Intervention de Sylvie Vermeillet

Commission d'enquête Évaluation politiques publiques face aux pandémies — Réunion du 17 septembre 2020 à 11:5
Table ronde d'anciens directeurs généraux de la santé

Photo de Sylvie VermeilletSylvie Vermeillet, rapporteure :

Merci à nos trois intervenants. Je remercie plus particulièrement le professeur Houssin pour la clarté et la sincérité de ses propos.

Professeur Vallet, pourriez-vous préciser le niveau du stock de masques à votre arrivée et à votre départ de la DGS ? Pourriez-vous nous expliquer les raisons pour lesquelles le stock a évolué de cette manière ?

Le professeur Houssin a parlé assez longuement de l'importance de la préparation à la réponse. Vous, professeur Vallet, vous venez d'expliquer que vous avez vécu plusieurs crises qui ont, d'après vous, toutes nourri la préparation des crises suivantes. Vous avez également relaté que vous vous étiez penché sur la question de la gestion des stocks, via le système Orsan. Comment expliquez-vous que l'on ait été aussi peu préparé à la crise actuelle ? Malgré des alertes assez précoces, pourquoi a-t-on mis autant de temps à réagir ? Malgré toutes les expériences cumulées, pourquoi avons-nous abordé cette épidémie aussi peu préparés ?

Dernière question, pourquoi n'a-t-on pas été capable, selon vous, de s'inspirer des expériences étrangères pour mieux réagir ? Je pense à la fabrication dans certains pays de masques en tissu, par exemple. Pourquoi n'a-t-on pas été capable de davantage de réactions de bon sens ?

Pr Benoît Vallet. - Madame la rapporteure, au 31 décembre 2013, peu après ma nomination comme DGS, le stock de masques chirurgicaux adultes s'élevait à 616 millions. Au 31 décembre 2017, peu avant la cessation de mes fonctions, le stock atteignait 714 millions de masques. Durant cette période, on observe donc une hausse de près de 100 millions de masques chirurgicaux, dont le bon de commande avait d'ailleurs été signé par mon prédécesseur Jean-Yves Grall, et dont nous avons assuré à la fois le financement et l'approvisionnement sur trois années successives.

À mon arrivée à la direction générale de la santé, le stock de masques pédiatriques était de 113 millions. Personnellement, j'ai passé une commande de 40 millions de masques de ce type, parce que ces derniers peuvent périmer et qu'il fallait compenser la disparition de ceux qu'il fallait détruire.

Le stock de masques qui a le plus diminué est celui des masques FFP2 : pendant cette période, il est passé de 380 millions de masques à zéro.

S'agissant des masques chirurgicaux adultes, le stock était de 796 millions en 2009 contre 714 millions fin 2017. On constate donc une quasi-stabilité du stock national. Notre stratégie a consisté à maintenir ce stock à un niveau important, en nous fondant sur les éléments de langage fournis, à la fois par Xavier Bertrand et Didier Houssin, dans des présentations relatives au plan de pandémie grippale, et sur une expertise beaucoup plus récente que j'ai moi-même commandée, qui a été publiée officiellement en 2019, mais remise au directeur général de la santé un an plus tôt, dont l'objet était de présenter un état des lieux des contre-mesures efficaces en période pandémique. À cette occasion, les experts présents autour du professeur Jean-Paul Stahl ont réaffirmé qu'il fallait continuer à viser un objectif de 1 milliard de masques, chiffre qui a gardé une valeur très forte.

Parmi les 714 millions de masques chirurgicaux adultes, on comptabilisait 616 millions de masques sans date de péremption. Fin 2016, nous avons demandé une expertise sur la qualité de ces masques qui, pour certains, dataient de 2006 - et non de 2000, comme je l'ai entendu -, c'est-à-dire déjà dix ans. Aujourd'hui, il n'est peut-être pas nécessaire d'attendre dix ans de plus : il faut garder à l'esprit que ces masques, même s'ils n'avaient pas de date de péremption, datent pour les plus anciens de 2006. Je précise qu'ils étaient répartis sur différentes plateformes dispersées au niveau national, ce qui a demandé de notre part un effort de restructuration et de recentrage.

