Intervention de Pierre Moscovici

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 29 septembre 2020 à 15h35
Projet de loi de finances pour 2021 — Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2021 - Audition de M. Pierre Moscovici président du haut conseil des finances publiques sur l'avis du haut conseil relatif au projet de loi de finances pour 2021 et au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2021

Pierre Moscovici, président du Haut Conseil des finances publiques :

Existe-t-il une corrélation entre les plans de relance et le rebond ? Je tiens à préciser qu'il ne s'agit pas des prévisions du Haut Conseil mais de celles du consensus des économistes.

Nous n'avons pas analysé les plans de relance de nos partenaires. C'est difficile dans le temps qui nous est imparti, avec les moyens qui sont les nôtres. J'espère que nous ferons mieux à l'avenir, même à mandat constant, avec nos propres moyens.

Incontestablement, il existe une corrélation entre l'ampleur du rebond et l'ampleur de la perte initiale, ce qui est une des raisons pour lesquelles, si nous jugeons la séquence 2020-2021 plausible, le séquençage lui-même nous paraît un tout petit peu différent. Plus on baisse en 2020, mieux on peut rebondir en 2021.

Les autres instituts économiques estiment en général qu'on devrait baisser un peu moins en 2020 et rebondir un peu moins en 2021, ce qui aboutit grosso modo au même résultat.

Plusieurs questions portent sur l'investissement local. Le Gouvernement prévoit un rebond net pour 2021 de 7,9 %, en dépit de la baisse de l'investissement du fait de la crise sanitaire. Tout cela est un peu mécanique. Des chantiers ont dû être arrêtés au printemps. La base 2020 sera donc particulièrement basse. C'est aussi une affaire de recettes et, vous le savez, les recettes des collectivités locales sont, à court terme, moins sensibles aux cycles que les recettes de l'État. Elles chutent moins brutalement que l'ensemble. J'aurai l'occasion de revenir prochainement devant vous pour parler des finances publiques locales dans leur ensemble, dans le cadre des travaux de la Cour des comptes.

Pour ce qui est des questions du sénateur Bizet sur l'Europe, je connais les différents facteurs que vous évoquez. Je n'ai jamais été pour ma part un partisan de la théorie du juste retour, mais plutôt de la théorie du retour efficace. Il existe aussi des incertitudes sur la partie européenne du plan de relance. Cette partie contribue à environ 40 % des ressources du plan. Encore faut-il qu'il y ait un accord et que cet argent puisse redescendre.

Ainsi que nous l'avons dit vous et moi, la tuyauterie, l'ingénierie, la mise en place de mécanismes permettant des investissements efficaces sont des éléments indispensables. Le plan de relance est à la fois un plan d'urgence mais aussi un plan structurel. Il consiste à améliorer la compétitivité de l'économie, à mener à terme un certain nombre de réformes et à mettre en place des investissements dans de nouveaux secteurs économiques. C'est ce qu'on appelle parfois le retour à la souveraineté. Tout cela exigera de notre part une très grande vigilance.

Pour ce qui est des ressources propres, je partage totalement votre sentiment. Je change de casquette une seconde : on a augmenté le plafond des ressources propres de 1 % à 2 % du revenu national brut de l'Union parallèlement à la mise en place du plan de relance européen. C'est une question qui ne peut être négligée. De ce point de vue, un certain nombre de pistes sont évoquées, comme la taxe carbone aux frontières ou la taxe sur le numérique.

Je me suis rendu la semaine dernière à Bruxelles et j'ai rencontré le président du Parlement européen à cette occasion. Il est vrai qu'il existe un volontarisme traditionnel plus grand au Parlement, mais je pense que le débat principal aura lieu entre les États membres dans le cadre du Conseil. Les positions sont très différentes. L'ancien commissaire à la fiscalité que je suis, qui a notamment proposé une directive sur le numérique, sait de quoi il s'agit. J'ai réussi à obtenir le consentement de vingt-quatre États membres, mais quatre ont bloqué, ce qui pose aussi la question du vote à la majorité qualifiée sur les ressources propres. Dans l'Europe telle qu'elle est, c'est un problème qui se pose. Vous m'entraîner vers sur mon péché mignon, je m'arrête donc tout de suite.

