Intervention de Gérald Darmanin

Commission d'enquête Évaluation politiques publiques face aux pandémies — Réunion du 17 septembre 2020 à 11:5
Audition de M. Gérald daRmanin ministre de l'intérieur

Gérald Darmanin, ministre :

C'est conscient de votre pouvoir d'audition que je me réponds à votre convocation. Mais vous avez devant vous un ministre de l'intérieur qui n'est en fonctions que depuis le 6 juillet et qui ne peut répondre que des actes qu'il a commis, même s'il peut être éclairé par ses directions et par l'histoire du ministère de l'intérieur en matière de gestion de crise sur le travail accompli.

Vous le savez, la crise que nous connaissons est à la fois exceptionnelle et inédite par son ampleur. Elle n'a épargné aucun territoire. Sa durée est exceptionnellement longue. C'est une crise sanitaire au cours de laquelle le ministère de l'intérieur a beaucoup innové. Ce ministère est un ministère de gestion de crise, notamment par l'intermédiaire du corps préfectoral. Il a dû appliquer un certain nombre de dispositions décidées par le Parlement, singulièrement lorsque les policiers et les gendarmes ont dû verbaliser. Ce ministère est également intervenu, grâce aux agents de la sécurité civile, pour contribuer à dispenser les bons soins au moment de la propagation de l'épidémie.

Quelques chiffres témoignent de l'ampleur de cette crise : plus de 29 millions de cas dans le monde et 404 888 cas confirmés en France. Au 14 septembre, le nombre de décès était de 31 045. C'est donc une crise globale que le Gouvernement, et singulièrement le ministère de l'intérieur, ont dû affronter.

Dans mes fonctions précédentes, je n'ai pas eu à gérer la crise autrement qu'économiquement, avec Bruno Le Maire, dans le soutien à l'activité économique. Mais bien entendu, le ministère de l'intérieur a contribué, sous l'autorité du Premier ministre, au travail interministériel. Je tiens à souligner que, depuis son émergence, la gestion de cette crise a été véritablement interministérielle. L'organisation du ministère de l'intérieur a été pleinement mobilisée dans cette optique. Cette dimension interministérielle s'est incarnée, dès le lendemain du confinement, dans le centre interministériel de crise (CIC) que les Français ont vu à la télévision, qui vise à apporter une réponse nationale unifiée et qui a coordonné l'ensemble de l'action des ministères. Qu'il s'agisse de la santé, des transports, de l'économie, de l'agriculture, de l'outre-mer, et bien évidemment de la sécurité, ces ministères se sont réunis quotidiennement, à l'occasion de réunions thématiques interministérielles, notamment au début de la crise. Parallèlement, la cellule situations du CIC accueille les officiers de liaison des ministères, afin d'établir des points de situation quotidiens, de préparer et d'éclairer les décisions des autorités politiques.

L'objectif premier de cette gestion interministérielle a été clair : la mobilisation totale de tous les services de l'État, au niveau central comme au niveau déconcentré, sans interruption depuis janvier, soit plus de neuf mois d'action continue. C'est une durée sans équivalent dans l'histoire de la gestion de crise du ministère de l'intérieur. Mais l'État s'est montré résilient et a su répondre aux défis nombreux et originaux qui ont été les siens. Le CIC, dont la création a coïncidé avec le déconfinement dans le prolongement des travaux menés par le délégué interministériel à la stratégie du déconfinement, a permis de gérer la crise dans sa durée et il continue à le faire dans une difficulté accrue tant la crise est longue et les éléments d'information différents de semaine en semaine.

Au sein de cette organisation interministérielle, le ministère de l'intérieur a bien évidemment joué un rôle pivot dans la gestion de crise, conformément à la tradition qui veut que ce soit lui qui gère et coordonne les crises que nous avons pu connaître. Il est en effet responsable de l'anticipation et du suivi des crises : il est chargé de la conduite opérationnelle des crises sur le territoire de la République en application de l'article L. 1142-2 code de la défense. Il doit également, au titre de la préparation de la gestion de crise, s'assurer de la transposition et de l'application au niveau déconcentré, notamment par l'intermédiaire du corps préfectoral, des plans gouvernementaux.

