Cette audition intervient à un moment particulier puisque je ne suis plus ministre de l'intérieur, mais député des Alpes-de-Haute-Provence, et que je ne pourrai répondre qu'avec mes moyens actuels, sans pouvoir mobiliser les services du ministère. Nous serons peut-être amenés à les solliciter en parallèle, les uns et les autres, si plus de précisions vous apparaissaient nécessaires.
Depuis le début de l'épidémie de covid-19, le Gouvernement a agi en prenant des décisions fortes, guidé par l'avis des médecins et des experts, avec un seul et unique objectif : préserver la santé des Français et donc notre système de soins.
La réponse de l'État face à l'urgence sanitaire a été coordonnée et ferme, selon les orientations fixées par le Président de la République, en particulier lors des conseils de défense et de sécurité nationale, à la lumière des recommandations du conseil scientifique placé auprès du chef de l'État.
Sous l'autorité unique du Premier ministre, cette réponse reposait sur trois piliers : le centre de crise du ministère des solidarités et de la santé, en charge du pilotage de la réponse sanitaire à la crise ; le centre de crise du ministère des affaires étrangères, chargé notamment du lien avec les Français de l'étranger ; la cellule interministérielle de crise (CIC), au service des décisions du Premier ministre et sous sa seule autorité, même si elle est placée au sein du ministère de l'intérieur. Cette cellule rassemble, au cours de ses différentes réunions quotidiennes, tous les ministères concernés. Pour le volet non sanitaire de la gestion de crise, les décisions sont préparées au sein de la CIC et les arbitrages sont rendus par le directeur de cabinet du Premier ministre. La CIC en assure la transmission aux administrations concernées, notamment aux préfets qui sont, dans chaque département, chargés de coordonner notre action.
J'assurais, pour ma part, le lien avec les préfets au sein de la CIC, dès son installation le 17 mars dernier, lors d'une réunion quasi quotidienne, en les informant des décisions prises et en recueillant leurs observations afin de mieux appréhender les problèmes du territoire. Nous avons agi de façon empirique et adaptée au fur et à mesure de nos perceptions et de la capacité à mettre en oeuvre nos décisions. Nous avons su nous adapter, dans un dialogue permanent entre la CIC, les préfets et les collectivités locales.
Il était essentiel de construire une démarche pro-active afin que les mesures prises soient applicables et appliquées et, si nécessaire, que nous puissions les corriger pour tenir compte de circonstances propres, au plus près de nos concitoyens.
La CIC a compté jusqu'à 72 agents issus de dix ministères différents. Elle est organisée en différentes cellules - situation, anticipation, logistique, communication et décision - auxquelles a été ajoutée une cellule dite thématique interministérielle, créée dès la première semaine de confinement afin de trancher quotidiennement des questions complexes relevant de plusieurs ministères. Ce système a déjà fait ses preuves à l'occasion des attentats de 2015 ou des graves intempéries à Saint-Martin et Saint-Barthélemy.
La CIC a déployé un certain nombre d'outils pour mieux aborder la crise sanitaire, comme une plateforme pour les acteurs étatiques, mais aussi, pour assurer le contrôle parlementaire de l'état d'urgence, une communication numérique de l'ensemble des décisions aux présidents du Sénat et de l'Assemblée nationale. J'ai également veillé au dialogue constant entre les préfets et les parlementaires sur les territoires, pour donner le maximum d'informations et adapter nos décisions.
Cette crise a bouleversé nos quotidiens et demandé une réponse forte et coordonnée de l'État et des collectivités territoriales. Dès les premières heures de la crise sanitaire, j'ai souhaité que les collectivités, les maires en particulier, soit associées à notre travail. Grâce aux réunions quotidiennes avec les préfets de région, j'étais en contact régulier avec les élus locaux, dont j'ai pu mesurer l'inquiétude, les attentes, mais aussi la mobilisation totale pendant toute cette période.
