Nous examinons aujourd'hui un projet de loi prorogeant diverses dispositions du code de la sécurité intérieure.
Ce projet de loi, qui comprend trois articles, a un objet simple. Il procède à une prorogation « sèche », c'est-à-dire sans modification de fond, de plusieurs dispositions expérimentales en matière de lutte contre le terrorisme. Ces dispositions arrivent à échéance le 31 décembre 2020 ; à défaut d'intervention du législateur avant cette date, elles seront amenées à disparaître. Proroger ou pérenniser, telle est la question !
Sont en premier lieu concernées quatre dispositions de la loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, plus communément appelée loi « SILT ». Il s'agit, je vous le rappelle, des dispositions introduites par le législateur pour prendre le relais de l'état d'urgence qui avait été déclaré le 14 novembre 2015 : les périmètres de protection, qui permettent au préfet de sécuriser un lieu ou un événement exposé à une menace terroriste ; les fermetures de lieux de culte ; les mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance (Micas), qui permettent notamment l'assignation d'une personne sur le territoire d'une commune ; enfin, les visites domiciliaires, qui se sont substituées aux perquisitions administratives de l'état d'urgence.
L'article 2 du projet de loi porte, quant à lui, sur une disposition de la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement, qui concerne la technique dite « de l'algorithme ». Cette technique de renseignement consiste à imposer la mise en oeuvre, sur les réseaux des opérateurs de communications électroniques, de programmes informatiques qui analysent les flux de données en vue de détecter des connexions susceptibles de révéler une menace terroriste. Elle a suscité de nombreuses craintes lors de son adoption, et n'a donc été autorisée par le législateur qu'à titre expérimental.
Le débat sur la pérennisation ou non de ces dispositions aurait normalement dû intervenir dans le courant de l'année 2020. Toutefois, en raison de la crise sanitaire, le Gouvernement a estimé qu'il existait un risque que le calendrier parlementaire soit bousculé et ne permette pas de tenir un débat serein au Parlement. C'est pourquoi il a préféré déposer un projet de loi de prorogation sèche, dans l'attente d'un prochain texte plus ambitieux.
Le Gouvernement avait initialement fixé la durée de cette prorogation à un an, soit jusqu'au 31 décembre 2021. Cette durée a été ramenée à sept mois par l'Assemblée nationale, ce qui supposera que le Parlement se prononce à nouveau avant le 31 juillet 2021.
Je souhaiterais, à titre liminaire, évoquer la méthode du Gouvernement. Alors que le Parlement, notamment le Sénat - nous avions déposé une proposition de loi sur ce sujet -, s'était préparé à ces échéances, l'argumentaire avancé pour justifier la prorogation me semble fragile. Depuis le mois de mai dernier, le Parlement a en effet repris une activité normale et aurait pu débattre, au fond, de ces questions.
Cela étant, je vous proposerai d'adopter une position médiane sur ce texte. Le débat se pose en effet dans des termes différents pour les dispositions de la loi SILT et celles de la loi relative au renseignement. Je vais d'emblée présenter le contenu de mes amendements, ce qui permettra d'aller plus vite lors de l'examen des articles.
En ce qui concerne les dispositions de la loi SILT, je vous proposerai de procéder à leur pérennisation plutôt qu'à une simple prorogation.
Un important travail d'évaluation de ces dispositions a en effet déjà été réalisé, tant par le Parlement que par le Gouvernement, que nous avons entendu à de multiples reprises. Ces travaux concluent tous à leur efficacité pour la lutte contre le terrorisme.
Dans un rapport présenté à la commission à la fin du mois de février, j'avais moi-même dressé un bilan positif des deux premières années d'application de la loi et recommandé de les pérenniser. Dès lors qu'un accord global se dessine sur le sujet, il ne me semble donc pas nécessaire de reporter le débat.
Je vous rappelle en outre que le Conseil constitutionnel a validé ces dispositifs, qui sont donc bien sécurisés sur le plan juridique.
