Intervention de Pierre Moscovici

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 29 septembre 2020 à 15h35
Projet de loi de finances pour 2021 — Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2021 - Audition de M. Pierre Moscovici président du haut conseil des finances publiques sur l'avis du haut conseil relatif au projet de loi de finances pour 2021 et au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2021

Pierre Moscovici, président du Haut Conseil des finances publiques :

Monsieur le président, monsieur le rapporteur général, mesdames et messieurs les sénateurs, merci de m'avoir invité, malgré le renouvellement sénatorial, en tant que président du Haut Conseil des finances publiques, pour vous présenter les principales conclusions de notre avis relatif aux projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale pour l'année 2021.

C'est la deuxième fois que je viens devant vous en tant que président du Haut Conseil. J'y suis également venu en tant que président de la Cour des comptes.

À l'occasion de ma première audition relative au troisième collectif budgétaire, qui a eu lieu une semaine après ma nomination, je vous avais fait part de mon attachement sincère au Haut Conseil, une institution que j'ai portée sur les fonts baptismaux en 2012, alors j'étais ministre de l'économie et des finances.

J'avais aussi souligné à cette occasion la double orientation nationale et européenne du Haut Conseil. Le Haut Conseil, comme vous le savez, est chargé de veiller à la sincérité des prévisions macroéconomiques et de finances publiques établies par le Gouvernement français, mais il est également compétent pour apprécier la cohérence de la trajectoire des finances publiques au regard de nos engagements européens et des règles en vigueur en la matière.

Je vous avais d'ailleurs indiqué mon souhait d'approfondir les relations entre cet organisme et le Parlement. Je tiens aujourd'hui à vous le répéter avec conviction : éclairer le législateur constitue le coeur de la mission du Haut Conseil. Pour les parlementaires, disposer d'un tiers de confiance indépendant est effectivement nécessaire à la qualité et à la sincérité des prévisions gouvernementales sur lesquelles sont établis les textes financiers qui vous sont soumis.

Assurer cette mission suppose que le mandat et les moyens confiés au Haut Conseil soient adaptés à cet enjeu démocratique, mais aussi aux enjeux de finances publiques que nous impose la crise sanitaire et économique que nous traversons. J'aurai l'occasion d'y revenir dans quelques instants, en conclusion de mon propos, en partageant avec vous certaines réflexions sur la modernisation de la gouvernance des finances publiques.

J'en viens à la saisine du Haut Conseil. Quelques mots sur le contexte international tout d'abord. Dans la continuité de la troisième loi de finances rectificative pour 2020, le PLF pour 2021 est évidemment marqué par le choc économique de très grande ampleur qui a touché l'économie mondiale au premier semestre 2020 en raison de la crise sanitaire.

La chute d'activité causée par l'épidémie et les mesures de restriction sanitaire présente en fait le même profil dans la plupart des économies du monde. Ce n'est ni un V, pour reprendre l'idée d'une forte chute suivie d'une remontée rapide, ni un W, en tout cas à ce stade, qui reflète l'image d'un double plongeon. Il s'agit bel et bien d'une racine carrée. Cela signifie que le PIB mondial s'est très nettement replié au premier semestre, avant de connaître un rebond très vigoureux mais incomplet au cours du second semestre. Le retour à la normale de l'activité et à la norme 2019 devrait selon l'ensemble des prévisions être lent.

Les économies enregistrent bien sûr un recul et un rebond de l'activité d'ampleur et de temporalité diverses, mais le profil d'ensemble est très largement partagé au niveau mondial, en tout cas dans les grandes économies industrialisées occidentales. L'activité de la zone euro, en particulier, se serait située près de 15 % en dessous de son niveau d'avant-crise.

Selon le consensus des prévisionnistes, cet écart devrait se résorber progressivement, mais l'activité dans son ensemble ne retrouverait son niveau d'avant-crise qu'à la mi-2022.

D'après les dernières données disponibles, ce rebond de l'économie mondiale ne serait aujourd'hui que partiel. Plusieurs indicateurs signalent effectivement depuis juillet que le rattrapage, qui était très fort au début de l'été, commence à s'essouffler, freiné notamment par certains secteurs des services, comme le transport aérien, l'hôtellerie ou encore la restauration, pour lesquels des restrictions d'origine sanitaire perdurent ou s'aggravent.

Les perspectives de croissance de l'économie mondiale restent par ailleurs soumises aux doutes qui entourent l'évolution des conditions sanitaires. Les incertitudes sur la maîtrise de l'épidémie comme sur le développement d'un vaccin demeurent exceptionnellement élevées, ce qui fragilise incontestablement l'exercice de prévision.