Dans le cadre de cette crise, le ministère de l'intérieur a mobilisé trois niveaux. D'abord le niveau central : il a, par exemple, organisé, au début de la crise, le retour sur le territoire national des Français de Wuhan, en liaison avec le ministère des affaires étrangères et celui de la santé ; il a aussi armé à titre principal avec ses personnels - la majorité des postes du CIC, tout en veillant au maintien en condition opérationnelle de cet organe. Au niveau opérationnel, les forces de l'ordre ont la charge du contrôle du respect des règles sanitaires - notamment le port du masque -, avec plus de 45 000 verbalisations depuis début mai, mais elles doivent également assurer la sécurité de nos concitoyens dans un contexte de grande tension : les sapeurs-pompiers par exemple, au travers de l'activité des services départementaux d'incendie et de secours (SDIS) et des moyens nationaux de la direction générale de la sécurité civile ont été pleinement mobilisés : parmi plus de 123 000 interventions liées au covid, on compte 326 prises en charge par les hélicoptères de la sécurité civile pour l'évacuation sanitaire de plus de 182 personnes. Sans oublier l'action des associations agréées de sécurité civile. Enfin, au niveau territorial, les préfets et les sous-préfets ont été au rendez-vous, en lien avec les acteurs économiques, mais aussi les conseils départementaux et les maires. La gestion de cette crise a reposé, et repose encore, sur le couple préfet-maire ; les maires constituant en effet, depuis le début, des partenaires essentiels et incontournables, dont le travail a été renforcé par celui des présidents de conseils départementaux et régionaux.

Cette crise sans précédent doit nous conduire à nous interroger - c'est la réflexion que j'ai souhaité engager devant le corps préfectoral dès mon arrivée au ministère de l'intérieur - sur les perspectives d'évolution des gestions de crise dans notre pays. Même si le retour d'expérience n'est pas encore tout à fait total - puisque le ministère de l'intérieur, comme tout le Gouvernement, est encore mobilisé sur la gestion de la crise du coronavirus -, nous devons nous interroger ensemble sur les leçons de cette crise inédite.

Sans me livrer à cet exercice aujourd'hui - parce qu'il est bien trop tôt pour le faire et que je n'ai pas assez de remontées -, je voudrais vous faire partager quelques pistes de réflexion.

D'abord, cette crise met en exergue la multiplication des crises dans notre société. Leur ampleur, leur caractère polymorphe et leurs conséquences sur notre organisation doivent nous permettre d'anticiper les prochaines crises, qu'elles soient sanitaires ou autres. Il me semble que c'est bien à Beauvau que peut être le centre de réflexion pour les mois et les années à venir. Nous devons aussi réfléchir aux moyens de renforcer notre organisation et de l'adapter à des crises globales et durables. C'est un axe stratégique majeur de la feuille de route du ministère de l'intérieur que j'ai proposée au Premier ministre.

Plusieurs pistes peuvent être évoquées.

La gestion territorialisée de la crise me semble être le seul modèle pertinent pour adapter la réponse de l'État aux réalités du terrain et singulièrement à l'échelon départemental. À cet égard, les prérogatives du couple préfet de département-élu local pourraient être davantage consolidées en s'inspirant des retours d'expérience de la crise du coronavirus. Il s'agit également d'affermir le rôle central de la cellule interministérielle qui est placée à Beauvau en renforçant nos outils d'anticipation et de planification, en intégrant davantage les dimensions technologiques et en confortant le ministère de l'intérieur comme le ministère de la gestion de crise. Enfin, il s'agit de consolider l'offre de service du ministère pour l'ensemble de l'État pour le compte du Premier ministre, qu'il s'agisse de l'aide aux victimes, de leur information, de la logistique de crise, de la fourniture d'équipements de protection à la population. Le ministère de l'intérieur doit renforcer ses instruments, notamment à destination des autres ministères. C'est ce qu'il a fait, à l'exception de l'éducation nationale et de la santé : il a été le ministère qui a fourni notamment les masques et un certain nombre d'éléments dont l'État avait besoin au début de la crise sanitaire.

Veuillez par avance m'excuser si je frustre un peu votre commission en ne répondant pas forcément à toutes les questions, notamment sur le déroulement de la crise avant mon arrivée. Mais je suis certain que je vais pouvoir apporter, avec les directeurs qui m'accompagnent, ces réponses et nous sommes bien évidemment à votre disposition pour toute information complémentaire.

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