C'était donc bien plus qu'une tension, c'était la pénurie !
Pr Benoît Vallet. - C'était une tension permanente, liée au niveau très faible du stock initial.
Oui, et ça s'est transformé en pénurie.
Pr Benoît Vallet. - Je suis d'accord avec Mme la sénatrice pour dire que les besoins en masques très spécifiques comme le FFP2 doivent remonter du terrain. C'est la difficulté de ces masques-là : leur doctrine d'emploi étant devenue très spécifique, les volumes de besoins vont également le devenir. C'est pourquoi nous l'avons laissé en renseignement optionnel pour que les établissements puissent choisir de constituer ou non des stocks. Une information renforcée sur le besoin strict et impérieux de faire des stocks de ces masques aurait peut-être été nécessaire, mais nous avons choisi de le laisser à la main des établissements, au regard des besoins qui sont les leurs.
Au cours des deux premières années de Santé publique France, ses moyens et son périmètre sont demeurés constants. Il n'y a donc pas eu d'effort supplémentaire demandé en matière d'emploi. Mais l'agence a été dotée d'une trajectoire qui correspond à une rigueur sur l'efficience des budgets de ses opérateurs. Certains d'entre eux ont pu utiliser des fonds de roulement qui étaient très conséquents. C'est le cas de l'Éprus qui a utilisé un fonds de roulement qui lui venait d'une période où il était beaucoup financé. Ensuite, un effort de rationalisation a été entrepris, car plusieurs départements identiques ont été mis en commun, que ce soit les ressources humaines, la comptabilité et le budget, les systèmes d'information, etc.
À partir du déconfinement, avec Didier Houssin, nous avons fait beaucoup de benchmark, en analysant les retours d'expérience de Corée du Sud, de Taiwan, de Singapour et de Hong Kong, qui ont mis en oeuvre des stratégies assez différentes de la nôtre, avec des résultats extrêmement intéressants. Certains n'ont pas décrété de confinement généralisé, ne fermant que les écoles, mais ils avaient une culture du masque extrêmement différente de la nôtre et ont mis en place une stratégie d'implémentation industrielle des tests extrêmement vigoureuse.
Et une réactivité !
Dr Jean-Yves Grall. - Au-delà des masques, les surblouses ont également été un vrai problème dans les établissements de santé. Pendant trois semaines, voire un mois, jusqu'au 19-20 mars, la situation a été extrêmement compliquée. Ce n'est qu'ensuite que nous avons retrouvé une certaine maîtrise sur les arrivées dans les groupements hospitaliers de territoire. Il y a alors eu une montée en puissance qui a amélioré les choses sur le terrain.
Nous devons clarifier la doctrine sur ce qui revient à l'employeur et ce qui relève des stocks d'État et comment ces derniers sont mobilisés.
Nous devons aussi revisiter la circulaire d'août 2013 sur la répartition des stocks nationaux et leurs modalités de distribution sur le territoire. Comme nous ne sommes pas régulièrement confrontés à une crise, notre réactivité sur ces dispositifs s'est affaissée. Il faut remettre de la clarté.
Il y a certes eu de la tension jusqu'au 20 mars, mais n'oubliez pas que la crise dans le Grand Est a commencé bien avant ! Puis ce fut l'Île-de-France. Ce décalage fait que l'on peut avoir un ressenti différent.
Pr Didier Houssin. - Je partage le point de vue de Benoît Vallet sur l'Asie. Dans cette zone, des événements - le SRAS en 2003, la grippe aviaire dans tout le Sud-Est asiatique et le MERS-CoV qui a menacé la Corée en 2012 - ont sensibilisé beaucoup plus que chez nous.
La clé de répartition du financement des agences est de deux tiers pour l'assurance maladie et d'un tiers pour l'État. Cette situation est ambiguë et peut être source de problèmes, en particulier pour l'Éprus, Santé publique France ou l'agence du médicament. Il faut sécuriser le financement de ces structures.
Le coronavirus a eu un impact important en termes de santé mentale, même si cet impact est encore difficile à mesurer aujourd'hui. Nous aurons probablement de mauvaises surprises. Le confinement, la peur, le chômage ont des conséquences psychiques.
Pr Benoît Vallet. - Nous avons toujours associé une prise en charge psychologique aux prises en charge de victimes. Ce fut le cas à Paris, lors des attentats de 2015. Nous avons mis en place une cellule d'urgence médico-psychologique (CUMP) lors d'Irma et de Maria, également accessible aux soignants. Car nous savons qu'une prise en charge immédiate diminue les conséquences à long terme. Cela fait partie de la logique d'accompagnement de ces événements exceptionnels.
Je vous remercie.