L'état d'urgence sanitaire a habilité essentiellement le Premier ministre et le ministre de la santé et, sur le plan local, les préfets à prendre les mesures utiles face à l'urgence sanitaire. Pour autant, les autorités investies des pouvoirs de police générale - les maires - pouvaient les compléter. Ainsi, des arrêtés ont été pris, tels que des couvre-feux ou des interdictions d'accès, par exemple à la Promenade des Anglais à Nice ou aux berges de la Seine à Paris. D'autres décisions ont concerné des ouvertures dérogatoires de marchés, pour lesquelles j'avais demandé aux préfets de veiller à tenir compte de l'avis des maires, ou la gestion des cimetières.
J'ai fait ce choix, et je le revendique, de demander aux préfets d'accompagner les maires dans leurs démarches, car c'est bien au niveau local que l'on connaît le mieux les risques. C'est une conviction personnelle, pour moi qui ai été maire d'une petite sous-préfecture des Alpes-de-Haute-Provence pendant seize ans. Cette relation entre préfets et maires, particulièrement intense et efficace lors de la période de confinement, a été au moins aussi importante pour réussir le déconfinement. Celui-ci obéissait à une stratégie claire de réouverture progressive, prudente et vigilante du pays, avec l'objectif de retrouver la vie la plus normale possible tout en prenant notre temps pour être certain que la circulation du virus ne puisse pas reprendre. Nous avons adopté une stratégie territorialisée qui a fait ses preuves, en ajustant les mesures prises et la vitesse du déconfinement en fonction des indicateurs dont nous disposions.
Dès le 6 mai, le Premier ministre a demandé par circulaire aux préfets et aux directeurs généraux des agences régionales de santé (ARS) de s'appuyer systématiquement sur les élus locaux. Des comités locaux de levée de confinement ont été créés pour réunir, selon les sujets, l'État, les collectivités locales, les acteurs économiques ou les acteurs sociaux. J'ai également veillé à ce que les parlementaires soient tenus informés régulièrement par les préfets et je me suis assuré que ces derniers n'oublient pas cette instruction.
Nous avons aussi fait évoluer le cadre réglementaire de l'état d'urgence sanitaire et voulu que les préfets continuent à travailler étroitement avec les collectivités locales, pour toutes les questions locales, telles que la réouverture des plages, des lacs ou des bases nautiques à la demande des maires, quand un certain nombre de règles pouvaient être respectées. C'est après avis du maire que les préfets ont pu autoriser l'ouverture de certains musées, monuments, zoos, ou interdire l'ouverture de certains marchés ou centres commerciaux de plus de 40 000 mètres carrés.
Pendant le déconfinement, l'action du ministère de l'intérieur s'est concentrée sur le bon respect des mesures décidées, par exemple la limitation des déplacements de plus de 100 kilomètres, la coordination de l'action des différents services de l'État, par exemple la logistique de l'arrivée des masques, et enfin l'organisation des élections municipales.
La CIC a évolué dans sa forme, déménagé dans de nouveaux locaux, toujours au sein du ministère de l'intérieur, conservant sa vocation d'instance de décision rassemblant des représentants de tous les ministères au meilleur niveau, sans toutefois la même intensité qu'avant et pendant le confinement.
J'ai continué mes échanges extrêmement réguliers avec les préfets de région et de département afin d'assurer un pilotage toujours au plus près du terrain.
Permettez-moi, pour conclure, de revenir sur l'action des forces de sécurité intérieure pendant cette crise. Pour faire respecter la règle du confinement, nous avons déployé 100 000 policiers et gendarmes partout sur le territoire pour contrôler et verbaliser les contrevenants. Ces contrôles ont été déployés partout sans aucune exception. Cette mission s'est ajoutée à la lutte contre la délinquance et le terrorisme, qui n'a pas connu de pause. L'attentat terroriste du 4 avril à Romans-sur-Isère nous le rappelle. Je voudrais dire une nouvelle fois toute mon admiration à l'égard de l'engagement constant des forces de l'ordre.
Pendant cette période, leur temps de travail a été réorganisé pour garantir la permanence pour certains chefs de pôle et la capacité d'intervenir en cas d'épidémie, mais aussi pour couvrir l'intégralité du territoire vingt-quatre heures sur vingt-quatre.