J'ajoute cependant une réponse à une question que vous ne posez pas, celle concernant les règles de finances publiques. De la même façon que j'appelais à l'adoption d'une nouvelle loi de programmation, il me paraît clair que nous ne couperons pas à une révision des règles de finances publiques européennes, dans la mesure où, là aussi, on observe certains points de caducité. On ne peut rester sans règle ni les suspendre pour l'éternité. On ne peut revenir exactement aux critères antérieurs.

La Cour des comptes, dans son rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques, estimait que nous allions vivre très durablement avec plus de 100 points de PIB de dette publique et que le déficit public ne reviendrait pas en dessous de 3 % du PIB avant cinq ans. On peut toujours freiner dès aujourd'hui, mais ce serait totalement contraire à l'exigence de relance de la croissance. Il faut donc avoir des règles plus lisibles, plus simples, plus cohérentes. C'est une réflexion qui est devant nous. Elle est éminemment politique. Il y aura des débats important à la Commission, au Parlement et au Conseil. Il faut une révision intelligente. Ce message était celui de la Cour des comptes dans son rapport. Il est implicitement contenu dans le rapport du Haut Conseil des finances publiques.

Concernant la dette privée, monsieur le sénateur, j'adorerais vous répondre, mais je suis totalement démuni en tant que président du Haut Conseil des finances publiques. Vous avez évidemment raison sur le fait que c'est un facteur qui est à prendre en compte.

De la même façon que je reviendrai parler de la dette des collectivités locales, je souhaite que l'amélioration du mandat du Haut Conseil lui permette de faire une analyse plus profonde de la dette et de sa soutenabilité.

Je suis par ailleurs entièrement d'accord avec vous : les incertitudes géopolitiques n'ont pas disparu. La première d'entre elle tient au résultat l'élection américaine. Nous vivrons ce soir le premier débat entre MM. Biden et Trump. Ceci est mentionné dans l'avis du Haut Conseil, comme dans les prévisions. Vous avez donc entièrement raison : il n'y a pas que la crise sanitaire. Le monde dans lequel nous vivons est un monde où la tendance à l'entropie est de plus en plus grande.

Cela soulève une question pour l'Europe : allons-nous rester l'agneau au milieu des loups ? Cette question dépasse le périmètre de mon mandat.

Enfin, le rebond en K nous incite à réfléchir sectoriellement. Je ferai deux remarques à cet égard. Je ne dirais pas que nous sommes sur des nuances, mais on est quand même dans un cadre plausible, avec, en outre, une très grande incertitude. Certains secteurs vont être et sont déjà très durement touchés, comme les transports, en particulier les transports aériens, le tourisme, l'hôtellerie ou la restauration.

Ma deuxième remarque porte sur l'emploi. Même avec une croissance qui reviendrait mi-2022 à son niveau de fin 2019, nous n'aurons évidemment pas le même contenu en termes d'emplois. Quand on parle de courbe en K, il faut donc prêter une attention très grande à ce qui se passe sectoriellement et ne pas se noyer dans la macroéconomie. Il faut aussi penser à la microéconomie, ce qui, encore une fois, ne relève pas du mandat du Haut Conseil des finances publiques.

La plupart des conjoncturistes que nous avons consultés évoquent bien cette discordance. On sera descendu beaucoup plus bas et remonté beaucoup plus vite que lors de la crise de 2008. Nous n'avons retrouvé dans l'Union européenne le niveau de PIB de 2008 que six ans après. Je raisonne par rapport à des prévisions que nous avons estimées nous-mêmes plausibles. Dans le cas présent, nous mettrions seulement deux ans pour retrouver le niveau de production d'avant-crise, mais l'impact sectoriel et l'impact en termes d'emplois peuvent être extrêmement différents, ce qui implique des réflexions très profondes et très complexes.

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