Mon opinion personnelle est que le lien entre préfet de région et ARS est globalement fluide, même si de petites tensions peuvent être liées aux personnalités. La fluidité est presque naturelle entre ARS et préfet de région, car ils vivent dans la même ville et représentent des administrations majeures, avec l'habitude de travailler ensemble. Entre les préfets de département et les ARS, c'est beaucoup plus compliqué, car le niveau d'organisation des ARS est très régionalisé. En outre, les moyens des ARS dans les départements sont assez faibles. Il n'y a pas de culture du dialogue constant entre préfet de département et ARS. L'hétérogénéité est aussi liée aux personnes. Effectivement, aucun n'a d'autorité sur l'autre, et donc personne qui peut décider d'appuyer sur le bouton, sans que nul ne résiste à l'instruction donnée.
Avec Olivier Véran, nous avons veillé à réunir très régulièrement les préfets et les ARS. J'ai eu face à moi des fonctionnaires ayant le sens de l'État et la volonté de bien faire, mais des cultures et des organisations spatiales très différentes. L'organisation de la préfectorale au sens large a été magistrale dans la mise en oeuvre des décisions, même s'il y a eu des erreurs, des fautes, voire des maladresses. Elle a un savoir-faire et une expertise. Je le dis d'autant plus que depuis une dizaine d'années, les préfectures ont perdu beaucoup d'effectifs chaque année. Je ne reviendrai pas sur le choix de régionaliser, plutôt que de départementaliser - Édouard Philippe avait souhaité renforcer la proximité. Ce n'est pas ici au Sénat que je tenterai de convaincre de l'utilité de renforcer les préfectures de département. Il y aurait une fragilité à continuer cet affaiblissement des effectifs de personnel.
La protection des forces de l'ordre est un sujet compliqué. En préparant cette audition, j'ai relu un article de Libération selon lequel, en pleine pénurie, je promettais 900 000 masques aux forces de l'ordre, faisant le choix de privilégier les contrôles au détriment des soignants. Les arbitrages sont toujours compliqués. Ce que je sais, c'est que le ministère de l'intérieur a tenté de faire au mieux.
Quelque 810 000 masques issus du stock ministériel ont été distribués du 14 au 23 mars, auxquels se sont ajoutés plus de 300 000 masques au 26 mars. Nous avons veillé à ce que chaque lieu susceptible d'accueillir une personne présentant des risques de covid-19 dispose d'équipements. Les 3 et 4 avril, nous avons reçu 2,5 millions de masques de Chine et le 9 avril nous en avons ventilé 1,4 million supplémentaires. Au 26 avril, quelque 14 millions de masques avaient été distribués.
Il y a eu des désaccords. La plupart des syndicats de police voulaient la liberté de s'équiper ou non. Ce n'était pas conforme à la doctrine nationale. Nous avons organisé plusieurs rencontres, dont une avec le professeur Salomon.
Un sujet a été sensible : nous détenions un stock de 1,460 million de masques de type FFP2 que nous détenions dans différents lieux. J'ai fait le choix d'appliquer la doctrine d'État selon laquelle ces masques étaient réservés au personnel soignant et intervenant dans les hôpitaux. Alors que l'approvisionnement était en tension, je les ai fournis aux ARS et aux hôpitaux. La gendarmerie, qui en détenait 1,2 million, a exécuté mon ordre. Cela a été plus compliqué pour les 100 000 masques détenus par la police. Les quelque 200 000 restants relevaient de l'administration préfectorale.
En parallèle, nous avons multiplié les commandes de masques et de paires de lunettes de protection - quelque 61 000 paires ont été commandées dès le mois de mars, puis 81 000 paires supplémentaires au mois d'avril. Nous avons aussi commandé des visières. Dans la pénurie mondiale que nous connaissions, nous avons fait le choix de recevoir le plus largement possible tous les moyens de protection dont nous pouvions disposer. Au mois de mai, nous étions à 40 millions de masques distribués.
Nous avons aussi diffusé les recommandations de gestes barrière et réorganisé le travail tant dans la gendarmerie que dans la police. Ainsi, les policiers étaient présents une semaine sur deux, afin de réduire le risque de maladie. De mémoire, nous n'avons eu à déplorer aucun décès de policier ni de gendarme de la covid-19 directement imputable à un contact public lors d'un contrôle.
Alors non, nous n'avons pas eu assez de masques, mais la pénurie était mondiale. Je rappelle qu'au début du phénomène la France a envoyé des masques en Chine.
Nous avons réalisé des contrôles partout avec les moyens dont nous disposions. Dès le mardi 17 mars, des contrôles sans contravention ont été menés sur tout le territoire national, y compris dans les quartiers les plus difficiles. Le taux de contrôle en Seine-Saint-Denis a été supérieur à celui d'autres départements. Oui, le dispositif était perfectible. Mais nous avons réussi, car les Français ont été les premiers acteurs du confinement. Volontairement, ils sont entrés dans cette logique, car ils avaient conscience de son importance. S'ils avaient décidé de s'en affranchir, malgré toute notre volonté et toutes nos forces, nous n'aurions pas pu atteindre l'objectif. Au fur et à mesure, certains ont levé le pied.
J'en viens à la CIC. Le ministère de l'intérieur s'actionne quand on l'actionne. Il n'a pas lui-même la capacité de mettre en place la CIC, qui est placée sous l'autorité du Premier ministre. J'avais mis en place, dès début mars, une cellule nationale de suivi, qui ne s'appelait pas CIC, qui est ensuite montée en puissance. Je n'ai pas eu le sentiment de dysfonctionnements, ni que des instructions se soient perdues entre Ségur et Beauvau. Le Président de la République nous a dit d'être attentifs à éviter ce qui s'était passé en Espagne et en Italie sur la gestion des décès et nous avons agi au sein de cette cellule.
Objectivement, je ne suis pas capable de vous dire si nous aurions été plus efficaces avec le déclenchement de la CIC. Oui, nous avons loupé des choses. Mais il est toujours facile de le dire a posteriori. Je peux vous donner les chiffres gagnants du Loto après le tirage. C'est bien plus difficile avant.