Intervention de Bruno Sportisse

Commission d'enquête Évaluation politiques publiques face aux pandémies — Réunion du 22 septembre 2020 à 10h35
Table ronde sur les aspects numériques

Bruno Sportisse, président-directeur général de l'Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique (Inria) :

Dès le 20 mars, de nombreuses équipes de l'Inria se sont engagées auprès d'établissements hospitaliers, que ce soit de manière spontanée ou bien à la demande de la direction, afin d'exploiter davantage les outils numériques pour gérer la crise. Nous avons alors mis en place une mission Inria Covid-19 pour soutenir ces projets d'ingénierie numérique de court terme. Plus de trente-cinq projets ont été engagés dans ce cadre, sur la base d'un autofinancement de l'institut, et je tiens à saluer l'engagement exceptionnel de tous les chercheurs, ingénieurs et fonctions d'appui qui ont répondu présents.

À la fin du mois de mars, nous nous sommes impliqués aux côtés de l'Allemagne dans un consortium européen de recherche et développement, en vue d'étudier les possibilités d'une application mobile d'exposition aux risques.

Le 8 avril, le Premier ministre a précisé la mission confiée à l'Inria, sous la supervision du secrétariat d'État au numérique, afin de mettre en place un consortium public-privé pour développer une telle application, d'abord sous la forme d'un prototype, en amont de toute décision politique de déploiement éventuel.

Au sein du consortium, avec nos partenaires allemands, nous avions recommandé une certaine classe de systèmes pour développer des applications dites centralisées, afin de pouvoir répondre à trois exigences : le respect de la vie privée et des données de santé, la cybersécurité, et, enfin, la maîtrise pleine et entière du système par l'autorité de santé, qu'il s'agisse des paramètres de l'application, de son développement ou bien de son impact. De notre point de vue, la solution développée par Apple et Google ne répondait pas à ces trois exigences, ce qui ne nous a pas empêchés de mener plusieurs cycles de discussions avec les propriétaires des systèmes d'exploitation concernés.

Le 18 avril, nous avons dévoilé la première version du protocole de transmission des données Robert - ROBust and privacy presERving proximity Tracing - développé conjointement par une équipe française de l'Inria et une équipe allemande de la Fraunhofer- Gesellschaft, pour répondre aux trois exigences fixées.

Le 26 avril, nous avons rendu public un consortium public-privé construit en moins de deux semaines pour développer le prototype d'un système fondé sur ce protocole. Aux côtés de l'Inria et d'autres acteurs publics comme l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), Santé publique France ou l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (Anssi), cinq entreprises privées - Capgemini, Dassault Systèmes, Lunabee Studio, Orange et Withings - se sont engagées, via un cadre contractuel simplifié, pour développer pro bono publico un prototype. Le développement de ce système n'a donné lieu à aucun financement spécifique, ni pour les acteurs publics ni pour les acteurs privés. Plus de 150 personnes se sont mobilisées pour le développement de cette application, sans compter le concours des forces armées et de la RATP pour des campagnes de tests. Le coût total de ce développement est estimé à 2,5 millions d'euros.

Le 9 mai, nous avons dévoilé le protocole Désiré, évolution du protocole Robert, destiné à proposer pour l'interopérabilité au niveau européen une solution alternative au standard de fait développé par Apple et Google. Une preuve de concept de ce protocole a été développée, que nous avons présentée à nos partenaires européens au début du mois de juillet, dans le cadre du réseau eHealth-Network, groupe d'experts sur le numérique et la santé placé sous l'égide de l'Union européenne. Toujours dans l'idée de développer une solution européenne souveraine, nous avons lancé à la mi-mai une action de standardisation, portée notamment par l'action d'Orange au sein de l'Institut de standardisation des télécommunications européen.

En parallèle d'un cycle de développement extrêmement court - moins de 6 semaines - nous avons mené plusieurs phases de tests, dont certains sur le terrain, avec trois jours de campagne sur le site de l'Inria, à la fin du mois de mai, pour lesquels nous avons bénéficié du concours des forces armées. Nous avons également mené une soirée de campagne dans des rames de la RATP.

Le 2 juin, après décision politique, la première version de StopCovid a été déployée de manière opérationnelle. Y parvenir en moins de six semaines est un exploit inédit dans le monde numérique et je tiens à rendre hommage à l'engagement exceptionnel de toutes les personnes impliquées dans le projet. Mon seul regret est de ne pas avoir réussi à instaurer un dialogue serein, qui aurait permis à la société de sortir de la naïveté et des fantasmes sur le numérique. Notre responsabilité d'institut de recherche sera à l'avenir de porter des actions majeures en ce sens.

Un accord-cadre passé le 2 juin avec la Direction générale de la santé (DGS) a prévu que l'Inria pourrait agir comme assistant à maîtrise d'oeuvre dans la mise en exploitation de l'application StopCovid.

À ma connaissance, la France est le seul pays européen à avoir mené de bout en bout un projet de R&D de ce type, et il est essentiel qu'elle puisse continuer à la faire. C'est un gage d'autonomie stratégique dans la gestion de pandémies futures. Les retours d'expérience permettent d'améliorer le système qui reste pleinement sous contrôle de notre société démocratique, comme l'ont montré les interventions de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL). Il est également maîtrisé par notre autorité de santé. Rappelons combien le secteur des données de santé est sensible à l'heure où plusieurs grands acteurs technologiques se lancent dans une activité d'assurance santé.

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