Ces masques étaient dits « sans date de péremption » car, à l'époque, les industriels n'indiquaient aucune date, considérant que ces matériels de protection ne se dégradaient pas, à la différence extrêmement significative des masques FFP2, qui comportent un module électrostatique chargé de dévier les aérosols, capable de capter des particules beaucoup plus fines que celles que les masques chirurgicaux classiques sont capables de filtrer - leur capacité de filtrage est de 0,3 à 3 microns. On considérait donc ces masques FFP2 comme des équipements se dégradant très rapidement.

Surtout, à la suite de l'épisode de la grippe H1N1, lors de laquelle plus de 100 millions de ces masques avaient été distribués, mais dont plus de 48 millions avaient été restitués - ce qui démontrait que beaucoup d'entre eux n'avaient pas été utilisés -, on a découvert que les professionnels de santé en étaient mécontents pour des raisons de confort, de chaleur et d'humidité. Il y avait donc mésusage.

C'est la raison pour laquelle le professeur Houssin a saisi le Haut Conseil de la santé publique en 2009. L'avis rendu en 2011 a indiqué de façon très claire qu'il serait utile de changer la manière de considérer l'usage du masque FFP2 et du masque chirurgical en cas de pathologie respiratoire hautement contagieuse - et dans ce type de situation seulement, j'y insiste -, et ce en fonction du type d'acte que les professionnels de santé peuvent effectuer.

Un autre avis du Haut Conseil de la santé publique rendu en mars 2020 reprend exactement les mêmes éléments. Il précise que les masques FFP2, qu'il est plus difficile de porter longtemps, doivent être uniquement utilisés pour des actes invasifs des voies aériennes supérieures ou de la sphère ORL, ce qui conduit à écarter énormément de praticiens et à les réserver, pour faire simple, aux anesthésistes-réanimateurs, qui font de l'intubation et de la ventilation, aux ORL, aux dentistes et aux gastro-entérologues. En réalité, la consommation de masques FFP2 est très faible en temps de paix : la centrale d'achat UniHA l'évalue à 2 à 4 millions de masques par an, ce qui est peu. Si l'on ramène ce chiffre aux 3 000 établissements de santé français - c'est une approximation, je le reconnais bien volontiers -, cela revient à une consommation moyenne de quelques centaines à quelques milliers de masques par an et par établissement.

L'avis du Haut Conseil de la santé publique a causé la redéfinition de l'utilisation des stocks stratégiques et du nombre de masques nécessaires par catégorie pour tenir compte de la dégradation rapide des masques FFP2 et, par ailleurs, des indications retenues pour les masques chirurgicaux anti-projections.

Je viens d'évoquer la définition des règles d'usage pour les professionnels de santé, mais je précise que le stock stratégique national est principalement destiné à la population générale. Les professionnels de santé doivent à la fois pouvoir compter sur des établissements pour les approvisionner en masques, mais aussi s'en constituer un stock selon leurs propres moyens. En juin 2013, mon prédécesseur Jean-Yves Graal a envoyé un message aux ARS et aux responsables de l'évolution des doctrines sanitaires, pour que les établissements soient incités à constituer leurs propres équipements. Au sein de chaque ministère, des réunions de travail ont évidemment eu lieu pour décliner ces propositions.

Pour nous, l'évolution du stock de masques est le fruit d'un héritage et d'une philosophie évolutive. Elle tient aussi compte de considérations financières, comme l'a suggéré Didier Houssin, mais celles-ci ne constituent pas le principal facteur explicatif de l'organisation et de la constitution des stocks stratégiques.

L'évolution des stocks de masques en France ne me semble pas poser de difficulté particulière. À tout le moins, on ne m'a jamais fait part de débats autour de la diminution du stock de masques FFP2 parce que, dans les faits, les établissements constituent leurs propres stocks.

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