Croyez bien qu'en vous présentant cet avis, nous faisons preuve de la modestie qu'impose cette situation.

Ce contexte général étant posé, je vais vous présenter les trois principaux messages du Haut Conseil.

Le premier message porte sur les prévisions macroéconomiques et de finances publiques du Gouvernement, que nous estimons plausibles.

Le second message tient à la nécessité absolue d'adopter selon nous le plus tôt possible, en fait dès le printemps 2021, une nouvelle loi de programmation des finances publiques, l'actuelle étant évidemment caduque.

Le dernier message concerne la soutenabilité de la dette publique, qui doit constituer la boussole de la stratégie de finances publiques de la France et appelle une grande vigilance.

Le scénario macroéconomique du Gouvernement subit, comme chez la plupart de nos partenaires, une évolution en racine carrée. Pour 2020, le Gouvernement prévoit en conséquence un recul du PIB français de 10 % en volume, chiffre en légère amélioration par rapport à la prévision du troisième PLFR pour 2020, qui se situait à 11 %.

La prévision de fin mai avait d'ailleurs été jugée prudente par le Haut Conseil, qui pensait qu'un certain nombre de facteurs permettraient de limiter la récession. Pour 2020, le Gouvernement prévoit un rebond de l'activité de 8 %.

Le Haut Conseil considère le scénario macroéconomique d'ensemble à l'horizon 2021, en cumulant 2020 et 2021, comme plausible. Ce qualificatif, nous l'utilisons pour les prévisions d'activité économique, mais aussi d'inflation, d'emploi et de masse salariale.

En 2021, l'activité s'établirait en fin de période à 2,7 % en-dessous de son niveau de 2019, ce qui est un montant proche des autres prévisions disponibles. Cela dépendra étroitement, en tout état de cause, de l'évolution de la situation sanitaire, mais je veux immédiatement introduire une nuance : si nous estimons que le scénario macroéconomique d'ensemble est plausible d'ici 2021, nous portons un regard un peu différent de celui du Gouvernement sur la chronique annuelle.

Pour 2020, sauf aggravation marquée de la situation sanitaire d'ici la fin de l'année - qui n'est pas à exclure et qui compromettrait une reprise du travail dans le pays -, nous considérons que la prévision d'activité est prudente. Le recul du PIB devrait être un peu moindre que prévu. Disons que le consensus des prévisionnistes tourne plus autour de - 9 % que de - 10 %.

Pour 2021, à l'inverse, l'ampleur du rebond pourrait être plus limitée que prévu par le PLF pour 2021. Ce rebond repose en effet sur l'hypothèse forte d'une amélioration de la situation sanitaire tout au long de l'année 2021, qui n'est pas certaine, mais aussi sur l'hypothèse, que nous considérons comme volontariste, d'un effet important des mesures du plan de relance sur la croissance. Le Gouvernement l'estime à 1,1 point de PIB, ce qui s'ajouterait notamment aux effets attendus des plans de relance chez nos partenaires. Il y a peut-être là une nuance avec le Gouvernement.

Par exemple, nous pensons que l'effet du plan de relance sur l'investissement public local, que le Sénat connaît bien, pourrait être un peu moins fort en 2021 que prévu par la loi de finances, en raison de délais inhérents à l'instruction de dossiers d'investissement et du niveau déjà élevé des capacités de production du secteur du bâtiment. Nous pourrions donc avoir un léger tassement ou une difficulté dans la mise en oeuvre du plan de relance au niveau local.

Sur le fondement de ces hypothèses économiques, le Gouvernement prévoit un niveau de déficit absolument inédit depuis plus de soixante-dix ans : il s'établirait à 10,2 % du PIB en 2020, puis à 6,7 % du PIB en 2021. Ces prévisions sont assez proches de celles que le Gouvernement vous a présentées l'été dernier lors du débat d'orientation des finances publiques. Comparé au rapport préparatoire à ce débat, le PLF prévoit un solde public en amélioration de 1,2 point en 2020 mais, symétriquement, une dégradation de 1,2 point en 2021. Cette prévision prend en compte la révision des hypothèses macroéconomiques et les nouvelles mesures de soutien à l'activité décidées dans le cadre du plan de relance.

Là encore, le Haut Conseil estime que le solde public nominal prévu pour 2020-2021 est atteignable, même si des incertitudes entourent les conditions sanitaires et les évolutions macroéconomiques.