Je vous proposerai également d'apporter trois ajustements à ces mesures, afin de renforcer leur efficacité. Ces ajustements reprennent les propositions adoptées par notre commission au mois de février et reprises dans une proposition de loi, que plusieurs d'entre vous ont cosignée.
Il s'agit : premièrement, d'étendre le champ de la mesure de fermeture administrative aux lieux connexes aux lieux de culte, afin d'éviter le déport des discours radicaux vers d'autres lieux ; deuxièmement, de renforcer l'information des autorités judiciaires sur les Micas, de manière à assurer une parfaite articulation avec les mesures judiciaires ; enfin, troisièmement, d'élargir les possibilités de saisies informatiques dans le cadre d'une visite domiciliaire, dans les cas où l'occupant des lieux fait obstacle à l'accès aux données présentes sur un support ou un terminal informatique.
Ces modifications répondent à des besoins exprimés par les services du ministère de l'intérieur, et visent à garantir la pleine efficacité des dispositifs que nous avons votés en 2017. Elles préservent l'équilibre entre sécurité et liberté.
Mon amendement ne reprend pas, en revanche, une proposition que nous avions formulée et qui visait à créer des mesures de sûreté pour les terroristes sortant de détention. Comme vous le savez, cette proposition a été reprise dans une proposition de loi de la présidente de la commission des lois de l'Assemblée nationale, adoptée à la fin du mois de juillet. Elle a toutefois été censurée par le Conseil constitutionnel, au mois d'août. Le Conseil n'a toutefois pas complètement fermé la porte : il a considéré qu'il était loisible au législateur de prévoir des mesures de sûreté, mais a exigé que les garanties soient renforcées.
Dans ces conditions, le dépôt d'un nouveau texte est envisageable, mais il nécessite que des consultations soient organisées et qu'une réflexion approfondie soit menée, afin d'éviter le risque d'une nouvelle censure. En tout état de cause, il nous aurait été difficile de l'intégrer au présent projet de loi, avec lequel il ne présente pas de lien au sens de l'article 45 de la Constitution. J'invite néanmoins la commission à engager une réflexion sur ce point.
S'agissant de la technique de l'algorithme, je n'ai pas souhaité déposer d'amendement et je vous proposerai d'adopter l'article 2 sans modification.
Deux raisons motivent cette position.
La première est liée au bilan de la technique. Un premier rapport d'évaluation a été remis au Parlement fin juin 2020. Celui-ci fait état de premiers résultats encourageants : les trois algorithmes déployés par la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) et par la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) auraient ainsi permis, au cours des derniers mois, d'identifier des individus jusqu'alors inconnus des services. Mais ce rapport ne cache pas que la technique n'a pas encore atteint sa pleine efficacité, notamment parce que son champ d'analyse serait trop restreint.
Dans ce contexte, la prorogation proposée par le Gouvernement offre au législateur l'opportunité d'avoir un recul plus important sur l'efficacité de l'algorithme, avant d'envisager une pérennisation.
La seconde raison pour laquelle je n'ai pas souhaité proposer de modification à l'article 2 tient aux perspectives législatives en matière de renseignement.
Le Gouvernement a en effet annoncé qu'une réforme plus globale de la loi relative au renseignement de 2015 était en préparation. Cette réforme devrait proposer une série d'évolutions, qui font encore l'objet de discussions préalables au niveau interministériel. Dans ce contexte, il me semble tout à fait légitime, voire préférable, que le débat sur l'algorithme se tienne dans le cadre d'une discussion plus large sur les activités de renseignement.
Ce report pourrait en outre se révéler nécessaire au regard des incertitudes que la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), qui a rendu un arrêt important hier, fait peser sur les techniques de recueil de données de connexion en temps différé. Je note, à cet égard, que la commission des affaires étrangères et de la défense s'est saisie de ce texte pour avis.
Voilà, en quelques mots, le contenu des amendements que je soumets à notre commission et que nous serons amenés à examiner dans la suite de la discussion.