Le Sénat a ses règles, ses codes, son ambiance plus feutrée que celle de l’Assemblée nationale. Loin des turbulences du Palais-Bourbon, souvent soumis aux soubresauts de l’actualité, la Haute Assemblée reste pour moi un espace de stabilité dans nos institutions. Mais le Sénat ne vit pas moins intensément le débat, il fabrique la loi de façon plus subtile et plus réaliste. Nous sommes des parlementaires avant tout, dans un régime qui l’est de moins en moins, malgré l’article 24 de la Constitution.
Mes collègues le savent, je suis un partisan acharné du dialogue constructif, de la co-construction des lois avec le Gouvernement, mais surtout avec l’Assemblée nationale, avec des députés qui ne comprennent pas toujours que ce qui leur reste de pouvoir se trouve là, dans le dialogue avec nous. C’est une manière de rendre le bicamérisme vivant et notre pouvoir de contrôle plus efficace.
Néanmoins, co-construction ne veut pas dire consensus mou. Quel dommage, d’ailleurs, d’affubler si souvent ce mot de cet adjectif ! Je suis pour un consensus « d’action », qui demande beaucoup d’efforts et de courage, « le courage de la nuance », comme disait Albert Camus. Il y a d’ailleurs une somme de talents, de compétences et d’expériences dans notre assemblée qui peut apporter beaucoup à la fabrication des lois.
Le rôle du Sénat est plus que jamais, en tant qu’assemblée des territoires, de fédérer les énergies qui en émanent, et vous l’incarnez parfaitement, cher Gérard Larcher.
Mes chers collègues, en tant que sénateurs, notre position et notre histoire personnelle d’élu local, régional ou départemental – de maire souvent – le permettent, l’autorisent, l’exigent même, et nous ne devons pas laisser « l’archipel français » qu’évoque Jérôme Fourquet exploser avec violence sans tenter de relever les défis de notre temps : défis économiques et sociaux, enjeux sociétaux, culturels et environnementaux, qui s’empilent déjà sur la table du haut-commissaire au plan, mon ami François Bayrou.
Parmi ceux-ci, l’éducation et la formation tout au long de la vie sont les clés de notre avenir. J’ai pour ma part toujours pensé, avec le pédagogue Antoine de La Garanderie, que « tous les enfants peuvent réussir » et qu’ils représentent une richesse pour notre pays, dont la démographie fait la force. Un traumatisme comme le chômage devrait être à terme obsolète. La formation et l’adaptation aux nouveaux métiers devraient être considérées comme des activités indemnisées, et le revenu de base comme la solution universelle qui apporte une sécurité à chacun dès sa naissance.
Dans le même temps, il convient d’agir avec un maximum de vigueur sur le terrain des inégalités et de la pauvreté, terreau des chantres de la démagogie et de la terre brûlée.
Nombre de nos concitoyens, se sentant abandonnés, ont déserté les urnes. Ils ont trouvé sur les ronds-points, avec les « gilets jaunes », un moyen de se rendre visibles, un moyen de se faire entendre. Notre système de représentation a sans doute fait son temps. Il doit évoluer. Le référendum permettrait certes de consulter le peuple sur des sujets cruciaux ; il est une réponse, mais pas la seule. Le scrutin proportionnel offre également une piste à envisager sérieusement.
Un autre enjeu essentiel est la santé. La covid-19 est là pour nous le rappeler : la santé est un bien précieux, que nous avons tous peur de perdre.
Notre système est enviable et envié, mais il présente des lacunes que le Ségur tente de corriger en ce qui concerne la gouvernance, l’accès aux soins et la reconnaissance des personnels soignants. Son financement est problématique, car il est trop lié au travail, et le contrôle des dépenses et prestations n’est pas satisfaisant, avec des actes inutiles ou redondants, ainsi que des fraudes aux prestations et aux cotisations. Ce sont des milliards d’euros qu’il nous faut récupérer afin de financer l’autonomie des personnes âgées et handicapées, sans oublier la lutte contre les maladies chroniques de nos sociétés modernes ou les prochains virus qui nous guettent.
À la liste évoquée précédemment, nous devons ajouter un enjeu capital, l’emploi et sa relocalisation, ainsi que le partage des richesses et des responsabilités. C’est la « troisième voie », plus nécessaire que jamais, que le général de Gaulle appelait de ses vœux, pour que chaque homme trouve « sa place dans la société, sa part et sa dignité ».
Enfin, le défi climatique et écologique est immense. Je l’ai compris il y a bien longtemps, grâce aux propos prémonitoires de Jean-Marie Pelt, professeur de biologie végétale, inspirateur de nombre d’écologistes aujourd’hui. Il écrivait déjà, en 1977, dans L ’ Homme renaturé : « La situation est sans précédent. Quand donc, avant nous, l’humanité avait-elle accumulé assez de pouvoir et de savoir pour anéantir toute vie sur la Terre et se détruire elle-même ? »
On a vu la difficulté à mobiliser l’ensemble de la planète sur ce sujet. C’est donc à l’Europe de relever ce défi essentiel. Grâce à l’action conjointe de la chancelière Merkel et du président Macron, l’Union européenne a pris un tournant fédéral décisif à mes yeux, avec la mobilisation par le budget de l’Union de sommes fabuleuses pour éviter l’effondrement de notre économie et faciliter la relance. Cela traduit une mutation profonde de l’esprit de l’Union vers plus de solidarité.
C’est donc à l’Europe de conduire, avec chaque État, une politique concertée sur la transition écologique et énergétique. Elle doit également coordonner les politiques concernant l’accueil des migrants et la lutte sans relâche contre l’islamisme radical et tous les séparatismes qui menacent notre civilisation.