Au-delà du déterminant sanitaire, nous nous sommes attachés à identifier les principaux risques qui affectent les prévisions de recettes et de dépenses sur la base des informations dont nous disposons. S'agissant des prélèvements obligatoires, nous estimons les prévisions cohérentes avec le scénario macroéconomique. Nous relevons que le Gouvernement fait l'hypothèse que les exonérations temporaires de cotisations pour les entreprises des secteurs les plus touchés par la crise sanitaire ne seront pas prolongées en 2021. Si cela ne se vérifiait pas, les recettes publiques seraient alors dégradées.

S'agissant des prévisions de dépense publique, nous estimons vraisemblables les risques à la hausse comme à la baisse. Du côté baissier, la mise en oeuvre des investissements prévus dans le cadre du plan de relance pourrait être plus lente qu'attendue, ce qui se traduirait par un report de dépenses sur 2022 et les années ultérieures.

Par ailleurs, la charge de la dette pourrait être un peu moins élevée - mais c'est traditionnel - que dans la prévision du PLF pour 2021, du fait d'hypothèses de taux d'intérêt qui sont comme à l'accoutumée relativement conservatrices.

Du côté haussier, nous relevons un risque sur le niveau attendu des dépenses de santé. Le PLF pour 2021 prévoit une enveloppe de 4,3 milliards d'euros pour faire face à la crise sanitaire en 2021, contre des dépenses actuellement estimées à 10,1 milliards d'euros pour 2020. En particulier, les dépenses associées à une éventuelle campagne de vaccination pourraient se révéler supérieures de 1,5 milliard d'euros à celles prévues par le PLFSS pour 2021.

En dépit de ces aléas, le Haut Conseil estime dans l'ensemble que les prévisions de finances publiques sont atteignables et ne sont pas irréalistes.

J'en viens au deuxième message porté par l'avis du Haut Conseil à propos de la nécessité d'adopter une nouvelle loi de programmation des finances publiques. Qu'il s'agisse du scénario macroéconomique ou de la trajectoire de finances publiques, la LPFP du 22 janvier 2018 est définitivement caduque.

En effet, l'estimation du PIB potentiel retenue par cette loi, adoptée deux ans avant la crise, est obsolète. L'ampleur du choc subi par l'économie française devrait avoir un impact durable sur l'appareil productif, sous l'effet notamment du recul de l'investissement. Dans les documents qui ont été fournis au Haut Conseil, le Gouvernement considère d'ores et déjà que le niveau du PIB potentiel devrait être révisé à la baisse de 1,5 point en 2020, puis de plus de 2 points en 2021 par rapport aux hypothèses de la loi de programmation.

Plus généralement - et ce n'est pas une critique -, la trajectoire financière de la loi de programmation n'anticipait évidemment pas le choc sur les finances publiques que nous observons en 2020 et que nous constaterons encore en 2021.

Souvenons-nous que la loi de programmation prévoyait un déficit public égal à 1,5 point de PIB en 2020 et 0,9 en 2021, prévisions bien éloignées de celles présentées par le PLF pour 2021.

La difficulté vient du fait que, bien que caduque, cette loi de programmation constitue, aux termes de la loi organique de 2012 - que je connais bien, puisque je l'ai fait voter par le Parlement quand j'étais ministre des finances - la référence pour le PLF qui vous est soumis, ainsi que pour le Haut Conseil et la Commission européenne, et ce à double titre : tout d'abord, le Haut Conseil doit s'appuyer sur la croissance potentielle telle qu'établie par la loi de programmation en vigueur, même si elle n'a plus aucun sens. Le solde structurel est ainsi calculé, dans le PLF pour 2021, avec la même hypothèse de croissance que la loi de programmation, même si celle-ci n'est absolument plus pertinente.

Ainsi, la révision à la baisse de la croissance potentielle telle qu'estimée actuellement par le Gouvernement conduira à accroître le déficit structurel de plus d'un point en 2021.

En outre, le Haut Conseil doit comparer la trajectoire budgétaire prévue par le PLF à celle de la loi de programmation. À cet égard, le Haut Conseil constate que l'écart de solde structurel prévu en 2021 s'élève à - 2,4 points de PIB par rapport à la loi de programmation de 2018, ce qui constitue un écart important au sens de la loi organique de 2012. Le solde structurel présenté par le Gouvernement se dégraderait ainsi de 1,4 point entre 2019 et 2021 et s'établirait à - 3,6 % de PIB en 2021, très loin de l'objectif de déficit structurel de - 1,2 % du PIB fixé par la loi de programmation.

