d'évoquer deux grands thèmes : tout d'abord, les suites de l'épidémie H1N1, qui m'ont conduit à réaliser un travail sur la doctrine d'utilisation des masques, notamment le rapport du Haut Conseil de la santé publique en novembre 2011, et un travail sur la répartition des stocks stratégiques, tout cela en tenant compte du contexte budgétaire, comme l'a indiqué Didier Houssin, notamment pour l'Éprus.

Le deuxième axe de mon travail a porté sur la sécurité sanitaire : organisation de la réponse de l'État avec, en particulier, une instruction ministérielle du 2 novembre 2011 pour prendre acte de la création des ARS, et une circulaire interministérielle d'août 2013 relative aux modalités de répartition des stocks stratégiques dans le pays entre un stock central et des stocks situés dans les zones de défense avec, entre les deux, le plan de pandémie grippale de novembre 2011 mis en oeuvre à l'époque sous l'égide du Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN).

Depuis mon départ de la direction générale de la santé, je suis donc directeur général d'une ARS. Je répondrai aussi à vos questions en cette qualité pour évoquer la gestion de la crise liée à la covid-19, qui a débuté en Auvergne-Rhône-Alpes le 7 février 2020. À compter de cette date, nous avons bien sûr mis en place un ensemble des dispositions pour la stopper. Aujourd'hui, nous connaissons quelques problèmes en termes d'hospitalisation en réanimation et en hospitalisation générale, qui vont en s'accentuant.

Pourriez-vous préciser la nature de l'instruction ministérielle du 2 novembre 2011 ?

Dr Jean-Yves Grall. - Il s'agit d'une instruction ministérielle de Xavier Bertrand sur l'adaptation de l'organisation territoriale de la santé à la suite de la création des ARS en 2010, en précisant le rôle des uns et des autres, notamment la place des zones de défense et l'inscription des ARS dans le paysage en lieu et place des services de l'État de l'époque.

Pr Benoît Vallet, directeur général de la santé de 2013 à 2018. - Je suis médecin de formation, puisque j'ai été anesthésiste-réanimateur, puis directeur général de la santé (DGS) du 3 octobre 2013 au 8 janvier 2018. Ces fonctions m'ont permis de travailler avec deux ministres de la santé, Marisol Touraine jusqu'au mois de mai 2017, puis Agnès Buzyn jusqu'en janvier 2018.

J'ai vécu la crise de la covid-19 sous deux angles : tout d'abord, j'ai été missionné par Martin Hirsch, le directeur général de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP), pour mener une mission dans le Grand Est les 18 et 19 mars dernier, au moment où la vague épidémique commençait à déferler sur notre pays. Cette mission a contribué à la préparation du système hospitalier parisien et, par extension, le système hospitalier francilien. Ensuite, comme mon collègue Didier Houssin, j'ai rejoint la mission Castex sur le déconfinement du 9 avril au 2 juin pour traiter des questions de doctrine sanitaire. Nous avons eu de nombreux échanges dans ce cadre, et ainsi contribué à l'organisation de l'expertise de l'époque et à la préparation des politiques publiques des différents ministères engagés dans la crise.

En tant que DGS, j'ai vécu de nombreuses crises sanitaires : les crises liées à des maladies infectieuses émergentes, comme le chikungunya, la fièvre hémorragique Ebola en 2014, le virus Zika en 2016, à de nombreux événements saisonniers hivernaux, à des vagues de chaleur, à des actes de terrorisme massifs, notamment en janvier 2015, le 13 novembre 2015 et le 14 juillet 2016 et, enfin, aux cyclones Irma et Maria. J'ai également vécu des crises sanitaires de moins grande envergure comme la crise Lactalis.

Ces épisodes ont toujours occasionné des améliorations du système de prévention et de préparation aux crises, comme Didier Houssin l'a indiqué. À la suite des deux circulaires mentionnées par Jean-Yves Grall sur l'organisation des stocks tactiques et stratégiques et l'organisation de leur distribution, nous avons mis en place le dispositif d'organisation de la réponse du système de santé en situations sanitaires exceptionnelles, dit « Orsan », qui a été lancé dès 2014 sous une forme préliminaire nous permettant de répondre à la crise due à Ebola, et dont l'existence a ensuite été confirmée dans la loi.

D'autres avancées consécutives à ces situations sanitaires, notamment législatives, sont à citer, comme la nouvelle Agence nationale de santé publique et l'intégration en son sein de l'Éprus. S'agissant de l'Éprus justement, une part de mon travail a consisté à élaborer la plateforme de Vitry-le-François et, donc, à organiser le stock stratégique national, et à répartir ce stock sur le territoire grâce à des plateformes zonales dont on parle beaucoup moins. J'ai aussi contribué à organiser le comité d'animation du système d'agences, dont son volet en matière de sécurité sanitaire, et à réformer les vigilances sanitaires, qui avaient été lancées par mon prédécesseur, Jean-Yves Grall.

On le perçoit dans les divers éléments que je viens d'évoquer : la continuité de nos trois contributions à l'État est assez évidente. Les politiques publiques en matière de sécurité sanitaire mettent souvent beaucoup de temps à se concrétiser. On essaie effectivement, à la lueur des crises, d'améliorer les dispositifs de manière tout à fait progressive. Nul doute que de ce que nous aurons vécu avec la crise de la covid-19 émergeront des améliorations, en particulier en matière de santé publique.

Petite précision, je connais bien la plateforme centrale de l'Éprus à Vitry-le-François - c'est mon département -, mais combien d'antennes locales existe-t-il en France ?

Pr Benoît Vallet. - En plus de la plateforme centrale à Vitry, il existe sept plateformes zonales, ainsi que quatre plateformes outre-mer, soit douze plateformes au total. On les mentionne rarement, mais elles ont un rôle très important dans le circuit de distribution.

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