Intervention de Pierre Moscovici

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 29 septembre 2020 à 15h35
Projet de loi de finances pour 2021 — Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2021 - Audition de M. Pierre Moscovici président du haut conseil des finances publiques sur l'avis du haut conseil relatif au projet de loi de finances pour 2021 et au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2021

Pierre Moscovici, président du Haut Conseil des finances publiques :

J'ai obtenu du ministre du budget, que je remercie, cinq équivalents temps plein en plus. Un triplement des moyens permettra de réaliser plus de choses. Cela prendra aussi tout son sens en cas d'élargissement du mandat.

Plusieurs d'entre vous m'ont interrogé sur l'impact du plan de relance. Nous n'affirmons pas que le surcroît de croissance de 1,1 point prévu par le Gouvernement en 2021 n'est pas crédible. Il est volontariste. C'est une question d'ingénierie. Nous connaissons notre pays : il faut mettre en place une ingénierie qui permette non de dépenser 100 milliards d'euros en dix-huit mois - le Gouvernement ne le prétend pas lui-même - mais de dépenser les 37 milliards d'euros programmés pour 2021.

Nous pensons que l'hypothèse est volontariste, à la fois du fait de la saturation de certaines capacités sectorielles et des difficultés traditionnelles à mettre en oeuvre ces investissements.

L'effet multiplicateur retenu par le Gouvernement, sujet dont nous avons longuement débattu lors des auditions, est de 0,8. Nous ne pensons pas que ce soit là un chiffre élevé au regard de la situation économique. C'est le risque de retard qui explique que nous estimons qu'il existe un certain volontarisme, sans qu'il soit pour autant impossible d'obtenir 1,1 point. Souhaitons-le, mais ce pourrait être un petit peu moins, d'où notre jugement.

S'agissant de l'hypothèse des taux d'intérêt, le Haut Conseil relève la prudence traditionnelle du Gouvernement. Cela peut présenter quelques avantages. On garde une certaine marge de manoeuvre. Toutefois, le consensus des économistes et la prévision de taux du Gouvernement présentent un écart. Le consensus anticipe des taux longs à zéro l'année prochaine pour la zone euro. Selon le Gouvernement, le chiffre est de 0,7. Ce n'est pas impossible, mais ce n'est pas le plus probable au regard de l'analyse du Haut Conseil. Il y a là une marge de manoeuvre possible en exécution.

Concernant la dette et la consolidation budgétaire, nous avons eu un débat entre nous pour savoir si nous devions parler ou non de la dette. Je ne concevais pas que nous n'en parlions pas. Quelques membres du Haut Conseil soulignaient que nous étions à la limite de notre mandat. Je pense que nous sommes dedans, mais j'aimerais répondre à votre question en allant plus loin. Je ne le peux pas dans le cadre du mandat actuel, étant déjà à mes limites.

Deux réflexions de bon sens : dans la situation de crise sanitaire, mais aussi de crise économique et sociale que nous ne connaissons, nous ne contestons pas la légitimité de la priorité accordée à la relance et au soutien de l'économie. Nous attirons l'attention sur le fait qu'on ne peut pas pour autant ignorer la question de la dette. À un moment donné, il faudra bien retrouver une trajectoire assurant la soutenabilité de la dette publique. Quand ? C'est un débat sur lequel j'aimerais que nous puissions poursuivre nos échanges. Cela dépend de l'élargissement du mandat du Haut Conseil. Je pourrais vous faire une réponse personnelle : elle ne serait pas d'un très grand intérêt. Priorité à la dépense compte tenu de la situation donc, mais restons vigilants sur la question de la soutenabilité de la dette publique à moyen terme.

Je n'ai pas de commentaire à faire sur la manière dont sont élaborés les projets de loi de finances. Fallait-il établir des scénarios ? Notons que l'incertitude est très élevée et difficilement quantifiable. Doit-on faire autant de PLF que de scénarios de croissance ? Le Gouvernement ne l'a pas choisi.

Il est clair que l'incertitude demeure. Il n'est pas interdit d'évoquer cette question dans le débat.

S'agissant de la programmation des finances publiques, plusieurs approches sont possibles. On peut attendre la fin de la crise sanitaire ou que tout ceci soit largement derrière nous. On peut attendre la fin de la crise économique et sociale. Pour résumer notre message, il convient de le faire le plus tôt possible, c'est-à-dire au printemps 2021, sauf dégradation très forte ou instabilité persistante.

Je ne me prononce pas sur le moment à compter duquel la loi de programmation est devenue caduque. Pour avoir été moi-même ministre des finances, membre de la commission des finances de l'Assemblée nationale, je puis dire qu'il y a toujours eu des écarts. Nous ne sommes toutefois plus dans l'écart mais dans la caducité, ce qui est assez différent. On ne peut le reprocher à ce Gouvernement, pas plus qu'à d'autres auparavant. Quand un événement extraordinaire se produit, on ne peut conserver la même boussole.

De ce point de vue, monsieur Raynal, il est compliqué de vivre sans loi de programmation réaliste. On ne peut porter aucun jugement. Toutes les notions à partir desquelles nous travaillons, comme la croissance potentielle et le solde structurel, n'ont plus rien à voir avec la réalité. C'est pour cela qu'il faut agir le plus tôt possible. Si cela ne se fait pas au printemps 2021, ce sera trop tard ! Nous ne pouvons vivre totalement sans règle. N'avoir aucun point de repère solide est toujours fâcheux pour le débat démocratique. Voilà la raison pour laquelle, si la situation est stabilisée et lisible au printemps, il me paraît raisonnable de viser ce moment.

Pour ce qui est de la question des prévisions macroéconomiques, madame Vermeillet, ce qui figure dans notre avis est extrait de ce qu'on appelle le Consensus forecast - autrement dit, le consensus des économistes. L'évolution d'ensemble de l'activité a partout le même profil mais certains pays sont descendus plus bas, et remontent un peu plus haut. Quand on considère les choses en termes de croissance et d'emploi, ce n'est pas totalement négligeable. Même si le profil est identique, il existe quelques différences qui sont loin d'être insignifiantes.

Enfin, s'agissant de la règle d'or, je suis au-delà de mes compétences. Pour le moment, nous disposons d'une loi organique qui prévoit des lois de programmation. Tant qu'on demeure dans cette loi organique, il faut modifier la loi de programmation, mais on peut aussi envisager - ce n'est toutefois pas mon rôle - une autre loi organique. Cela devient bien plus lourd et relève du débat politique et public pour d'autres échéances. Dans le cadre qui est le nôtre actuellement, c'est la loi de programmation qu'il faut modifier, et je pense qu'il est logique de raisonner pour le moment à cadre inchangé.

Ce débat a déjà eu lieu en 2012. Certains proposaient une règle d'or. Selon moi, les règles d'or, même en Allemagne, ne tiennent pas quand survient un événement comme celui-ci. C'est la programmation qui s'impose davantage. Je suis allé trop loin : je me tais...

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