Je soumets la conclusion aux parlementaires : puisque les anciens repères économiques et financiers sont devenus inadaptés, le Haut Conseil estime tout à fait nécessaire d'en changer dès que possible, sans attendre que la crise économique, sociale voire sanitaire soit derrière nous, c'est-à-dire lorsque la situation se sera stabilisée et que l'horizon sera plus lisible.

Au total, le Haut Conseil invite le Gouvernement à présenter dès le printemps 2021 une nouvelle loi de programmation des finances publiques, qui permettra d'établir une stratégie de finances publiques de moyen terme, fixera notamment une nouvelle trajectoire d'évolution du PIB et du PIB potentiel, ainsi que des finances publiques, conformément à la loi organique de 2012. Cela permettra de fonder les appréciations de chacun sur des critères correspondant aux réalités d'aujourd'hui plus qu'à celles d'hier, que la crise rend totalement caduques.

Avant de conclure, je vous livre le troisième message principal porté par l'avis du Haut Conseil, concernant la soutenabilité de la dette.

Selon le scénario du Gouvernement, la dette publique s'élèverait à 117,5 points de PIB en 2020, soit une hausse de près de 20 points par rapport à la loi de finances initiale pour 2020. Le ratio de dette publique reculerait en 2021, mais très légèrement, à 116,2 points de PIB. Cette perspective d'une baisse limitée du ratio de dette publique liée au très fort rebond du PIB attendue par le Gouvernement est fragile et pourrait être remise en cause si le rebond de l'activité était moindre.

En tout état de cause, constatons que la dette va connaître une augmentation massive par rapport à la situation d'avant la crise, ce qui résulte à la fois du choc économique inédit, mais aussi de la réponse budgétaire apportée pour y faire face, qui est tout aussi massive.

Le ratio de dette publique s'établirait ainsi en 2021 à 18 points de PIB au-dessus de son niveau d'avant la crise et 22 points de PIB au-dessus de celui prévu par la loi de programmation.

Cette évolution n'intervient pas dans un ciel serein, puisqu'elle arrive après une décennie quasi ininterrompue de hausse de la dette. Or le contexte de croissance potentielle affaiblie rend plus difficile son reflux. Selon nous, la soutenabilité à moyen terme de la dette publique constitue un enjeu central de la stratégie budgétaire de la France. Elle appelle à cet égard la plus grande vigilance.

Je sais que, chez les économistes comme chez les politiques, des débats commencent à naître. Et si l'on annulait la dette ? Bonjour les épargnants ! Et si l'on monétisait totalement la dette ? La Banque centrale en prend déjà une bonne part : je ne pense pas qu'elle aille jusqu'à une monétisation absolue. Les textes ne le permettent d'ailleurs pas. Et si l'on mutualisait la dette ? Un début de mutualisation de la dette commence à avoir lieu avec le plan européen de relance, mais nous n'en sommes pas pour autant à ce stade.

Conclusion : nous retrouverons toujours la dette sur notre chemin, et c'est un fardeau qui pèsera sur les générations futures. Une dette finit par être remboursée. Nous avons rendez-vous avec elle. C'est pourquoi nous envoyons un message de vigilance.

Je termine en partageant avec vous quelques réflexions sur la gouvernance des finances publiques, et particulièrement - pardonnez-moi de plaider pour ma chapelle - sur le mandat du Haut Conseil.

La crise qui a touché la France et le monde entier se traduit par un choc massif sur les finances publiques, et notamment sur l'encours de la dette publique, je viens de le dire. Au regard de cette situation, je suis persuadé qu'une refondation de la stratégie budgétaire est indispensable pour assurer la soutenabilité de la dette publique et le meilleur usage des deniers publics. La Cour des comptes s'est d'ailleurs exprimée à ce sujet dans son rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques, publié en juin dernier, que j'ai présenté devant vous.

Pour faire respecter et mettre en oeuvre cette stratégie, il faut un renforcement de la gouvernance budgétaire. Je vous rappelle qu'en 2012, à la suite de la crise financière de 2008, puis de la crise des dettes souveraines dans la zone euro, les gouvernances française et européenne des finances publiques avaient été refondées pour éviter que les difficultés alors rencontrées ne se reproduisent à l'avenir.

Dans le prolongement du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG), la loi organique de 2012 avait introduit dans le droit français un ensemble de dispositifs visant à favoriser une maîtrise durable des finances publiques. Elle avait notamment fondé le Haut Conseil des finances publiques.

Après le choc que nous connaissons aujourd'hui qui est, je le répète, totalement inédit depuis la Seconde Guerre mondiale, il m'apparaît nécessaire de compléter l'architecture élaborée en 2012 pour franchir une nouvelle étape dans l'amélioration du pilotage des finances publiques en France.

La Cour des comptes va s'exprimer sur ce sujet à l'automne. Mon propos n'est pas d'anticiper ici le rapport qui vous sera présenté, mais de vous dire ce que j'en pense avec ma casquette de président du Haut Conseil.

Depuis sa création, notre jeune institution budgétaire indépendante a contribué à l'amélioration du réalisme des hypothèses macroéconomiques. C'est un constat étayé par des analyses économiques de très grande qualité, vous en conviendrez quelles que soient vos sensibilités, que réalise le Haut Conseil de manière indépendante.

Toutefois, notre mandat - j'insiste sur ce point - est significativement plus réduit que celui de nos homologues européens, tout comme nos moyens. C'est à mes yeux insuffisant pour assurer la surveillance indépendante de la trajectoire des finances publiques et éclairer les autorités, les citoyens et les parlementaires sur les risques liés à la situation de nos finances publiques. Nous allons maintenant échanger des questions et des réponses. Je ne pourrai vous répondre que dans le cadre du mandat qui est le mien. Je serai donc frustré et je vais vous frustrer. Je pense que nous pourrions faire beaucoup plus.

Je citerai trois limites. En premier lieu, la loi organique de 2012 n'a pas formellement confié au Haut Conseil des finances publiques la mission d'apprécier le réalisme des prévisions de finances publiques, qu'il s'agisse des recettes, des dépenses ou du déficit public.

Dans l'exercice de notre mandat actuel, nous ne pouvons faire abstraction de ces considérations. Elles font régulièrement l'objet de développements dans notre avis, mais notre analyse reste limitée dans sa portée par la loi organique.

Deuxième écueil : le Haut Conseil n'est pas non plus compétent pour examiner la réalité de l'évaluation de l'impact financier ou socio-économique des mesures, quand bien même celles-ci seraient déterminantes pour apprécier le réalisme de la trajectoire des finances publiques. Si vous me demandez ce que je pense de telle ou telle mesure, je ne vous répondrai pas, car il s'agirait d'une réponse personnelle et non d'une réponse du Haut Conseil. Avec un mandat un peu plus élargi, je pourrais vous répondre non pas à partir d'un jugement mais d'une évaluation précise des choses.

Troisième limite - et ce sera mon dernier exemple, sans que la liste ne soit pourtant exhaustive : le mécanisme de correction ex post n'a pas fait preuve de son efficacité. Il a été créé par la loi organique 2012, mais son déclenchement par le Haut Conseil en cas d'écart significatif avec la trajectoire de solde structurel de la loi de programmation est beaucoup trop tardif. Parce qu'il intervient seulement une fois les écarts constatés, il ne semble pas permettre d'assurer le plein respect des trajectoires pluriannuelles.

Au regard de ces limites et de l'enjeu central que constitue la soutenabilité de la trajectoire de dette publique, il me semble que des ajustements de la gouvernance des finances publiques seraient nécessaires. J'ai d'ailleurs demandé au rapporteur général du Haut Conseil, Éric Dubois, ici présent, de réfléchir aux évolutions souhaitables du mandat de notre institution budgétaire indépendante dans une logique de transparence de nos travaux, mais aussi de rénovation de notre gouvernance. Le rapport qu'il me remettra vous sera transmis et sera rendu public.

Je pense que cela appelle un toilettage de la loi de 2012 limité mais significatif. Comparé aux autres institutions européennes de notre secteur, le Haut Conseil, même s'il est selon notre tradition indépendant, est celui qui a le mandat et les moyens les plus faibles. Il faut adapter ses moyens aux nouveaux enjeux.

D'ailleurs, le PLF pour 2021 prévoit un accroissement très significatif des moyens humains du Haut Conseil et je m'en réjouis. Si ceci est confirmé par l'adoption de la loi de finances, cela permettra de renforcer dès le début de l'année prochaine notre expertise économique et notre capacité d'analyse au service des citoyens et du Parlement.

Je reviendrai devant vous - car je suis têtu - avec ces propositions qui, je pense, sont d'intérêt général : tiers de confiance, indépendance, expertise renforcée et moyens adaptés.

Voilà les quelques réflexions que je souhaitais partager avec vous. Je suis évidemment à votre disposition pour répondre à vos questions dans la limite du mandat du Haut Conseil.

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